samedi 15 septembre 2007

Nous ne vieillirons pas ensemble

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On dit souvent que c’est en période de crise que l’on découvre qui sont vraiment les gens qu’on aime. Quoiqu’ayant une affection plus que modérée pour tout ce qui touche à la sagesse populaire, je dois bien reconnaître que ce n’est pas faux. Peut-être pas complètement juste non plus mais il y a assurément dans cet adage une bonne part de vérité.

Dans le même ordre d’idées les cons pensent que l’amour comme tout le reste doit être éprouvé pour perdurer. Les cons étant ce qu’ils sont vous vous doutez bien que je ne suis pas franchement d’accord. Là où on l’on doit cependant leur accorder un peu de crédit c’est que l’amour est de toute façon toujours éprouvé par les aléas de la vie. Qu’on le veuille ou pas, que l’on trouve cela juste ou non. C’est une des lois fondamentales régissant l’univers. Que celui ou celle dont l’amour n’a jamais été mis à rude épreuve me jette la première pierre. Car si l’amour est le Sentiment Beau & Noble par excellence il est presque systématiquement attaqué violé sali ou raboté par au choix : le quotidien / le temps / le monde extérieur… bref en somme par tout ce qui constitue le reste de nos vies et nourrit l’essentiel de nos angoisses.

Je n’irai pas jusqu’à dire que Jean-Pierre Jean et moi-même connaissons déjà l’usure physique des corps. Ce qui est certain en revanche c’est que le temps a fait son œuvre et que l’œuvre du temps penche rarement en faveur des amoureux. Voilà pas loin d’un an que Jean-Pierre ne s'était plus invité dans ce journal. Et le moins qu’on puisse dire est que sa dernière apparition ne nous promettait pas un avenir des plus radieux. Le revoilà aujourd’hui, pour autant n’allez pas croire que les choses se soient arrangées entre nous. Certes, les tensions relatives à mon erreur passée se sont apaisées. Certes, il a fini par reconnaître que je n’étais pas seul responsable de nos divergences footballistico-capillaires. Pour autant comprendre n’est pas pardonner, et lorsque l'autre jour j’ai revu Jean-Pierre pour la première fois depuis des mois j’ai bien senti que certaines choses n’étaient pas réparables.

Bien sûr, il a accordé toute l’attention du monde à mes cheveux. Je dirais même qu’il ne m’a sans doute jamais aussi bien coiffé que cette fois-ci. Le problème c’est que je me suis rendu compte un peu tard que la coiffure mise à part… nous n’avions plus rien à nous dire. Il est vrai que depuis que je suis amoureux et que j’occupe mes journées le foot a été relégué au second rang de mes préoccupations alors qu’il constitue toujours la principale passion de Jean-Pierre Jean (voire même le plus gros de son existence). Que la vie m’ait changé ou que je sois redevenu celui que j’étais avant la dépression, peu importe : les faits sont là et Jean-Pierre a été consterné de voir que je ne savais même plus qui était en tête du Championnat. Il n’a rien dit mais j’ai lu le désarroi dans son regard, et je peux vous assurer que je ne me suis pas senti très fier de moi. C’est dur, vous savez, de décevoir quelqu’un qui nous aime. Surtout quand on n’y peut pas grand chose. Car certes j’ai fait des choix qui m’ont éloigné de Jean-Pierre Jean. Mais qu’aurais-je pu faire d’autre ? Aurais-je dû rester dans ma petite vie misérable ? Dans ma pauvre dépression ? Dans mon appartement de célibataire à regarder l’Équipe TV ? Aurais-je dû renoncer à mon équilibre et à mes projets pour préserver JP ? Qu’il puisse continuer à me caresser le cuir chevelu en susurrant à mon oreille les dernières statistiques des qualifs pour l’Euro 2008 ? Non ! C’était impossible. Vous le savez, je le sais – Jean-Pierre aussi sans doute même s’il ne l’admettra pas. Au fil des mois nous avons pris des routes différentes (enfin c’est-à-dire que moi j’ai pris une route, lui n’a pas bougé), et aujourd’hui trop de choses semblent nous séparer. Des silences. Des maux. Des incompréhensions. Le fait est que Jean-Pierre n'a jamais réellement passé l'éponge sur mon déménagement. C’est bien beau de dire qu’aimer quelqu’un c’est vouloir son bonheur, mais lorsque le bonheur de l’être aimé ne passe pas par vous ce n’est tout de même pas facile à digérer. Et Jean-Pierre, quand bien même il le savait, que mon bonheur ne passait plus par lui, j’ai bien vu qu’il avait du mal à s’y faire. Peut-être ai-je tort mais je n’arrive pas à lui en vouloir ! Quelque part même : je le comprends. Lorsqu’il a appris que j’allais partir au loin, il a fait ostensiblement la gueule mais d’un autre côté c’était terriblement flatteur : ça signifiait que j’allais lui manquer. Qu’il perdait plus qu’un client. Qu’il perdait un ami, une âme sœur. Alors oui, je comprends ce qu’il a ressenti. J’en suis plus que touché. Parce que quand vous comprenez que le bonheur de l’autre ne passe pas (ou plus) forcément par vous, même si vous êtes intelligents et doués d’une morale en acier, il y a fatalement une part de votre esprit / inconscient / ego qui ne souhaite pas ce bonheur. C’est tout à fait humain.

Or donc me voilà de retour en Normandie, à rendre visite à Jean-Pierre Jean en espérant que tout redeviendra comme avant – naïf que je suis. Je vais le voir comme on va voir une vieille maîtresse dont on sait très bien qu’elle ne nous repoussera pas, et voilà que je m’étonne de le trouver froid, réservé – voire un peu sarcastique par instants. Je suis tout surpris et amer de le décevoir… mais qu’y-a t-il de moins surprenant ? Je lui reviens la queue entre les jambes et les cheveux plus en l’air que jamais, tout changé, tout préoccupé par autre chose que ce qu’il aime, et dépourvu de la moindre analyse sportive intéressante… et moi j’arrive à être étonné que nos rapport aient changé ? Mais j’ai plus changé que lui…! Qui égal à lui-même commence tambour battant à me parler de l’Équipe de France… avant de se rendre compte, absolument médusé, que je n’ai rien à secouer de sa défaite face à l’Écosse, que je me tamponne le chichigneux qu’elle soit désormais troisième de son groupe qualificatif pour l’Euro et que pire du pire du pire du pire : je n’ai même pas vu le match. Lui il traversait une crise existentielle sans précédent, sans doute sa plus grosse crise personnelle depuis l’Euro 2004… et moi je m’en foutais purement et simplement. Ou plutôt : si je ne me foutais pas qu’il aille mal je me foutais de savoir pourquoi. J'étais même incapable d’articuler la moindre parole réconfortante... et j'étais en plus à deux cheveux de lui en vouloir de ne pas être aussi pimpant qu'à l'époque de mes premières chroniques. Évidemment vous, ça ne vous fait pas grand chose : vous avez toujours bien ri de Jean-Pierre Jean mais dans le fond vous n’avez sans doute jamais réellement compris ce qui se passait entre nous. Cette magie, chimie – ou quelque soit le mot. Vous vous êtes toujours dits que Jean-Pierre Jean était un coiffeur bien marrant, sympa et original, et vous riiez de lui avec un fond de mépris, en pensant que tout de même sa vie n’était pas très remplie. Vous, ça vous semble dérisoire tout ça. Vous, vous comprenez très bien que j’aie eu autre chose à ficher la semaine dernière que de regarder France – Écosse. Mais Jean-Pierre Jean, lui, il ne peut pas comprendre ça. Et d’ailleurs moi non plus je n’y arrive pas : je ne sais pas comment j’ai fait pour louper ce match. J’ai loupé je ne sais combien de matches de l’Équipe de France la saison dernière ! Je suis presque devenu quelqu’un d’autre ! En dépit de tout ce qui a pu nous séparer ces derniers mois je suis sans doute la dernière personne que JP s’attendait à entendre dire : Non, j’ai pas vu le match – mais paraît que j’ai rien loupé. Alors forcément Jean-Pierre il s’est demandé ce qu’on m’avait fait là-bas. Et encore : je ne lui ai même pas dit que dimanche dernier j’avais refusé d’aller taper le ballon avec mon frère… sans quoi il nous aurait fait un infarctus.

C’est qu’il s’en est passé des choses depuis mon dernier véritable rendez-vous chez JP (au mois d’avril) : Sarkozy est devenu Président, j’ai changé de boulot, Harry Potter s’est terminé, j’ai changé de ville, Sochaux a gagné la Coupe de France, ma mère a rencontré ma compagne, Philip Roth a remporté un 8989ème prix littéraire, j’ai arrêté de fumer, Pete Doherty a raté quatre cures de désintox, j’ai terminé de relire Faulkner, Jacques Martin est enfin mort pour de vrai, j'ai retrouvé mon ancienne ville, les Smashing Pumpkins ont ressorti un album, j’ai recommencé à fumer… tant de choses dont j’aurais aimé pouvoir parler avec Jean-Pierre mais qu’il n’était pas prêt à écouter. Parce que c’est comme ça, parce que c’est lui, parce que c’est moi. Parce qu’il aurait voulu que je lui parle d’amour et de football, et que ce n’était plus ce dont j’avais envie de parler avec lui.

J’ai senti que les larmes me montaient aux yeux au moment où je payais mes quatorze euros habituels. Les tarifs : voilà bien la seule chose qui n’avait pas changé entre Jean-Pierre Jean et moi. Avant que je quitte le salon il m’a serré la main, comme d’habitude… mais j’ai bien senti que le cœur comme le ballon n’y étaient plus. En me dirigeant vers la sortie j’ai réalisé à quelle point la vie était une grosse pute (bon : notez que j’en avais déjà une petite idée) : elle n’avait jamais su faire que séparer les gens, encore, toujours. A cause d’elle c’en était fini de J-PJ and me. Nous ne pourrions plus jamais retrouver notre complicité d’antan, pas plus que ne nous pourrions entretenir à l’avenir des rapports purement capillaires. Elle nous avait séparé Jean-Pierre et moi comme elle en avait séparé des milliers d’autres avant nous : Roméo et Juliette, Simon et Garfunkel, Elie et Dieudonné, Thierry Roland et Jean-Michel Larqué…

Alors dans un geste désespéré, je me suis retourné une ultime fois vers Jean-Pierre Jean, lui jetant une dernière phrase – telle la proverbiale bouteille à la mer :

« Et au fait… il a joué, Anelka ? »

D’une voix émue, Jean-Pierre a répondu… :

« Oui… »

J’ai souri. Il a souri. Et je suis parti. En me disant que tout ceci n'avait pas été en vain. Quelque chose survivrait à cette histoire belle comme une panenka ratée.

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