samedi 22 septembre 2007

... et il entra dans la Légende...

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Tout a commencé un jour de mai 2006. Un de ces jours où mes cheveux poussaient en l’air. Comme souvent. Ça durait depuis des années, alors je n’étais pas spécialement désemparé. En revanche j’en avais marre de chez marre de chez marre de payer une somme odieuse pour me les faire couper, sachant très bien que de toute façon trois semaines après ce serait à nouveau la pampa. Alors j’ai décidé d’aller tester le petit coiffeur en bas de ma rue, car il pratiquait des tarifs très en-dessous de ceux de ses concurrents. Il était très sympathique, et ressemblait trait pour trait au personnage décrit dans la toute première chronique de ce blog… qui peut être considérée comme la moins intéressante de toutes, puisque je me suis contenté d’y raconter des faits et rien que des faits (en les commentant vaguement). A l’époque, j’aurais été bien incapable de fictionner ma vie. Je n’étais même pas dans l’autofiction – c’eut été prétentieux de dire ça : j’étais dans l’auto-blabla-bloguien. Rétrospectivement, cette chronique, je la déteste. J’ai pris mal de galon depuis, et j’y suis sans doute moins pour quelque chose que vous, mes chers lecteurs. En me confisquant (littéralement) le personnage de Jean-Pierre Jean, vous m’avez contraint à me surpasser…

Enfin non : d’abord vous m’avez contraint à aller chez le coiffeur plus souvent. Ce qui est rapidement revenu à me contraindre de me surpasser, puisque Jean-Pierre Jean, à l’usage, s’est révélé beaucoup moins captivant que prévu. Je me suis rapidement rendu compte que ce Jean-Pierre Jean, en dépit d’éléments de base plutôt réjouissants, n’allait pas faire long feu. J’en avais fait le tour dès la première chronique. Seulement voilà : le personnage m’avait déjà dépassé, tout le monde l’adorait. Mieux (ou pire, c’est selon) : si je passais trois chroniques sans l’évoquer, tout le monde me le réclamait. Bref : j’ai fini par faire revenir Jean-Pierre Jean (qui d’ailleurs s’appelle… Alain Martin, et doit son nom de scène à un quiproquo : le nom sur la porte était encore celui de son prédécesseur ! Je m’en suis rendu compte un jour où j’ai payé par chèque)...

… dans une seconde chronique totalement fictive. Logique qu'il se soit retrouvé dans cet épisode à partager mon avis, puisqu'il ne faisait en fait que le répéter. Fictive certes, mais crédible : n’allez pas croire non plus que Jean-Pierre Jean soit né de rien. Mon coiffeur lui ressemblait réellement, physiquement, footballistiquement et psychologiquement parlant : c’était réellement un mec totalement enthousiaste dès qu’on lui causait foot, qui se déchaînait littéralement sur le sujet tout en gardant la distance ironique manquant à une grande majorité des footeux. De ce point de vue on peut tout à fait considérer que Jean-Pierre, enfin Alain, est un personnage réel. Il l’est pour moi. Ce sont juste ses aventures qui sont inventées.

Dans cette seconde chronique le Système Jean-Pierre Jean s’est mis en place presque de lui-même : puisque mon caractère de base était un fan de foot sain d’esprit, chacune de ses apparitions me permettrait à l’avenir de parler de foot avec humour, légèreté, second degré…etc. De parler en somme d’un truc que j’adore – car j’adore le foot – mais avec une certaine retenue, sans sombrer dans les clichés et surtout sans emmerder ceux qui n’aimaient pas et en bouffaient déjà des kilos à quelques jours de la Coupe du Monde 2006. Car ce qui m’a frappé dès ce second volet de ses pérégrinations, c’est qu’il était finalement plus populaire chez ceux qui n’aimaient pas le foot que chez ceux qui adoraient ça ! Voilà qui était pour le moins étonnant… et en même temps extrêmement savoureux : je n'ai pas vraiment de sympathie pour le fan de foot de base. Créer un fan de foot qui plaisait aux non fans (voir même aux détracteurs) de ce sport, ça m’a fait son petit effet. Le coup de le rencontrer dans la rue était un peu osé et assez peu crédible à mon sens. Mais ça m’a débridé de voir que tout le monde me suivait, parce qu’à ce moment là les chroniques sur JP obéissaient à l’une des plus célèbres lois fondamentalement fondamentales de l’univers : plus c’est gros, plus ça marche. Après la seconde chronique, la popularité de mon héros a encore augmenté… ça devenait dingue, à un moment je ne pouvais plus écrire le moindre article sans que les termes Jean-Pierre Jean ne réussissent à se glisser subrepticement dans les commentaires. La Coupe du Monde approchant encore un peu je me suis dit : Ah ok, vous voulez du Jean-Pierre Jean ? Ah bah vous allez pas être déçus, les gars !

Footmania oblige, il a trusté les chroniques pendant plusieurs semaines. Plus il apparaissait, plus il prenait corps, et plus il semblait encore plus crédible. Après le coup du Super-U, il fut acquis pour tout le monde qu’il pouvait surgir n’importe où, n’importe quand (il a même fini par surgir dans une chronique d'un copain sur son propre site !). La footmania allait-elle déclencher une mini jipéjimania ? Oui et non. Oui car un peu comme pour Les Chroniques d’Amour Gloire & Beauté, dont la plupart des lecteurs de l’époque me parlent encore souvent, Jean-Pierre a réussi à carrément dépasser son statut de personnage. Récemment interrogés sur les chroniques qu'ils préféraient, mes amis proches ont tous cité (sans la moindre exception) au moins une chronique mettant en scène mon valeureux coiffeur. Tout cela reste certes au niveau plutôt modeste du Golb, mais tout de même : vous seriez forts surpris si je vous disais combien de fois il est réellement apparu. Il est probable qu’en réalité le nombre soit très inférieur à celui que vous me donneriez spontanément. Pour revenir à la question : oui. Et non, car ce qui devait arriver a fini par arriver : je m’en suis lassé. Je m’en suis même lassé très vite : dès la quatrième apparition, il ne me chauffait plus que très moyennement. Je ne vais pas vous jouer le couplet de l'acteur enfermé dans son rôle, mais voyez-vous, j'ai rapidement ressenti pour Jean-Pierre Jean l'attachement qu'on a parfois pour son ex. Je le retrouvais avec plaisir, certes... mais les autres chroniques, j'y prenais du plaisir tout en répondant à un besoin plus profond. C’est qu’au fil des chroniques, j’ai pas mal progressé, à tout point de vue. Jean-Pierre Jean, ma première créature, est devenu rapidement très limité. Normal : au niveau strictement technique ses caractéristiques étaient très peu nombreuses. Il aimait le foot, il était toujours content – et après ? A ce moment-là je n’étais même pas vraiment certain qu’il survivrait à la Coupe du Monde, d’autant que j’avais trouvé des tas de nouvelles manières de raconter des conneries sur le foot. Par conséquent dans Les Retrouvailles, il eut le malheur de se faire reléguer au second plan à mi-chronique – ce que je n’avais pas du tout prévu : juste, en cours de route, me suis-je aperçu que je risquais de tourner en rond. La surenchère n’est jamais bonne, tout le monde vous le dira. J’en ai réellement pris conscience ce jour-là, parce que j’étais réellement retourné voir Alain Martin pour recharger un peu mes batteries… et qu’il m’avait affreusement déçu ! Il m’avait quasiment reproduit mot pour mot la première chronique, ça n’avait strictement aucun intérêt. Normal au demeurant : quand on a une passion et qu’on en parle souvent, on finit tous par ressasser. C’est très humain. Presque aussi humain que le fait de respirer, dormir, bouffer ou mourir…

... et ce disant j’ai pensé à tuer Jean-Pierre Jean. Je ne vous cacherai pas que j’ai compris très vite pourquoi les personnages de soap n’avaient de cesse de ressusciter : outre les réclamations du public, ça fend un peu le cœur de tuer un héros. Je n’avais pas envie qu’il ait une mort « normale », et d’un autre côté je n’arrivais pas à lui trouver une mort poétique. Ce fut une période extrêmement frustrante, d’autant que je devais en plus accepter l’idée que tout le monde saurait à ce moment que Jean-Pierre n’existait pas. Il y a même eu, sans déconner, une ou deux nuits où ça m’a empêché de dormir. Je me relevais trois, quatre fois… je commençais à écrire un truc, je le supprimais… un vrai cauchemar. Jusqu’à ce que je pense à écrire L’Infidélité - ce qui m’a quand même demandé plusieurs semaines de réflexion. Créer une rupture avec Jean-Pierre Jean me permettait de l’écarter sans le tuer, et de me le mettre de côté au cas où j’aurais eu une envie subite de causer foot (ou une panne d’inspiration). C’est finalement le même ressort que dans une série quand un des acteurs part tourner un film : on lui invente un voyage d’affaires, il tourne son film, s’il veut revenir il revient et sinon il rencontre l’amour en Amérique et envoie une carte postale à ses quatre enfants pour leur expliquer qu’il ne reviendra jamais mais qu’ils peuvent venir le voir s’ils ont des vacances (ou un film à tourner). Ce n’est pas du tout crédible dans la vraie vie, mais les aventures de Jean-Pierre Jean ne l’étaient plus depuis un moment – exactement comme n’importe quelle série au bout d’un nombre donné de saisons.

Après ce qui fut longtemps l’ultime apparition de Jean-Pierre Jean, je n’étais pas peu fier. Non pas d’être parvenu à filer une métaphore sur la durée d’une chronique, ça ça reste quand même relativement facile. Non, j’étais très fier d’avoir réussi à détourner JP de son statut d’éternel footeux. Il semblait avoir trouvé un second souffle d’autant plus savoureux que plein de gens m’ont écrit après pour me demander s’il y avait un message caché dans cette micro-nouvelle. La réponse est : non. A vrai dire je n’ai réalisé qu’après coup que vous pourriez vos poser des questions. Pour moi il était évident que tout cela n’était qu’une vaste blague, mais c’est vrai que si jamais j’avais voulu écrire un truc à double entrée je n’aurais sans doute pas fait mieux. Un second souffle, donc, qui s’est évaporé très vite : certes, dans la foulée, j’ai écrit Le Cocu magnifique, chronique non publiée pour cause d’autoplagiat (il s’agissait peu ou prou de la même chronique que L’Infidélité, sauf qu’on se retrouvait, mais bon : la métaphore était identique). Après quoi plus moyen de faire revenir Jean-Pierre Jean. Même pas pour le tuer. Pour dire les choses dans leur crudité la plus nue : je n’avais plus envie de lui. Mon déménagement été le coup de grâce au moins autant que la libération : il était absolument injustifiable que Jean-Pierre Jean me suive à l’autre bout du pays. On aurait touché à l’épineuse question du vrai et du vraisemblable. J'en vois deux ou trois dans le fond de la classe dont les yeux s'arrondissent.. .je vais donc par souci de clarté vous ressortir mon exemple le plus fumeux à ce sujet : si au milieu de Star Wars Episode III Darth Vader se mettait à se téléporter d’une planète à l’autre, ce ne serait pas plus vrai que toute la saga, en revanche ce ne serait absolument pas vraisemblable par rapport à tout le reste d’une histoire où il circule en vaisseau spatial. Ça ne le redeviendrait à la limite que si on nous trouvait une explication au fait qu’il ne le fasse plus… et encore il faudrait qu’elle tienne très bien la route. Vous voyez ce que je veux dire ? En bien il en allait de même pour Jean-Pierre Jean, qui n’était certes pas un personnage réel mais s’était toujours inscrit dans un univers réaliste. Autant il eût été plausible, et donc envisageable, qu’il se recyclât en devenant entraîneur d’une petite équipe de foot de province (l’idée m’a effleuré à un moment), autant il eût été inenvisageable de le faire tout plaquer pour me retrouver à Chypre. J’avais donc fini par me résoudre à une disparition pure et simple, même pas expliquée puisqu’en plus je n’arrivais toujours pas à écrire sur ce fuckin’ coiffeur.

Le 09 juillet 2007, soit donc moins de vingt-quatre heures avant mon départ en vacances que j’ignorais alors devoir voir se prolonger, voilà qu’une idée me vient : écrire une chronique dont le titre aurait été Comme d’habitude et la base la célèbre chanson de Claude François. J’aurais évoqué l’usure de mon couple avec Jean-Pierre Jean, en essayant de coller au texte original, un genre d’exercice de style un peu con qui m’aurait permis de dire au revoir dignement à mon unique véritable héros récurrent (enfin du moins : le seul qui ait atteint un tel degré de fiction)… voilà qui me paraissait très excitant et aurait pu déboucher sur quelque chose de bien si mon ordinateur n’avait pas décidé de griller pile à ce moment-là. A la fin de l’été j’en étais à me demander si Zidane lui-même n’avait pas voulu m’empêcher de mettre fin à cette fructueuse collaboration. En désespoir de cause, j’ai avoué à ma tendre compagne que je voulais faire revenir Jean-Pierre Jean une dernière fois, mais que j’ignorais comment. En général quand j’ai un doute sur une chronique ou une critique, elle a toujours les mots qu’il faut pour me débloquer. En général, oui, mais là : non. Je crois même qu’en fait, J-PJ, elle s’en bat la race (comme disent les jeunes). Elle n’aime pas plus le foot que les coiffeurs – c’est vous dire le peu de temps que je passe à réfléchir avant de demander conseil à quelqu’un. Les évènements se sont alors enchaînés à vitesse grand V. L’emménagement ayant été annulé, je me suis retrouvé à nouveau à Rouen, en proie à certaines angoisses… que je pouvais transposer dans notre cher Jean-Pierre ! Il n’y a pas plus de sens caché dans Nous ne vieillirons pas ensemble que dans L'Infidélité. Il serait un peu bêtat, voire carrément insultant de croire le contraire. C’eût été un peu trop transparent à mon goût. Et du point de vue moral autant vous dire que si je devais rompre avec la femme que j’aime je trouverais des moyens autrement plus probants qu’une chronique avec Jean-Pierre Jean (d’autant que si vous avez tout bien suivi vous savez déjà qu’elle s’en fout de ce pauvre homme). A plus forte raison parce que j’aurais trop peur que la personne ne me lise pas – ou alors qu’elle me lise sans comprendre que cela lui est destiné. La seule fois où j’ai tenté un truc similaire, la personne n’a rien pigé à la chronique et a pris ça pour un hommage. Ça m’a un peu refroidi. Donc non, pas de double entrée, pas vraiment, dans ce texte. Mais c’est sûr que pour évoquer correctement ce désamour il m’a fallu me poser sérieusement la question une seconde… me projeter, ce qui n'a pas forcément été très agréable.

C’est pour cela que je vous annonce aujourd’hui, non sans émotion, que Jean-Pierre Jean ne reviendra jamais. Je sais bien que la rumeur l’annonçait commentant le prochain Euro 2008, que d’autres encore plus retors prétendaient qu’il ne s’agissait que d’une rupture temporaire… ce ne sont hélas que des on-dit, on-dit que cette chronique rendra définitivement caduques. Car c’est bien pour cette raison que je l’ai écrite… non pas tellement pour le plaisir de vous montrer à quel point je suis trop fort (enfin si, un peu, vous me connaissez !), pas plus pour démystifier le truc ; même pas pour proposer un petit séjour dans les coulisses du journal (j’ai horreur du making of)… mais pour résister à la tentation de ressusciter Jean-Pierre Jean une nouvelle fois, quitte à écrire la chronique de trop. Je crois que cela m'avait déjà guetté avec Amour, Gloire & Beauté d'ailleurs : ne plus pouvoir m'arrêter. Ne pas être capable de me dire que là, ok, c'est mignon mais ça devient lourd. C’est ma grande peur, vous savez : devenir une parodie de moi-même (et donc le cas échéant produire une parodie de Jean-Pierre). Je suis obligé de me gendarmer en permanence pour lutter contre ma tendance bien connue à la facilité. De travailler deux fois plus qu’avant afin de proposer chaque fois une chronique différente des précédentes. C’est bien pourquoi la fin de ce journal a été programmée à une date connue de moi seul il y a déjà quelques mois… fin qui je l’espère me contentera autant que celle de Jean-Pierre Jean. De manière à ce que pour une fois, je ne me sente pas obligé d’en rajouter une couche. Comme je l’ai fait, un peu à regret, en ce qui concerne mon coiffeur. Qui n'a jamais eu besoin de moi pour être un homme extraordinaire.