dimanche 17 juin 2007

Requiem for a Nun - Faux-semblants

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Il ne vous aura pas échappé que je ne commets jamais cette hérésie consistant à faire la critique d’un texte théâtral. Il m’arrive certes d’en lire, cependant de même que je ne me vois pas faire la critique du nouveau Nine Inch Nails avec pour seul appui sa partition, je ne vois pas trop l’intérêt de commenter une pièce de théâtre à partir de son seul texte. Étudier des fragments d’œuvre m’intéresse assez moyennement. Et qu’on ne vienne surtout pas me contredire – ça me mettrait très en colère. Je n’ai jamais pensé qu’un texte théâtral ne pouvait pas être intéressant, simplement que c’était juste un morceau d’œuvre, affirmation assez difficile à infirmer.

Pour Faulkner comme pour quelques autres cependant, je ferai une exception. Non pas uniquement parce que Faulkner est le Maître Absolu, mais aussi et surtout parce que Requiem for a Nun n’est pas une vraie pièce. C’est plutôt un roman uniquement composé de dialogues (comme quoi la pauvre Amélie Nothomb n’a pas inventé grand chose – ok : on le savait déjà) dont on pourra raisonnablement douter qu’il ait été fait pour la représentation. Un genre d’inverse de La Chute, de Camus, dont il m’a toujours semblé que ce pourrait déboucher sur un remarquable one-man-show (!). Camus justement réalisa une excellente adaptation de Requiem for a Nun… tellement excellente à vrai dire que Requiem pour une nonne (authentique pièce de théâtre, pour le coup) a fini par totalement éclipser le livre de Faulkner (alors que c’est pourtant un travail nettement moins passionnant que celui que fit Barrault avec As I Lay Dying / Autour d’une mère - pièce pour sa part totalement oubliée). On ne dira pas de mal de Camus ici : Camus est Grand, Camus est Beau, Camus est un des plus grands écrivains de tous les temps… pas très loin de Faulkner – c’est bien pourquoi il faut lire le roman aussi.

L’idée en fera peut-être bondir quelques uns mais je me suis toujours dit que si Faulkner était vivant aujourd’hui, il écrirait certainement une série télé – juste pour explorer les possibilités narratives infinies offertes par ce format. Toute l’œuvre de Faulkner n’est-elle pas, après tout, un immense feuilleton, avec toutes les figures imposées du genre (lieux quasi uniques, personnages récurrents, fresques historiques, intrigues « fil rouge » permettant de développer des thématiques variées, histoires parallèles…) ?

En ce sens Requiem for a Nun est son ouvrage le plus intéressant, puisque c’est purement et simplement une "séquelle" (au sens anglo-saxon du terme) à différents romans de l’auteur. Il repique un personnage secondaire de Sanctuary - Temple Drake ; un autre de That Evening Sun - Nancy Manigol ; un troisième d’Intruder in the Dust - Gowan Stevens… et les parachute dans une nouvelle intrigue vaguement policière (comme souvent chez Faulkner) et assez passionnante puisque reposant sur le dévoilement progressif d’atroces secrets dont nous ne dirons rien ici.

Si l’écriture est immédiatement identifiable, le texte en lui-même ressemble assez peu aux travaux habituels de William Faulkner : intrigue unique concentrée sur peu de pages, nombre restreint de personnages et, donc, dialogues – alors même que Faulkner n’est pas le plus grand dialoguiste de tous les temps. Ses romans en contiennent relativement peu, et l'on sent d’ailleurs qu’il n’est pas toujours à l’aise dans ce registre. Ici ou là les répliques perdent toute crédibilité, noyées sous de longues métaphores filées assez transparentes… ce qui d’une manière sans doute involontaire renforce le sentiment de trouble qui parcourt le lecteur, au fur et à mesure que cette histoire particulièrement sordide se déroule. Car en dépit de ces quelques approximations strictement techniques Faulkner réussit son pari : caractériser des personnages juste par leurs voix respectives et créer un malaise à partir de quelques mots, de quelques silences… Généralement utilisé dans ses œuvres comme une diversion, le suspens devient dans Requiem for a Nun le principal ressort narratif, de plus en plus troublant, de plus en plus insoutenable… jusqu’au climax tant attendu – la simple idée d’un vrai grand climax dans un livre de Faulkner pouvant pourtant sembler incongrue.

Un très bon livre, donc, injustement mésestimé et à (re)découvrir d’urgence.


👍👍 Requiem for a Nun 
William Faulkner | Vintage, 1951