mardi 5 juin 2007

Chris Cornell - Brûler ses idoles...

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Il y a dix ans, Soundgarden splittait et laissait les amateurs de grunge en plein désarroi. C’est que Soundgarden (le plus métallique des groupes de Seattle), c’était quelque chose ! Combien sur la scène grunge pouvaient se vanter d’avoir publié autant d’albums aussi réussis ? Aucun. Doyens du mouvement, Kim Tahyil (guitares sismiques) et Chris Cornell (voix en or) mettaient définitivement la clé sous la porte en 1997, sans espoir possible de réconciliation.

Dix ans plus tard on a un peu perdu la trace de Tahyil mais les autres exs Soundgarden n’ont jamais vraiment quitté le devant de la scène. Qui aux côtés de Mark Lanegan (Ben Sheperd), qui aux fûts de Pearl Jam (Matt Cameron)… quant à Chris Cornell, après un premier album attachant il intégra le supergroupe Audioslave et…

… pouces !!!! Pour les lecteurs qui ne seraient pas des spécialistes de ce jargon musical que j’aime à employer régulièrement pour faire mon intéressant, un supergroupe n’est pas contrairement à ce qu’indique son nom un groupe super. Un supergroupe est en fait un groupe constitué de membres d’autres groupes connus, et qui du coup devient forcément connu aussi – même si force est d’admettre que ce n’est pas toujours très justifié. En l’occurrence, Audioslave était un supergroupe réunissant le chanteur de Soundgarden et le power-trio de Rage Against The Machine pour faire une musique que l’on qualifiera de post-grunge et dont l’honnêteté, ma foi, n’a jamais été remise en cause. Mieux : le premier album d’Audioslave était tout à fait charmant, jouant sur une nostalgie (celle du grunge pachydermique) qui servit de marchepied à une floppée de baltringues (Nickelback, Puddle Of Mud, voire la dernière incarnation de Limp Bizkit) et à un groupe d’ores et déjà légendaire (et qui aurait de toute façon cartonné) : Queens Of The Stone Age. Pile au milieu de ça (c’est à dire entre le génie des derniers et la médiocrité sidérale des autres), Audioslave creusait peinard son sillon jusqu’à ce qu’un connard de chez Europe 2 ne décide de faire de « Be Yourself » (extrait de leur second opus) son single du mois de septembre 2005. Chris Cornell et ses acolytes l’ignoraient peut-être encore mais nous, on savait déjà tous que c’en était fini d’Audioslave.

Non pas que succès rime fatalement avec nullité. Des groupes aussi divers que les Red Hot, Radiohead, R.E.M… ont prouvé, qu’on les aime ou non d’ailleurs, qu’on pouvait concilier succès de masse et démarche artistique. Non : le problème avec Audioslave était que leur musique ne méritait pas d’avoir autant de succès. C’était un groupe de metal / rock costaud (couillu, même), à savoir l’archétype du truc vachement sympa quand il vend 100 000 exemplaires et insupportable quand il en vend 2 millions, pour la simple et bonne raison qu’il y a quand même franchement plus intéressant. Audioslave, qui avait déjà glissé pas moins de six ballades sur son premier disque, acheva de sombrer dans le rock de balloche au moment du troisième album, entraînant le départ d’un Chris Cornell pour qui je dois l’avouer je n’ai jamais eu que de la sympathie.


Ironie du sort, l’ultime album d’Audioslave (pff… ce nom !) marquait la prise de contrôle de Cornell sur ses camarades. Principal artisan de cette œuvre particulièrement pompière et dépourvue de la moindre mélodie intéressante, on voit mal pourquoi il se serait subitement mis à faire un truc vachement bien sur son second album solo. Dont acte : il ne fait qu’y décliner une formule déjà bien éprouvée par ses deux ex-groupes, celle du rocker tatoué mais qui souffre et qui bande ses muscles quand il souffre. Cornell s’est-il reconverti dans la vente de guimauve ou bien en a-t-il toujours fait (auquel cas mes oreilles auraient été extrêmement mal formées quand j’avais quatorze ans et que je le vénérais – théorie somme toute plausible), on n’arrivera sans doute jamais à trancher. Il n’en demeure pas moins que le lyrisme poussif d’un truc comme « You Know My Name » fait frémir, surtout emballé dans une prod plus éfème qu’FM – vous me direz : Steve Lillywhite est à la console (cela devrait suffire à faire fuir pas mal d’entre vous). « Poison Eye », « Scar on the Sky », sont censées on l’imagine être des sommets, avec des belles montées en puissance mécaniques façon « Shadow on the Sun » (Audioslave) ou « Blow the Upside World » (Soundgarden), hélas totalement désincarnées, comme si on écoutait le disque d’un robot. D’ailleurs Cornell ressemble de plus en plus à robot lorsqu’il chante tant ses poussées de voix (certes impressionnantes) sont prévisibles deux minutes avant, les morceaux étant toujours construits suivant le même schéma (les powers-chords et tout le bazar), qu'il l’utilisait déjà sur les albums d’Audioslave. Dans ses meilleurs moments, Carry on rivalise avec les meilleurs titres du dernier Linkin Park et…

… noooooon, ne riez pas ! C’est méchant de se moquer comme ça, parce qu’il est mignon Cornell, et puis il sait faire de la belle ouvrage finalement, du produit formaté, calibré, surproduit, parties de guitares couvertes de réverb’ et de disto pour faire rock et… pfffiou… je vois que vous riez encore ! Je crains de ne pas pouvoir finir mon article. Qui du coup sera un foirage au même titre que Carry on, dont le principal péché n’est pas tant d’être un album archi-commercial et en tout cas totalement radiomical que d’être un mauvais album radiomical. Tout de même, la vie est marrante : le premier album solo de Cornell, Euphoria Morning, était très bon. Mais il ne s’était pas vendu, car le chanteur avait eu l’idée (totalement dingue) de ne plus hurler de sa voix de velours et de tenter autre chose… je ne voudrais pas ériger ça en règle, mais je note juste qu’avec Carry on, une fois de plus, c’est la daube qui va se vendre par palettes.

Une jolie justification à l’existence de cette rubrique, non ?


👎👎 Carry on 
Chris Cornell | Interscope, 2007