mardi 19 juin 2007

Anatomie d'un changement

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Cela semblera sans doute incongru aux plus jeunes (enfin : aux plus jeunes qui connaissent Pearl Jam, c’est à dire 10 % de la population des moins de vingt ans), mais le groupe d’Eddie Vedder n’a pas toujours publié dix albums lives par an. Bien au contraire, il fut un temps où les fans réclamaient à corps et à cri même pas des enregistrements publics – juste des concerts.
 
A la fin des années 90 en effet, Pearl Jam cessa de tourner à peu près en même temps que ses tontons athéniens de R.E.M. (qu’ils évoquent d’ailleurs souvent sur ce disque-ci). La différence étant que le groupe de Michael Stipe fut littéralement obligé par sa maison de disque de retourner au charbon tandis que si Pearl Jam le fit, ce fut uniquement pour faire plaisir à son public (relativement restreint en France mais tout bonnement sidéral aux États-Unis). Résultat des courses : après quelques concerts chez eux en 1998, les quatre (pas encore) vétérans de Seattle publiaient leur premier live après dix ans de carrière et cinq albums.
 
Ils ont repris goûts aux tournées depuis et contracté cette étrange manie d’enregistrer et de publier tous leurs concerts, mais en 1998 ce disque était vraiment un événement et fut préparé comme tel – ce qui explique peut-être sa supériorité manifeste sur ses petits clones. Un show exceptionnel, capté avec le top du top du matériel d’enregistrement, et un groupe au sommet de son art…que demander de plus ? Un concert de Pearl Jam est toujours un peu plus qu’un concert tant la communion entre le groupe et son public est absolue. Un peu à la manière de… R.E.M., justement.
 
 
A chaque écoute de Live on Two Legs la même question me taraude : y-a-t-il dans l’histoire des lives une ouverture de concert plus spectaculaire et plus péchue que « Corduroy » ? Peut-être, mais certainement pas dans l’époque contemporaine. Pearl Jam a longtemps été victime d’un malentendu tenace : voir en lui un groupe de rock voir de hard rock alors que ce serait plutôt un excellent groupe pop. Beaucoup plus aise à l’aise dans le registre ballade ou mid-tempo, le groupe aura mis une décennie à enfin se décomplexer et lâcher des titres pieds au planché réussis… et « Corduroy », nerveux et bondissant, mais aussi plus loin « MFC » ou « Do the Evolution », rachètent une décennie d’errements vedderiens chaque fois que le rythme s’emballait.
 
Vedder, donc, qui tient la baraque comme on pouvait s’y attendre, étale insolemment son charisme au long des seize plages du disque sans flancher à aucun moment… rien de nouveau sous le soleil. Ce qui l’est plus, c’est que le groupe derrière assure. Jamais sans doute les guitares de Stone Gossard et Mike McCready ne s’étaient aussi bien entendues, chacun alternant rythmiques et soli avec une commune élégance que partage Jeff Ament – le discret bassiste et (personne ne le dit jamais) fondateur du groupe. La cohésion affichée par ces quatre là après dix ans à se tirer dans les pattes force l'admiration. D’autant que cette fois-ci, ils ont trouvé la perle rare : on saura gré à Soundgarden d’avoir splitté et mis Matt Cameron au chômage, lequel s’ébroue désormais en tant que batteur de Pearl Jam avec une maestria que Dave Grohl fut sans doute le seul cogneur grunge à éclipser. Cameron est plus que bon, il est génial. Avec lui à la batterie, « Even Flow », « Daughter », « Hail Hail »… tous classiques qu’ils soient, sont carrément de nouveaux morceaux. On entend quasiment que lui derrière Eddie Vedder, et pour parler jeune : c’est que du bonheur – surtout « Hail Hail » avec sa rythmique brisée sur le refrain.
 
Les ballades sont bien sûr toujours au rendez-vous et toujours émouvantes… « Untitled », « Nothing Man », « Betterman » (beaucoup plus nerveuse qu’à l’accoutumée), « Black »… Pearl Jam n’a nullement remisé l’émotion au vestiaire, et l’on est même parcouru par un long frisson lorsque Gossard caresse le riff d’ « Off Ge Goes » - la plus belle chanson du groupe ici livrée dans une interprétation purement et simplement insurpassable. Mais pour la première fois peut-être sur un disque de Pearl Jam, on n’a décidément d’oreilles que pour ces moments de rage froide que sont « Go » ou le très psychédélique « Red Mosquito ».
 
Certains faits ne trompent pas. Après 1998, Pearl Jam va :
 
- tourner à s’en faire péter la panse
 
- rejouer sur scène certains titres laissés pour compte, les agressifs des tous débuts et même certains de sa précédente incarnation : Mother Love Bone
 
- cesser de changer de batteur à chaque disque et garder le tonitruant Cameron
 
- radicaliser son propos en même temps que sa musique
 
- publier avec Riot Act puis Pearl Jam deux de ses plus grands disques
 
- regagner la crédibilité perdue depuis le milieu des années 90.
 
Oui : quelque chose a clairement changé chez Pearl Jam à partir de 1998. Et ce quelque chose figure sur Live on Two Legs : le groupe autrefois adulé de millions d’ados est devenu adulte. Et là où d’autres n’ont fait qu’y laisser des plumes, eux y ont encore gagné des galons.


👍👍👍 Live on Two Legs 
Pearl Jam | Epic, 1998

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