jeudi 24 mai 2007

Règlement de comptes

[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - N°69]
Scenes from a Memory - Dream Theater (1999)

Le voilà donc, l’article sur Dream Theater, attendu par beaucoup avec autant de ferveur que les Milanais attendaient le match de mercredi dernier. Je me trompe où il y a dans l’air comme un petit parfum de règlements de comptes à Okay Blogosphère ? Hum… bon ! Rappelons pour les non-initiés (ainsi que pour tout ceux n’ayant pas suivi l’histoire) que cet article est attendu depuis la chronique sur Rush, qui dévia dans les commentaires sur le prog puis sur Dream Theater, faisant de moi un genre de paria : le seul blogueur prêt à affirmer haut et fort qu’il aimait Dream Theater.

(ok, j’en fais un peu beaucoup, mais c’est pour faire monter la sauce – façon prologue d’un débat présidentiel for example)

Seulement voyez-vous, il y a erreur sur la personne : je n’ai jamais eu l’intention de défendre Dream Theater, qui s’expose tout seul aux railleries de tout ordre depuis des années. A dire vrai sans ce petit débat d’il y a quelques mois ça ne me serait même pas venu à l’esprit d’entamer ma chronique par un plaidoyer en faveur du metal-prog… et pour cause : c’est un des (sous) genres musicaux que j’exècre le plus au monde. Dream Theater est vraiment pour moi l’exception qui confirme la règle. Le reste, les Vanden Plas, Pain Of Salvation et j’en passe, ça me soûle passablement. Moins cependant que les résidus de dommages collatéraux qui émergèrent à la même époque, toutes ces conneries baptisées true-metal en réaction on suppose à un false-metal (qui en gros engloberait toute forme de heavy-metal osant le pari du melting-pot et se mélangeant avec l’électro, le rock, la pop voire – horreur – le rap). Les Hammerfall, Rhapsody et consorts, êtres hybrides bâtissant une musique inaudible à partir de deux albums d’Emerson Lake & Palmer et de quatre riffs d’Iron Maiden passés au rouleau compresseur au moment du mix. Ces gens-là (qui n'ont pas grand-chose à voir avec Dream Theater) acceptent tout au plus d’être comparés au classique (en toute modestie), ce qui leur fait au moins un point commun avec certains rockers progressifs originels.

Le rock prog, kesako ? Pour réponse et pour gagner du temps, je vous renvoie à cet excellent article de G.T., voire à la chronique de King Crimson par Manœuvre dans le dernier Rock & Folk (en ce moment Philou est très énervé contre certains 'neuneus du net " – Chtif ? – critiquant son journal, alors du coup j’ai décidé de dire un truc sympa sur lui, et le fait est que je n’ai pas eu à me creuser trop longtemps puisque son article est très réussi – comme souvent dans cette rubrique).

Le metal-prog, fort logiquement, c’est à peu près la même tambouille… mais couplée au metal (finalement c’est pas bien compliqué). Et Dream Theater en fut le parangon, comme Crimson pour le versant rock de cette sous catégorie. Et si j’osais (allez : j’ose !) je dirais que Dream Theater est le King Crimson du metal-prog. Non tant en termes musicaux qu’en matière de représentation. Contrairement à leurs collègues, ces deux groupes ont été des pionniers ; ils ont évités l’écueil de la prétention Je suis aussi fort qu’un musicien de classique regardez la belle structure de cette symphonie électrique (laissant ça aux Deep Purple, champions toute catégorie du truc heavy symphonique hideux au point que là où tous les autres en sortirent un eux le firent au moins quatre fois) ; surtout ils ont témoigné d’une ouverture d’esprit très supérieure à celle de leurs collègues. De ce point de vue, Scenes from a Memory est un exemple parfait.


Loin du tout venant de la production du genre, cet album (le cinquième des américains) n’a pas grand-chose de metal-prog. Ni dans l’esthétique (certes ils ont un look ridicule, mais leur musique ne véhicule pas les conneries habituelles issues d’une régurgitation tolkiennienne), ni dans la musique… prog, certes, mais franchement pas metal. Trop de piano, trop d’arrangements de cordes, trop de mélodies. C’est ce que beaucoup de rock critics (eurk) ne comprennent pas : on peut faire un truc heavy sans faire du heavy metal. Et si Scenes from a Memory est effectivement régulièrement massif, il tape finalement assez peu dans le registre hard-rock. D’ailleurs, signe qui ne trompe pas, les principales influences de Dream Theater se situent plutôt dans une sphère rock dite « généraliste » : Pink Floyd, Led Zeppelin, Blind Faith… une culture plutôt sympa donc (ok, ils ont aussi repris du Queen, personne n’est parfait) alliée à une curiosité pour les nouveaux sons bien rare dans l’univers du metal. Ainsi Mike Portnoy, batteur et maître à penser du groupe, n’a jamais caché que parmi ses groupes préférés se trouvaient rien moins que Tool, Radiohead et Nine Inch Nails… de quoi faire frémir l’amateur de musique cloutée, pour un peu qu’il y accorde de l’importance.

Sauf que ça marche, pour une raison qu’on ignore complètement : Dream Theater, groupe éclectique avant d’être virtuose, plaît certes au public traditionnel du metal mais aussi à des gens comme moi – à savoir des gens qui écoutent de tout sans œillères. Comme quoi parfois l’indépendance d’esprit paie, et pour une fois qu’on tombe sur un groupe qui réussit à s’affranchir de son étiquette initiale sans se retrouver à faire la manche ce serait triste de se plaindre.

Le concept de Scenes From A Memory, avec ses voyages dans le passé, sa quête métaphysique au travers de l’inconscient… etc, semblera à coup sûr fumeux à… euh… presque tout le monde en fait. Heureusement ça n’a qu’une importance limitée : chaque titre se suffit à lui-même, ce qui sauve le disque de la connerie sidérale et sidérante et lui confère un côté opéra rock plutôt sympathique dans sa démesure (et là encore, si je vous le dis c’est que c’est vrai : je HAIS les opéra-rocks !). Après tout le concept de Ziggy Stardust est probablement encore plus bête, mais qui l’écoute encore aujourd’hui en se disant : wow, Ziggy c’est un putain de concept album ? Personne. Les chansons ont fini par dépasser leur contexte, ce qui n’est pas plus mal. Toute proportion gardée on peut souhaiter la même chose à Scenes from a Memory.

(je viens de penser subitement à Tommy, et là je me dis : n’est-il pas inscrit quelque part dans la définition du concept-album que ça doit être monumentalement con pour être réussi ?)

Ce qui me rend cet album d’autant plus attachant (plus que n’importe quel autre du même groupe, en fait), c’est son côté… artisanal. Sous ses dehors rutilants, Scenes from a Memory est un disque autoproduit, fabriqué à la maison, sur lequel ses auteurs planchèrent pendant des années… Dream Theater, d’une manière plus générale, s’est construit à l’huile de coude et rien d’autre. Pas franchement prometteur sur la ligne de départ (le premier album, When Dream & Day collides, est une daube ; le second, Images & Words, juste correct), le groupe est devenu l’un des plus importants de sa génération sans jamais bénéficier de l’aide de personne. Même la presse « spécialisée » les taillait au départ… jusqu’à rendre les armes en 1999. Mais mes souvenirs des critiques d’Awake (1994) voire de Falling into Infinity (1997) ne sont pas très enthousiastes. Ces disques pourtant réussis étaient qualifiés, je vous le donne en mille : de commerciaux. Parce que contrairement à la concurrence Dream Theater osait le refrain qui se retient et la chanson de quatre minutes… pas du tout pour vendre, non : juste parce qu’un album uniquement composé de titres à rallonge c’est intenable. Et qu’ils l’ont toujours su. De fait sur les disques de DT, et particulièrement sur celui-ci, les longueurs de morceaux sont assez raisonnables par rapport à celles d’un Spock’s Beard.

Scenes from a Memory n’échappe pas à cette règle, renforcée par la diversité des genres évoqués : « Regression » ouvre dans un registre presque pop, enchaîné avec « Overture 1928 » - morceau typiquement dreamtheaterien. Puis la machine s’emballe, entre titres metal à la construction hallucinante (« Strange Déjà-vu », « Fatal Tragedy »), incursions dans le domaine de la fusion / trash / neo (appelez ça comme vous voulez, en gros ça désigne le riff sismique et sursaturé – soit donc pas du tout metal-prog selon la définition du genre – de « Beyond This Life »), break free-jazz (ou free-rock si vous voulez, très Crimson en fait : « The Dance of Eternity ») et même un morceau quasi soul : la jolie bluette « Through Her Eyes ». Vous ajoutez un truc pyramidal (très prog pour le coup) comme « Home », un morceau presque power-pop avec « The Spirit Carries on »… et vous n’avez plus qu’à conclure le milk-shake avec le grand final de rigueur, « Finally Free », qui de préférence va mélanger tout ce qui a été énoncé précédemment.

Où est le metal-prog là-dedans ? Les structures des morceaux sont certes complexes, mais pas de quoi effrayer quiconque a déjà écouté du classique ou même plus généralement du prog anglais des seventies. Chose rare, les mélodies sont limpides. Elles se retiennent et, oui, on peu siffloter les chansons de ce disque (peut-être parce que justement ce sont des chansons et pas une espèce d’assemblage de soli éparses), ce qui n’est pas le cas de toutes les chansons de tous les disques de prog – et n’est même pas le cas pour tous les disques de ce groupe précis. Quant à la démonstration pompeuse, reproche quasi systématique fait à Dream Theater, elle ne me semble pas plus prononcée que sur n’importe quoi de Queen. Exemple facile, ok. Mais soyons clairs : où commence la démonstration ? A priori à partir du moment où un groupe éprouve le besoin d’écrire un morceau de six minutes contenant deux ou trois thèmes durant lesquels il se sert de son instrument de manière à impressionner. Soit. Auquel cas et au risque de faire hurler, il n’y a aucune raison pour que Tool ne soit pas également compromis dans ce procès. Ainsi que (au pif) Captain Beefheart. Hé, hé… soit on fait le reproche à tous, soit on ne le fait à personne. Ca me semble couler de source.

Bizarrement, ça ne coule pas de source pour tout le monde…

Cette longue chronique n’a évidemment pas pour but de convertir les sceptiques. Foutre non : moi-même, le plus grand chroniqueur sur U2 ou Franz Ferdinand ou n’importe quoi que je n’aime pas n’arrivera pas à me les faire aimer.

Non : le principal objectif de cette chronique, outre de s’inscrire dans la continuité de la rubrique (je n’allais quand même pas sauter un numéro !) est de parler d’un disque (et par extension : d’un groupe) que j’adore.

Je crois que je m’y suis tenu.

Ah au fait : il y avait aussi un objectif subliminal à cette chronique. En effet je dois avouer que je jubile d’avance à l’idée que G.T. se soit envoyé pas moins de cinq pages sur un groupe qu’il déteste et, peut-être, y ait pris un poil de plaisir par moment.

(désolé, on ne se refait pas)


Trois autres disques pour découvrir Dream Theater : 

Falling into Infinity (1997)
Once in a LIVEtime (
double live / 1998)
Train of Thought (
2003)