mardi 22 mai 2007

Milan Kundera - La Poésie est ailleurs

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Dans son troisième roman, Kundera s’attache aux pas de Jaromil, enfant destiné à devenir un grand poète au prix de sa jeunesse et de sa liberté. L’idée est pour le moins originale : au lieu de voir son talent s’émanciper au contact de la liberté, Jaromil le verra grandir au cœur de la contrainte, du tourment et d’une prison bien étrange – sa vie. D’abord enfant surdoué et prometteur, il va peu à peu devenir un adulte normal et perdu au milieu d'un monde qu’il peine à comprendre.

Qu’est-ce qu’être artiste ? Quelle est sa place dans la société ? Kundera ne propose pas de réponses préfabriquées à des questions sans doute trop proches de sa propre problématique ; il se contente de s’interroger et d’aligner les faits avec une fantaisie troublante, un humour à froid très proche de celui de Risibles amours (son précédent roman). La manière dont l’auteur dépeint les rapports fusionnels liant Jaromil à sa mère, par exemple, est aussi cocasse que criante de vérité. Plus caustique que vraiment cruel, il s’amuse des paradoxes liant éternellement ces deux êtres, et fait de son Jaromil un genre d’Alex Portnoy un peu trop sérieux pour être honnêtre… et un peu trop honnête pour être grand poète ? On dirait que c’est un peu ce que suggère Kundera, même s’il le fait de manière extrêmement subtile. Le fait est que Jaromil, qui ressemble plus à une caricature de l’image d'Épinal du poète qu’à un être de chair et de sang, se prend continuellement des portes en pleine poire sans qu’on en soit réellement ému. Il n’est pas à proprement parler un personnage, plutôt une figure dont Kundera se servirait pour projeter quelques unes de ses obsessions des débuts (liberté à tout prix, liens entre art et politique, décalage entre amour sublimé et amour vécu). Ce personnage volontairement creux est la grande force du roman… c’est aussi sa limite : difficile de s’attacher à un héros dont le caractère paraît totalement évanescent, en décalage perpétuel avec le monde (comme si c’était son seul moyen de survie).

Et pourtant La Vie est ailleurs est un roman réussi. Parce qu’il est souvent drôle et particulièrement bien construit. Parce qu’il est, aussi, lié à une époque où Kundera tâtait principalement de la littérature et beaucoup moins de la philosophie, tendance qui s’inversera brutalement à partir du suivant : La Valse aux adieux. Si ce n’est pas le meilleur de son auteur, ça n’en demeure pas moins une œuvre réussie, moins originale que d’autres (L’Insoutenable légèreté de l’Être, Risibles amours, L’Immortalité) dans ses thèmes comme dans sa forme, mais parfaitement maîtrisée.


👍👍 La Vie est ailleurs 
Milan Kundera | Folio, 1973