dimanche 27 mai 2007

James Ellroy - Dans ta face, l'Amérique !

...
On aura beau dire ou faire, James Ellroy est incontournable. Moi-même, qui n’en suis pas un inconditionnel (loin de là : je ne me suis jamais autant emmerdé qu’à la lecture de The Big Nowhere) je suis bien forcé de me rendre à l’évidence : ce type arrogant et impérieux est un des auteurs les plus importants de notre époque. D’autant que depuis White Jazz il y a pile quinze ans, son œuvre a pris un tour encore plus passionnant. Plus sombre, plus complexe.. .plus politique, aussi.


American Tabloïd ouvre cette seconde période de sa bibliographie en tant que volet inaugural de la saga Underworld U.S.A. Sept cents pages, rien que ça, et pas une longueur ou si peu… de quoi tourner la tête du lecteur le moins bien accroché, car autant dire les choses telles qu’elles sont : American Tabloïd n’est pas un roman facile d’accès. Complexe, volontairement confus, il recouvre une période de cinq ans (1958 jusqu’à la mort de Kennedy) et met en scène une bonne douzaine de personnages dont certains ne se croisent jamais – mais qui toujours se répondent. Pourquoi ? Tout simplement parce que, semble dire l’auteur, tout est lié : crime organisé, FBI, gouvernement américain, police judiciaire, figures historiques… tout ce beau monde se retrouve dans le même bateau, au cœur d’un invraisemblable imbroglio politico-financier duquel les autorités américaines ne sortent pas indemnes. Corruption, chantage, intimidations en tout genre, crimes de sang… tout y passe, magnifié par une écriture à nulle autre pareille et ce qu’on osera appeler une vision.

Et cette vision d’Ellroy est bien sûr celle d’une immense tragédie humaine, avec son chœur (les flics) et ses traîtres (à peu près tout le monde), ses dilemmes à foison, ses passions et ses explosions de violence. Une tragédie, vraiment, et c’est probablement le seul genre littéraire auquel on pourrait éventuellement rattacher cet étonnant patchwork fait de roman politique, d’espionnage, de polar (bien sûr) voire même de western par moment ("Jack" Kennedy étant bel et bien une figure de cowboy).

Le résultat final est évidemment un livre noir de chez noir, extrêmement dense malgré (ou à cause de) sa longueur… comme tout livre d’Ellroy qui se respecte, me direz-vous ? Non : encore plus qu’à l’accoutumée. Dans American Tabloïd il n’y a de place ni pour l’espoir ni pour l’humour. Tout au plus pour le désir et pour une ironie mordante dont on ne sait trop si elle est le reflet d’une dérision de la part des personnages ou d’un sarcasme de la part de l’auteur. L’Amérique ne sort définitivement pas grandie de cette œuvre chorale refusant aussi bien la noirceur gratuite que le manichéisme. Bien sûr, tout le monde le sait bien, que la famille Kennedy et toute sa clique n’avait pas grand chose des héros retenus par l’histoire. Et d’aucuns argueront sans doute que depuis la monumentale bio de Peter Collier et David Horowitz cet angle d’approche est devenu un marronnier. Certes. Mais un sujet n’est réellement épuisé qu’une fois qu’un grand roman lui a été consacré.

Qui d’autre qu’Ellroy pouvait s’acquitter de la tache sans faillir ?


👍👍👍 American Tabloïd 
James Ellroy | Alfred A. Knopf, 1995