vendredi 30 mars 2007

Un grand livre de Philip Roth TM

...
Philip Roth cessera-t-il un jour d’être aussi bon ? Non, franchement : heureusement qu’une fois tous les dix ans il publie un bouquin un peu décevant pour faire baisser sa moyenne, sans quoi ce serait intenable. Car il faut bien le dire, à force de la lire partout la locution Un grand livre de Philip Roth est en passe devenir une formule pléonastique, au point que, j’en suis sûr, certains informaticiens songent à l’insérer parmi les phrases types et autres formules de politesses proposées par Word – histoire de faire gagner du temps aux blogueurs et critiques.

Ce roman de Philip Roth est donc un livre remarquable (pour ne pas dire mieux : Un grand livre de Philip Roth), mais ça, évidemment, vous le saviez déjà. La seule chose qui me console (et encore) c’est qu’on n'est pas encore des masses à l’avoir chroniqué en France, puisqu’il n’est sorti que récemment dans le monde anglophone (lequel l’a modestement récompensé du PEN/Faulkner Award le mois dernier, là encore c'est implicite : un Philip Roth qui ne reçoit pas un prix prestigieux a de fortes chances d'être une contrefaçon).

Avant d’être Un grand livre de Philip Roth, Everyman est un roman à la fois très beau et très drôle traitant de la mort et de la maladie. Ceci n’est pas ironique : Everyman m’a réellement fait rire plus d’une fois, quand bien même ses principaux thèmes n’ont pas grand chose de comique.


Le titre parle de lui-même : le personnage d’Everyman est un homme ordinaire, à savoir qu’il a des enfants qui le font tourner en bourrique mais qu’il aime bien quand même, une cohorte d’ex-épouses (ce qui n’est certes pas l’apanage de tous les hommes mais ça Roth l’ignore, il croit en toute bonne foi que nous avons tous autant d’exs que lui), un métier qu’il exécute bon gré mal gré, et des morts autour de lui – ce qui n’a rien d’extraordinaire puisqu’il n’est plus tout jeune. Et, à l’instar de nombre d’hommes ordinaires, il a la sensation d’être devenu précisément tout ce qu’il ne voulait pas devenir. Ici on touche à tout ce qui fait la spécificité de Roth : chez n’importe quel autre auteur le personnage essaierait de s’arracher à sa condition, voguerait vers une nouvelle vie, et accèderait au final à un dénouement à peu près aussi touchant que peu crédible hors de la littérature. Trop soucieux de vérité pour tomber dans le panneau, trop vieux aussi pour se laisser aller à ce genre de gamineries happyendistes, Roth se contente de le laisser se poser les questions, se torturer, pour arriver au constat inéluctable qu’il n’y peut rien changer. Et tout au long d’un roman particulièrement court (cent-quatre-vingt deux pages, sans doute le plus court de toute sa bibliographie), l’auteur de l’exécuter avec humour et délectation, cruauté et tendresse, sans jamais, jamais verser dans le mépris.

Probablement parce que les propres questions de Roth se rapprochent des siennes (ce n’était quand même pas bien dur à deviner). Sa vie est certes différente, mais les angoisses de la mort, de l’âge et de la maladie… cela nous touche tous – ou bien nous touchera dans pas longtemps. Dès lors puisque nous sommes tous condamnés, autant en rire, pas vrai ? Tel est le parti pris du plus grand écrivain vivant, et personne n’aura envie de lui donner tort. J’ai ri aux éclats plus d’une fois à suivre les pérégrinations de cet homme désespérément ordinaire ; je ne doute pas qu’il en ira de même pour vous. Ce même s’il est probable que comme moi vous le refermiez avec l’impression désagréable que Philip Roth a écrit Everyman comme d’autres rédigent leur testament. Et partir avec un tel roman serait assurément une superbe fin.


👑 Everyman 
Philip Roth | Jonathan Cape, 2006