vendredi 16 mars 2007

Il, Jean Teulé

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Le « Je » du titre est là, majuscule, claquant. Cela donne une accroche bizarre, à la fois cocasse et fière, totalement représentative du roman. Car ce « Je » qui frappe d’entrée et se retient renvoie tout autant au concept (la vie de Villon narrée par lui-même) qu’à la farouche volonté d’indépendance qui anima le poète durant toute sa vie.

Ce projet de Jean Teulé, il enchante. Presqu’immédiatement. Parce que Villon attire, parce qu’il est un mystère, mais aussi (surtout) parce que c’est justement Jean Teulé qui s’y colle. Face à un personnage comme Villon, dont on sait finalement assez peu de choses, beaucoup se seraient laissés happer… tenter par la facilité du tout et n’importe quoi – après tout cette vie est composée de pointillés entre lesquels n’importe quel auteur aurait pu glisser n’importe quelle connerie. On aurait même pu se retrouver projeté en pleine version papier des Visiteurs ! Entre les mains de l’auteur de l'adorable Darling on sait d’avance que ce ne sera pas le cas ; de fait à en juger par la taille de la bibliographie Jean Teulé s’est documenté comme un forcené pour restituer non seulement un personnage, mais surtout une époque… et livrer plus qu’un roman : le livre ultime sur Villon. Il s’est nourri de son histoire (donc de ses poèmes) se l’est appropriée et l’a digérée admirablement, signant un de ces livres terriblement documentés et fouillés qui n’en ont jamais l’air – les meilleurs comme chacun sait.

Ainsi l’auteur embarque-t-il le lecteur dans une aventure peu commune, crue, violente mais proprement hilarante (mention spéciale au passage où son pote explique à Villon qu’il a bouffé sa mère en pâté) dont on ressort en arborant un sourire béat – tant de joie que d’admiration. Car sous la plume de Jean Teulé, Villon devient plus que ce poète mythique à la vie totalement déjantée qu’on connaît. Il se métamorphose en figure romanesque goguenarde et bondissante qu’il est impossible de lâcher avant la fin. Les aigris diront sans doute qu’avec pour base l’une des bios les plus tonitruantes de l’histoire littéraire française c’était prévisible. Soit. Encore fallait-il avoir le talent et la poésie nécessaires pour concrétiser une idée casse-gueule sur le papier. Le talent, la poésie… sans oublier le culot, car il en faut forcément pour oser s’attaquer sans complexe à une figure littéraire aussi vénérée…

… et donc, comme souvent dans la vie, le culot paie : Je, François Villon est un roman plus que réjouissant : brillant. Vif, puissant, rythmé, météoritique – comme Villon. Et, comme Villon, unique en son genre : Je, François Villon ne ressemble à aucun autre livre. Le seul rapprochement qui me soit venu à l’esprit, c’est Rabelais, ce qui n’a rien d’un hasard tant la filiation entre Villon et ce dernier semble évidente : la même colère sourde, la même irrévérence, la même liberté de ton et de vie… les modèles auraient-ils déteint sur Jean Teulé ? Sacrebleu, oui !

Allez stop, là je m’étends, pardonnez-moi. C’est que voyez-vous, j’adore Villon. Des Villon, il n’y en a pas (ou plus) d’autres. Projetez la même furie libertaire dans notre époque et vous verrez que ce serait totalement intenable. S’il existe des Villon de nos jours, il est probable que vous les détestiez… S’il n’en existe pas, les livres sont là pour nous faire rêver du contraire.

Celui-ci en tête.


👍👍👍 Je, François Villon 
Jean Teulé | Julliard, 2006