dimanche 25 février 2007

DAVID BOWIE (part II)

5. FASHION : 1989 / 2001
C'est bien connu : quand on touche le fond, un petit coup de pied et on remonte. Ce vieil adage, Bowie l'aura mis en pratique dès la fin des années 80. Désormais considéré comme un Absolute Loser, il n'a pas grand-chose à perdre et décide de se réinventer. Mission accomplie, et avec panache ! Dans les années 90 en effet, Bowie va se montrer plus roublard et plus inventif que jamais. Tandis que ses contemporains (d'Iggy à Macca) vont osciller au gré des coups de barres de producteurs rarement passionnés par l'art, lui va anticiper toutes les modes, se tailler une toute nouvelle crédibilité et un tout nouveau public.


👍 Tin Machine (1989) 
👎 Tin Machine II (1991)

Il fallait oser : l'artiste solo par excellence créait à la fin des années 80 un groupe mésestimé, Tin Machine. Accompagné notamment par Reeves Gabrels (gratteux lui aussi mésestimé alors qu'il cosignera les meilleurs morceaux du Duke jusqu'en 2000), Bowie anticipe le retour au rock dur le temps d'un premier album particulièrement efficace - à défaut d'être fulgurant. « Crack City », « Heaven's in Gere », une reprise couillue du « Working Class Hero » de Lennon... la résurrection serait-elle en marche ? ... oui et non : si Tin Machine premier du nom s'avère une bonne surprise, le second épisode du quatuor électrique sera moins convaincant. Dans une volonté d'accrocher le wagon grunge un peu poussive (quoique totalement justifiée tant le mouvement de Seattle a emprunté à Bowie), le groupe patauge. L'album est un ratage, mais en soi son existence est plutôt positive pour la suite : certes Dave a encore merdé. Cette fois-ci cependant il a merdé en essayant quelque chose. Rien que ça ne semblait plus possible depuis des lustres.


👍👍 Black Tie / White Noise (1993)

Comme son nom le laisse supposer, Black Tie / White Noise marque le retour de Bowie aux musiques blacks (pour de vrai, cette fois) en général, et à la soul (genre qu'il chérit plus que tout) en particulier. En rappelant Nile Rodgers (qui avait déjà produit Let's Dance), Bowie prenait le risque de décliner une formule déjà employée... eh bien non ! Car cette fois-ci il maîtrise les débats. Co-produisant l'album, il lui confère un son frais et moderne (bon alors ne paniquez pas à l'écoute, c'était moderne en 1993 !). Surtout, il se réconcilie avec les fans de manière très symbolique : d'abord en reprenant « Nite Flights » de Scott Walker (son modèle) ; ensuite en rappelant Mick Ronson aux guitares (ce dernier décèdera juste après la publication). Egalement au générique : Mike Garson et Morrissey. Un tel casting donne l'impression d'une Union Sacrée autour d'un Bowie à l'agonie rappelant ses collaborateurs de différentes époques pour se remettre en scelle... c'est presque de cela qu'il s'agit, à ceci près que Bowie n'a eu besoin de personne pour composer « Jump They Say! » et « The Wedding ».


👑 1.Outside : The Nathan Adler's Diary (1995)

Et ça continue ! Cette fois, Bowie va encore plus loin. Il part chasser sur les terres de Tricky, de Nine Inch Nails et de beaucoup d'autres. Il rappelle Brian Eno. Il revient au concept album, aux expérimentations, aux œuvres collectives, à l'esthétisme... alors que musicalement 1.Outside a les deux pieds dans son époque, c'est dans l'esprit le plus 70's des récents travaux bowiens. Amusant pied de nez ! Voir la chronique



👍👍👍 Earthling (1997)

On dégoisa beaucoup à l'époque sur le mode : PFF, BOWIE SE MET A LA TECHNO, OH L'AUT' !.. .ce n'était pas faux, mais c'était injuste. Sur Earthling, Bowie fait bien plus que suivre la mode : il l'anticipe, la domine, la digère. Oui, il utilise des breakbeats, mais pas n'importe quand et pas n'importe comment. Ici Bowie joue pied au planché, se lâche, percute comme il ne l'avait plus fait peut-être depuis la période Ziggy Stardust. Les titres (« Little Wonder », « Satellite ») sont rapides et enlevés, le son est à décorner les bœufs, et l'ensemble surclasse largement le meilleur Prodigy. Pourquoi ? Tout simplement parce que Bowie, au-delà des expérimentations, demeurera toujours un artiste pop. Du coup lorsqu'il s'attèle au techno-rock il publie du techno-rock à dimension humaine, avec de vraies chansons qu'on peut retenir et chantonner si ça nous dit. Comme par exemple « I'm Afraid of Americans », un de ses meilleurs titres toutes périodes confondues.


👍👍 Hours... (1999)

On considère généralement que le dernier album de Bowie dans les années 90 clôt une trilogie imaginaire entamée avec 1.Outside et Earthling. A tort, me semble-t-il. Quitte à verser dans la trilogie imaginaire, je préfère croire qu'Hours... est le premier volet d'une autre, poursuivie avec Heathen et Reality. Une trilogie dans laquelle Bowie cesse progressivement de jouer la comédie pour se livrer tel qu'en lui-même : simple et sympa. Oui oui. Au fil d'albums de moins en moins sophistiqués, David Bowie s'humanise, à l'image de « Seven », petite comptine pop/folk sur son enfance, ou de « Thurday's Child », évoquant le Bowie des années soixante. Pour l'heure il reste du travail, et quelques titres comme « The Pretty Things Are Going to Hell » portent encore la marque du Bowie cyber-punk. Mais il paraît évident qu'à cinquante deux ans en 1999, David Bowie aspire à la sérénité.



6. NEW KILLER STAR : 2002 / ????
Et voilà Bowie remis en selle ! Assez ironiquement lui-même semble ignorer comment il s'y est pris. Désormais il s'attelle à une toute autre tâche : devenir un de ces artistes intemporels éternellement jeunes - a priori on le dirait plutôt bien parti.

A moins qu'il ne nous réserve d'autres surprises pour l'avenir ?


👍👍👍 Heathen (2002)

A ce jour, Heathen semble demeurer l'album préféré de son auteur, et même si le recul nous manque encore pour en juger il paraît en effet bien parti pour devenir un classique. Sombre et endeuillé, Heathen ne contient pas vraiment de chanson évidente et imparable... Il rappelle beaucoup Station to Station pour le côté indivisible, mais se rapproche bien plus d'Hours... musicalement parlant. Difficile de savoir de quoi il retourne précisément. Tout au plus peut-on affirmer que ce côté tout en atmosphères, loin de rebuter, ne laisse franchement pas indifférent. On a presque envie de se laisser bercer ! Bowie pour sa part donne l'impression d'avoir accédé à une forme de paix intérieur et de partir pour de nouvelles aventures, alternant mélodies aériennes (« Sunday », « 9 : 15 », « Heathen ») et brûlots rocks comme cette reprise impétueuse d' « I've Been Waiting for You » de Neil Young. Le public ne s'y est d'ailleurs pas trompé, qui en dépit d'une promotion très mince et de l'absence de single a fait un triomphe plus que mérité au meilleur album de Bowie depuis...



👍👍 Reality (2003)

Meilleur album de Bowie depuis celui d'avant, Reality montre un artiste totalement décomplexé, notamment par rapport à son âge, et prêt à en découdre avec la terre entière. Musicalement c'est du rock-pop de base mais parfaitement maîtrisé, à la manière de Heathen - mais en joyeux : une collection de chansons habiles et souvent poignantes (reprise les larmes aux yeux du « Try Some, Buy Some » de George Harrison) lorsqu'elles ne sont pas purement et simplement géniales : rock débridé pour « New Killer Star » ou « Pablo Picasso », ambiance Swingin' London pour « Fall Dogs Bomb the Moon » ou « Looking for Water »... sans oublier le jazz vénéneux de « Bring Me the Disco King », LE chef-d'œuvre du disque. Rétrospectivement, cela donne aussi très envie d'entendre la suite. Car même moi je me demande très honnêmement comment Bowie pourra faire mieux, dans le genre, que cette paire d'as constituée par Heathen et Reality.




II. LIVES & COMPILES

Il existe environ quarante compiles de Bowie, pour la plupart dispensables. C'est le lot de toute oeuvre de cette envergure mais c'est encore plus vrai pour Bowie, dans la mesure où la plupart de ces disques enquillent des hits pas forcément palpitants. Il y a en effet de quoi envoyer le Best of Bowie de 2003 au feu lorsqu'on constate qu'il se compose de plus de titres de la « mauvaise période » que de morceaux des années soixante-dix !


L'idéal serait sans doute d'attaquer par la Singles Collection (ou Platinum selon les éditions), à deux détails prêts : tout d'abord c'est très cher. Ensuite, plus grave, (enfin tout dépend où l'on situe la gravité dans ce cas précis), cela date de 1987. Et si l'album a été régulièrement réédité depuis les titres sont toujours les mêmes qu'à la première parution, ce qui privera l'auditeur curieux de certains singles indispensables comme « Hallo Spaceboy » ou « Survive »... vous me direz une compile de singles, à la base, prive de plein de morceaux. Vous me direz aussi que Bowie n'a jamais été un artiste à singles. Ok bon ! Mais tout de même ! A voir donc, de toute façon c'est la seule compilation qui mérite vraiment qu'on s'y attarde...

Autres compiles recommandées, mais uniquement pour les fans, London Boys, qui regroupe les enregistrements du jeune Bowie entre soixante-six et soixante-huit. Un bon pendant au premier album éponyme, devenu de plus en plus difficile à trouver au fil des années. En fait il existe un tas de compiles regroupant ces enregistrements Deram, mais comme ils ne sont pas non plus fabuleux il m'a semblé judicieux d'en sélectionner une qui ait tout à la fois le mérite de la qualité et celui de la concision.


Si vous êtes fans, vous risquez aussi de vous laisser tenter par All Saints (2000), qui regroupe tous les instrumentaux du Duke. On aurait pu croire que ce serait hétéroclite, eh bien pas du tout ! Il s'agit d'une manière originale d'aborder l'oeuvre, qu'on pourrait tout à fait voir comme un complément futé à la Singles Collection...

Pour ce qui est du live, c'est tout aussi problématique : pour l'avoir vu sur scène j'ai pu constater que Bowie livrait des performances de haute volée. Hélas, pour une raison que j'ignore, le live ultime de Bowie n'existe pas encore, et la qualité des enregistrements est inversement proportionnelle à celle des prestations. Le meilleur à mon sens est Ziggy Stardust - The Motion Picture Soundtrack (1973), BO du doc sur le dernier concert des Spiders From Mars. Un très très grand moment de rock n'roll.


Intéressant aussi le David Live ! de 1974, qui montre une passerelle intéressante entre Diamond Dogs et Young Americans : les titres du premiers interprétés à la mode soul / funk du second... de quoi souligner la cohérence d'une oeuvre à laquelle Bowie lui-même a souvent reproché d'être par trop éparse.

Enfin si vous mettez la main dessus, le meilleur live que j'ai jamais entendu de Bowie est le bootleg officiel (j'adore les oxymore, vous le saviez ?) de la tournée A Reality Tour de 2003. Le son est excellent, le répertoire n'hésite pas à aller fouiller dans les recoins les plus obscurs sans pour autant négliger les incontournables... difficile de faire mieux. S'il devait vraiment y avoir un nouveau live officiel de Bowie (ce n'est plus arrivé depuis 1978) ce pourrait être celui-ci.

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