lundi 22 janvier 2007

Nobody's Fool - Plan-plan

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Richard Russo est pour moi une énigme. Si je peux assez facilement comprendre qu’on apprécie cet auteur aux qualités de conteur indiscutables, j’ai quand même un mal fou à admettre qu’il puisse susciter un tel engouement, au point de déchaîner les passions ou de mettre les critiques à genoux. Car pour moi, qui ai pour le coup l’impression de faire partie d’une minorité silencieuse au sein de son lectorat, ses meilleures pages ne méritent pas plus une explosion d’enthousiasme que ses plus mauvaises un déferlement de haine.
   
Des trois livres que j’ai lus de lui (avec Straightman il y a certes des années – et Empire Falls), celui-ci fera date, puisque c’est le seul qui m’aura franchement rebuté. Autant je trouve Straightman réussi, autant je trouve Empire Falls pas mal, autant Nobody’s Fool m’a laissé froid de la première à la sept-centième page environ.
 
   
Déjà à la base, il ressemble beaucoup à Empire Falls (ou plutôt est-ce l’inverse, puisqu’il a été publié huit ans auparavant). La petite ville où se déroule la non-intrigue du roman, North Bale, n’est pas sans rappeler la ville d’Empire Falls, de même que son antihéros poissard et un brin concon, Sully, évoque fatalement Miles. Ce n’est pas totalement identique, bien sûr, puisque par exemple ici Sully a divorcé et qu’il retrouve son fils… mais disons que les similitudes entre les deux univers m’ont d’autant plus gêné que l’univers de l’auteur en lui-même n’est généralement pas d’une originalité déconcertante. Du coup j’ai lu ce roman en ayant l’impression désagréable de feuilleter un brouillon d’Empire Falls – qui n’est déjà pas un chef-d’œuvre immémorial. Plus précisément, je lui ai trouvé les mêmes défauts qu’au quasi classique susmentionné, mais en pire (ce qui n’a rien de surprenant dans le fond, puisque Russo était alors plus jeune et moins expérimenté) : dans Empire Falls, la longueur m’a un peu agacé ; ici elle m’a tapé sur le système. Plus de sept cents pages pour raconter l’histoire totalement éculée d’un père qui retrouve son fils et tente de racheter ses erreurs sur fond d’Amérique profonde, c’est au moins trois cents de trop.
 
Et puis il y a autre chose : cette galerie de portraits plus caricaturaux les uns que les autres (mention spéciale à l’idiot du village !) m’a semblé lourde et surfaite. Qu’un auteur brosse de simples esquisses de ses personnages est une chose, qu’on nous le vende comme un grand portraitiste en est une autre : on en apprend infiniment plus sur la société américaine en lisant n'importe quelle nouvelle de Stephen King qu'en avalant ce colossal roman. Ici on a l’impression que Russo a kidnappé des personnages de Russel Banks pour les parodier ! En soi ce n’est pas grave : Banks n’a pas le monopole de l’étude sociale américaine. Le problème est qu’il le fasse cent fois mieux, et que quand on l’a déjà lu il est bien difficile de ne pas y penser face à Nobody’s Fool. D’autant que les influences de l’auteur sont évidentes et pesantes : Russo, sur ce roman tout du moins, fait du Banks cheap (sans l’écriture enflammée) et du Faulkner light (ça ne fait pas mal au crâne). C’est peut-être même le secret de son succès : il vulgarise un genre littéraire trop sombre chez Banks et trop complexe chez Faulkner. Il recycle, plaque son style toujours aussi plaisant (c’est à dire que selon qu’on aime ou pas on dira sans fioritures ou sans relief), mais dans le fond ses livres n’ont pas une personnalité démesurée – surtout celui-ci qui s’avère franchement moins maîtrisé. Un habile faiseur en somme, un brave artisan qui propose de la littérature pas trop bête ni trop mal foutue. Un humanisme accessible à tous, une narration totalement linéaire, une histoire aussi simple que ses personnages, et roulez jeunesse ! Pas de soufre, pas de folie, un humour bon-enfant façon Ruquier (on se moque mais dans le respect), mais aussi il faut l’admettre une littérature qu’on n'a jamais envie de détester tant elle est clean et inoffensive. Je ne serais d’ailleurs pas surpris d’apprendre qu’à la ville, Richard Russo est le mec le plus gentil du monde, qu’il vote démocrate et adore Desperate Housewives. Un homme ordinaire, donc. Pour un livre, Nobody’s Fool, désespérément ordinaire.
   
Bref : après trois romans, je ne pense pas relire l’ami Russo tout de suite. En tout cas pas avant d’avoir investi dans une cheminée et un rocking-chair pour le savourer dans des conditions optimales.


👎 Nobody's Fool [Un homme presque parfait]
Richard Russo | Vintage, 1993