samedi 27 janvier 2007

François Berléand - Invisible But Real

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Si vous avez la télévision (hypothèse probable) et que vous regardez autre chose que TF1 (hypothèse souhaitable), vous êtes forcément tombés au moins une fois sur François Berléand faisant la promo de son premier livre au titre charmant : Le Fils de l’homme invisible.

Vous vous êtes peut-être même dits que ç’avait l’air intéressant car, c’est un fait, Berléand le vend très bien. La preuve : il me l’a fait acheter (enfin : commander au Père Noël, mais je suis fatigué alors on va pas chicaner ce soir). Et bien entendu, c’est un bon livre. J’écris bien entendu car ça ne surprendra nullement les amateurs de cet acteur pour le moins atypique, de ceux (rarissimes en France) capables de sauver un film du naufrage même lorsqu’ils n’ont que trois répliques.

Ni mémoires, ni roman, ni autobiographie, encore moins souvenirs ou témoignage, Le Fils de l’homme invisible s’inscrit immédiatement dans le domaine littéraire. Il serait difficile de dire précisément pourquoi, mais dès la première phrase on sait qu’on n’est pas en train de feuilleter le énième bouquin-confession d’un acteur casse-burnes. D’ailleurs, Berléand écrit bien. Son style n’est pas extraordinaire, mais il est efficace. D’une simplicité accrocheuse, dirons-nous. Vif et candide, soit donc parfaitement adapté à l’histoire qu’il nous raconte, celle du petit François Berléand qui, âgé de onze ans, entendit son père (forcément bourré) lui affirmer qu’il était le fils de l’homme invisible.

Notre narrateur se dit immédiatement que c’est trop la classe, et il n’a pas tort. De même, il ne lui faut pas longtemps pour aboutir à la conclusion qu’il est doté des mêmes pouvoirs parapsychiques que son second père, ce qui pour le coup est complètement con puisque l’homme invisible est devenu invisible à la suite d’une expérience ratée – l’hérédité n’a donc rien à y voir. Néanmoins vous en conviendrez, quitte à être le fils de l’homme invisible, autant être invisible soi-même. Le jeune François ne manque d’ailleurs pas de le relever : s’il n’avait pas été atteint des mêmes particularités, pourquoi son Père Numéro Un aurait-il pris la peine d’apporter cette précision d’importance ?

C’est le début d’un malentendu qui va s’éterniser, non pas des mois mais des années. Et le lecteur de se dire que merde, c’est tout de même dingue ce que l’imaginaire peut produire : à partir du moment où François a adopté ce concept d’invisibilité en guise de système de pensée, le moindre détail va s’insérer parfaitement dans ce système. Toutes les incohérences vont trouver une justification : il se voit dans la vitrine des commerces du quartier ? Normal : ses parents ont payé des verres spéciaux à tous les riverains pour éviter qu’il souffre de sa différence. Les gens le voient parfois ? Bah ! il est jeune, il ne maîtrise pas encore tous ses pouvoirs… et ainsi de suite, jusqu’à épuisement total de parents totalement à côté de la plaque (puisque François ne leur expliquera JAMAIS cette histoire d’invisibilité, tout au plus devineront-ils que leur fils a un léger problème d’identité).

Débute alors la valse des psys, médecins et autres conseillers d’orientation (une sacrée clique d'incompétents, a priori, mais il faut bien avouer que les points communs entre la psychiatrie des années cinquante et celle d'aujourd'hui se comptent sur les doigts d'un pied). C’est la partie glauque de l’histoire, car le narrateur passe tout de même à deux doigts de l’internement. Paumés, largués, les adultes naviguent à des années lumières de ce gamin dont le seul péché est de rêver sa vie. Au point qu’il finisse lui-même par penser de lui ce que les autres pensent : ce faciès étrange, ces difficultés en classe, cette intégration à une section d’enseignement réservée à des élèves frapadingues… il n’en faut pas plus à François pour se persuader qu’il est mongolien. On rit, mais jaune. Car si Berléand raconte ça avec légèreté, tout en maniant ce ton décalé qui fait la spécificité du bouquin, on imagine tout de même à quel point ces expériences ont pu traumatiser l’adolescent qu’il était. On ne peut donc que se féliciter de la libération finale, d'autant le tout nouvel auteur évite avec finesse et pudeur l’écueil du happy-end larmoyant avec success-story à la clé – Berléand n’est pas venu nous raconter la vie d’un acteur connu. Il s’en tape, et nous aussi. A raison !

Pour un coup d’essai, ce livre est donc réellement un très joli coup.


👍 Le Fils de l’homme invisible 
François Berléand | Stock, 2006