mardi 16 janvier 2007

N.W.A. - Let's Groove!

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En écoutant cette réédition je me suis demandé pourquoi, bizarrement, le hip hop semblait devoir vieillir plus vite que le rock. Je ne peux pas l’expliquer. Ce que je sais c’est qu’en 1972 on pouvait encore écouter sans problème les premiers enregistrements de Presley datant de 1954. Le même laps de temps nous sépare de Straight Outta Compton, mais lorsque je m’attarde dessus j’ai très sincèrement l’impression d’écouter un truc préhistorique.

Cependant ce n’est pas une critique, au contraire. D’une certaine manière ce constat souligne un point que les détracteurs du hip-hop ont toujours refusé d’admettre : oui, le rap évolue. Et le rap d’aujourd’hui, n’en déplaise aux pisses froids, ne ressemble franchement plus du tout au rap d’antan.
 
A ce stade en général le snob (ou le lecteur des Inrocks - AHHHHHHH c'est trop bon ! ça faisait longtemps !) déclare : « Boh ouais, c’est clair que moi je préfère le rap originel ! ». Eh bien jugez-moi si vous voulez, mais effectivement je préfère largement acheter la réédition de Straight Outta Compton que n’importe quoi publié par ses auteurs en 2007. Ses auteurs ? N.W.A., pour Niggaz With Attitude, des mecs très cools et sympas, tout au plus un peu branleurs et vaguement sexistes mais on ne va pas demander à des gangsters du dimanche d’aimer l’humanité sous toutes ses formes non plus – faudrait voir à pas déconner. Le fait est qu’en 1989, Ice-Cube était déjà très con, mais qu’il enregistrait des trucs au groove terrifiant comme « Parental Discretion Iz Advised ». Même commentaire pour Dr Dre (alors mes jeunes refusent de croire qu’il était déjà né à l’époque, si vous pouviez me soutenir dans cette épreuve) qui n’était pas encore bourré de tics de production : lorsqu’il samplait ça donnait « Express Yourself » ou le désinvolte « Quiet on tha Scene » – et c’était vachement mieux.
 
Assez ironiquement on qualifia à l’époque N.W.A. de suiveurs de Public Enemy. Ca ne peut que prêter à sourire au vu de tous les vrais suiveurs débarqués depuis, néanmoins il est difficile de nier les ressemblances frappantes entre ce second N.W.A. et le second PE (It Takes a Nation of Millions to Hold Us Back – 1988). Disons plutôt qu’ils s’inscrivent dans la même lignée, voire la même famille : celle des disques hip hop fondateurs ET fédérateurs – soit donc indispensables. Comme Raising Hell de Run DMC (1986) ou The Iceberg / A Freedom of Speech d’Ice-T (1989). La principale différence, en fait, est une question d’âge : N.W.A. a été le premier collectif de la seconde génération. Ses membres, Yella, Ren, Easy-E, ainsi que les deux futurs vendeurs de lessive mentionnés au paragraphe précédent, étaient tous un poil plus jeunes et constituaient une relève qui ne s’émancipera réellement qu’après la dissolution du groupe en 1991.

Ceci rend la réédition de Straight Outta Compton particulièrement intéressante, car on y trouve déjà en filigrane les éléments funk et soul que Dre exploitera plus tard sur The Chronic : N.W.A. mélange avec délectation le rap hardcore de son premier opus (l’inégal N.W.A. & The Posse publié deux ans plus tôt) et l’héritage groovy et déjanté des Parliament, George Clinton et autres Bootsy Collins. Cela donne quelques chefs-d’œuvre comme « If It Ain’t Ruff » ou « Dopeman », morceaux dansants et visionnaires qui bercèrent probablement l’adolescence de 2Pac.
 
Évidemment les reproches qu’on a pu faire à l’époque à N.W.A. tiennent toujours la route aujourd’hui : ok, ce n’est pas du rap qui revendique de hautes choses. On ne peut pas dire le contraire. D’un autre côté c’est peut-être ce qui fait que les textes de N.W.A. ont moins vieilli que ceux certains de ses collègues. Et de toute façon, cela reste un disque important : la première pierre d’un édifice à naître quelques années plus tard. On appellera ça g-funk et on ne connaîtra jamais la définition du mot. Ce qui est certain c’est que ça ressemble beaucoup aux trips disco-funks que s’autorise N.W.A. sur cet album.


👑 Straight Outta Compton 
N.W.A. | Ruthless Records 1988