mardi 17 octobre 2006

Je commence à manquer de jeux de mots avec "Kafka"...

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Il y a une manière très marrante d’introduire ce texte.

Il faut écrire : ceci est le dernier texte publié par Kafka de son vivant.

C’est hilarant, car comme il n’en a publié quasiment aucun de son vivant, c’est aussi un des tous premiers (on dirait que je suis le seul à rire, là, non ?)

Mais Dans la colonie (son titre original) permet une constatation intéressante : globalement, les textes de Kafka publiés par Kafka sont moins bons que les suivants, ceux publiés à titre posthume par Max Brod. Comment expliquer que Le Procès n’ait jamais été publié (alors qu’il est quasiment achevé) quand tant d’autres, très inférieurs, l’ont été ? Kafka aurait-il eu des goûts littéraires douteux ?

Le point de départ de ce récit est pourtant extrêmement enthousiasmant : un administrateur est envoyé dans une colonie pénitentiaire qui a la spécificité d’être équipée d’une machine tirant au sort les condamnations des prisonniers, puis les gravant sur leurs corps. Voici une idée lumineuse qui aurait pu déboucher sur un formidable récit de SF ou d’anticipation. Malheureusement, comme la plupart des nouvelles de Kafka, Dans la colonie est trop courte pour qu’on l’apprécie complètement. L’auteur ne développe pas vraiment les caractères, s’appuie uniquement sur son idée de base et finalement se borne à reprendre les thèmes fondateurs du Procès (angoisse existentielle latente, justice aussi absurde qu’implacable, personnage totalement perdu ne comprenant rien à ce qui lui arrive…etc.).

Paradoxalement, on peut aussi se demander si on lirait de manière identique Dans la colonie dans d’autres circonstances. En imaginant, par exemple, que Max Brod aurait obéi aux dernières volontés de son ami et aurait détruit ses derniers ouvrages comme Le Procès. Alors, peut-être, celui qui nous intéresse aujourd'hui paraîtrait-il beaucoup plus profond et abouti ?... ou bien l'inverse ?...

Comme avec des « si » on pourrait refaire le monde, mieux vaut ne pas trop chercher à se projeter (ce qui est forcément difficile lorsqu’on est face à un auteur dont 90 % des publications sont non seulement posthumes mais aussi inachevées). Cela peut sembler absurde (quoiqu’avec Kafka l’absurde régisse l’univers, certes) mais c’est finalement ce récit totalement abouti qui a l’air d’une esquisse et son Procès éternellement inachevé qui semble peaufiné à l’extrême…


👍 Dans la colonie aka La Colonie pénitentiaire 
Franz Kafka | Gallimard, 1919