samedi 9 septembre 2006

Quelque chose en nous d'un peu Harry Haller...

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Le loup des steppes, c’est Harry. Il vit dans notre monde, mais pas tout à fait. Disons qu’il n’habite pas très loin, dans son monde à l’intérieur du monde. En marge.

Rejetant en bloc la société environnante, et plus spécialement la bourgeoisie, Harry vit de manière solitaire et résignée, tel le fameux loups des steppes évoqué par l’étrange traité qu’il dévore au début du roman et dont il est persuadé qu’il fait partie intégrante de sa personnalité.

Hermann Hesse a écrit une sacrée collection de grands livres, mais c’est certainement dans ce roman initiatique aussi éparpillé que complexe qu’il fait la plus belle démonstration de son talent. Dans ces carnets de Harry Haller, « réservés aux insensés »…

Là, je me demande : je suis le combientième à reprendre cette citation ? Le millième, facile.

Placée en exergue du texte, cette espèce d’accroche est un excellent arbre pour masquer la forêt d’interrogations et de thèmes abordés dans ce texte court mais extrêmement dense et remuant. Une justification aussi inutile qu’extrêmement maligne à l’aspect totalement éclaté de la prose de l’auteur…

Car bien évidemment, Le Loup des steppes est loin d’être aussi insensé que ça, bien au contraire. Il nous présente simplement un narrateur ravagé intérieurement ; l’écriture de Hesse se fait l’écho de ce bouillonnement intérieur. Il s’agit sans aucun doute de la quête identitaire la plus complexe et aboutie que j’aie jamais eu l’occasion de croiser dans un roman. Une quête d’autant plus dure et violente qu’elle ne s’achève finalement pas réellement… Qui est Harry ? Au terme du roman, le lecteur n’est pas plus en mesure de répondre à cette question qu’au début. En revanche, il aura traversé un livre aussi essentiel qu’éprouvant, parcouru des pages d’une rare beauté et découvert, peut-être (sans doute), le loup des steppes qui sommeille en lui.

Au passage, l’auteur livre une analyse acide de son époque et de la société dans laquelle il vit, avec d’autant plus de maestria qu’il la dépeint via un narrateur qui la traverse sans jamais véritablement s’y arrêter ni y prêter attention. Un portrait en creux qui rend le texte encore plus crucial qu’il ne l’est déjà à la base : grâce à cela, le roman n’a pas pris une ride. Ecrit en 1927, il pourrait l’avoir été un siècle plus tôt ou bien un siècle plus tard. Les quêtes identitaires existent toujours, les loups des steppes aussi : vous, moi, tout le monde…


👑 Le Loup des steppes 
Hermann Hesse | Le Livre de Poche, 1927