samedi 26 août 2006

Le Malfaiteur - Moderne et remarquable

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Le malfaiteur du titre se nomme Jean. Il vit au cœur de la bonne société bourgeoise, et il aime les hommes. C’est un secret de polichinelle bien sûr, mais chacun ferme les yeux : son entourage le méprise, et lui reste de marbre. Indifférent à tous, sauf à Hedwige. Lorsqu’il comprend que celle-ci est éprise de Gaston, son propre amant, il tente de lui venir en aide en lui écrivant une lettre/confession qui n’arrivera jamais…

J’ai lu beaucoup de romans de Julien Green, mais j’avoue qu’aucun ne m’a frappé comme celui-ci. D’abord parce que la mécanique narrative est parfaitement huilée, comme dans une tragédie : amour, mort, fatalité, ironie du sort… tout y est. Chaque personnage incarne un symbole et chaque symbole trouve sa place dans ce tableau de maître ne gâtant pas plus Jean que ses détracteurs.

Ensuite bien sûr, il y a l’extrême modernité des thèmes abordés. On imagine sans peine tout l’encre que Le Malfaiteur a pu faire couler en 1955… mais il a été écrit en 1938 ! La thèse officielle, délivrée dans la préface de 55, est que l’auteur était en mal d’inspiration. La vérité est toute autre : on sait désormais qu’en réalité, Green n’a quasiment rien changé au manuscrit rédigé dans les années 30. Simplement, à l’époque, un livre parlant aussi ouvertement d’homosexualité était proprement impubliable.

Bien sûr, le mot n’est jamais écrit. Jean ne se définit (ni n’est défini) jamais clairement comme homosexuel. Il aime les hommes – ce qui revient au même et change pourtant beaucoup de choses. Car justement tout le ressort narratif du roman repose sur les mots, ceux qu’on prononce, ceux qu’on écrit et ceux qu’on oublie de prononcer ou d’écrire. C’est à cause d’eux – et d’eux seuls – que l’étude de mœurs tourne à la tragédie. Jamais Julien Green ne se pose en donneur de leçons : son livre traite moins d’intolérance que d’incompréhension. La société bien-pensante que l’auteur radiographie avec une malice toute mauriacienne n’approuve pas le mode de vie de Jean et de Gaston, mais elle ne l’interdit pas non plus. En revanche, tous ces braves gens se révèlent totalement incapables de les comprendre, précipitant ainsi un dénouement aussi dramatique qu’inexorable.

Un très grand livre.


 👍👍👍 Le Malfaiteur 
Julien Green | Points, 1955