mardi 29 août 2006

L'Acacia - Indicible

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Indicible, c’est ce mot que Lovecraft utilise quatre fois par page pour décrire ce qui ne peut pas être décrit. On peut aussi l’employer pour écrire sur ce que l’on ne peut expliquer, et c’est donc le mot qui me semble le mieux approprié à L’Acacia
.

J’ai déjà évoqué par le passé le foisonnement verbal, l’épanchement syntaxique et le déferlement linguistique caractéristiques des textes de Claude Simon. Dans L’Acacia, cette écriture unique en son genre atteint son apogée.

De quoi ça parle ? De beaucoup de choses.

Le sujet le plus présent est sans doute la guerre, ou plutôt les guerres. Elles passent, les unes après les autres. Elles passent sur les hommes et elles marquent leurs temps, puis s’effacent, cédant la place à d’autres guerres qui passeront sur d’autres hommes et marqueront d’autres temps.

L’acacia est là, au milieu de tout cela. Il est planté dans le midi, mais il est aussi, surtout, planté dans le temps. Les guerres et les époques passent, l’acacia reste, centenaire, comme un témoin privilégié (enfin « privilégié », façon de parler…) de ces temps qui, sous la plume de Simon, se croisent et se répondent, sans jamais se rencontrer. Ils sont cloisonnés par des parties comme ils sont cloisonnés dans nos mémoires. Comme pour montrer que l’homme oublie, toujours, fatalement, alors que l’acacia, être vivant lui aussi, conserve les stigmates du temps.

Et le lecteur avance, recule, se projette, secoué par des phrases longues et sinueuses, et par cette structure narrative, ou plutôt cette structure non-narrative qui bouleverse les époques et confond les personnages. On est troublé, perdu, on revient… on est remué, étonné et même agacé, parfois, mais c’est le but du jeu : nous, lecteurs, participons aussi au roman. Bien plus, finalement, que ces personnages qui vont et qui viennent – devant l’acacia.

C’est à ce stade de l’article que je dois me heurter à l’indicible. Tout l’art de Claude Simon réside dans cette idée, à la fois très simple et extrêmement délicate à réaliser, consistant à prendre un élément – l’acacia en l’occurrence – pour en faire non pas un objet ou un symbole mais bel et bien un personnage. Un personnage qui bien entendu ne peut pas agir sur l’intrigue (et donc sur l’Histoire avec un grand « H »), tout en constituant l’élément principal du livre. Mais ce n’est pas bien grave puisque, de toute façon, il n’y a pas d’intrigue. Plus précisément : il y en a trop pour que l’on prennent la peine de les raconter.

Parce qu’au final, seule compte la magie. La puissance du verbe, de mots qui se croisent et créent un tout poétique. Claude Simon use des phrases comme un peintre des couleurs. Il en résulte un tableau splendide, profondément touchant et ouvert à mille et une interprétations, selon le regard qu’on lui portera.

Comme une toile de maître.


👑 L’Acacia 
Claude Simon | Les Éditions Minuit, 1989