jeudi 20 juillet 2006

How the Dead Live - Le Mort aux dents !

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Tatie Danielle est en train de casser sa pipe. Dans le roman de Will Self, elle s’appelle Lily Bloom, elle est juive et américaine, et elle claque dans un hôpital anglais d’un cancer. Cependant malgré tous les efforts de l’auteur pour la déguiser, tous les lecteurs français auront reconnu Tatie Danielle. Qui évidemment vocifère contre les médecins, contre ses filles, contre le monde et même contre la mort. Elle a envie qu’on en finisse et qu’on lui foute la paix, vomit la condescendance de son entourage… pas de bol, c’est loin d’être fini. Parce qu’une fois clamsée, la mort continue…

Et c’est bien là le drame de cette narratrice pas ordinaire. Parce que le monde des morts – le ghetto des morts plutôt – ressemble tragiquement à celui des vivants. Vous vouliez savoir, comme l’indique le titre, comment vivent les morts ? eh bien ils vivent tout pareil que les vivants, ce qui ne donne pas très envie d’être mort. Ils travaillent, ils ont un salaire, et pour la plupart ils reproduisent exactement les mêmes schémas, habitudes et autres rituels que de leur vivant. De fait, Lily « Tatie Danielle » Bloom est toujours aussi infecte, même morte. Peut-être même un peu plus…

Will Self offre, comme toujours, mille et une bonnes raisons de jubiler. Il est comme ça, Will, et How the Dead Live est probablement son livre le plus rageur à ce jour. Le temps d’une saison en ampères, il règle ses comptes et visiblement, il en a beaucoup à régler. Tant mieux pour le lecteur, car il le fait avec une violence et humour décapants : l’écriture de Will Self, c’est de l’acide sulfurique qu’il répand à plaisir sur l’Angleterre, sur ceux de ses frères juifs vivant dans le fantasme de la persécution, sur les réactionnaires de tout crin, sur les sociétés occidentales en état de putréfaction (c’est le cas de le dire), sur les bonnes vieilles valeurs de l’amour, du travail et de la famille, sur les religieux, les bureaucrates… pas de panique, avec Will Self, il y en aura pour tout le monde.

Car si l’on rit, c’est jaune. Derrière son apparente loufoquerie, How the Dead Live est un livre noir, violent et amer. Ce n’est pas une littérature bon-enfant, mais violente et vitriolée. La vanne se fait sarcasme, la parodie se fait satire et finalement, on se dit que pour la seule fois de sa carrière Will Self est presque sérieux. Sa Lily, elle est infecte. Pas question de sombrer dans l’écueil de l’anti-héroïne antipathique qui finit par devenir attachante. L’auteur ne fait rien pour, et de fait on ne peut pas la blairer du début à la fin du livre, tout en dévorant ses pérégrinations. C’est fort, très fort. Un sacré numéro d’équilibriste, presque entièrement maîtrisé (je dis « presque » parce que dans les deux derniers chapitres on se dit que ça commence un peu à tourner en rond - mais Self a l'intelligence de s'arrêter juste à temps). Auteur plus que doué qui n’est déjà pas à un paradoxe près, Will Self est parvenu à écrire simultanément son livre le plus sombre et le plus drôle. Peu d’auteurs contemporains peuvent en dire autant.


👍👍👍 How the Dead Live [Ainsi vivent les morts] 
Will Self | Bloomsbury, 2000