mercredi 19 juillet 2006

One in a Million

[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - N°29]
Dragueuse de fond - Alexandre Varlet (2003)

Tout a commencé en janvier 2003. C'était le bon temps où je faisais de la radio, et j'ai été appelé en urgence : il y avait une interview à réaliser d'un certain Alexandre Varlet, chanteur de son état. Le deal avait été conclu avec le label et il passait le midi au studio pour l'enregistrement. Ce genre de plan est assez répandu dans le monde associatif. Ce sont des petits arrangements entre amis : « Moi, Label, je te file l'interview de Tel Artiste que tu veux, à condition qu'en échange du interviewes Mon Nouveau Poulain ». En général ces exercices imposés, personne ne veut se les taper ; pas plus moi qu'un autre. C'est-à-dire que personne ne connaissait cet Alexandre Varlet, et qu'en plus 2003 a probablement été la pire année pour la chanson française : l'explosion de tous ce qu'ils appellent la nouvelle scène française, ce truc sans queue ni tête où le pire côtoie le meilleur. L'horreur : toutes les deux semaines on nous demandait d'interviewer le nouveau chanteur à textes français à la mode. La plupart d'entre eux ne faisaient pas carrière et disparaissaient assez rapidement. Certains étaient carrément odieux (Cali, pour ne pas le nommer), d'autres adorables et brillants comme Florent Marchet n'ont pas eu la chance d'être parrainés par RTL2 alors qu'ils étaient bien meilleurs...

Vivre une mode, une hype de près, c'est quelque chose d'assez terrifiant. Vous vous ramenez avec un disque que personne ne veut passer. Trois semaines après le mec qui anime l'émission musicale du soir sur France Inter l'a diffusé et là, tout le monde trouve ça génial. C'est usant.

L'interview, je n'étais pas pour. Mais bon, on n'avait pas le choix, le mec s'était déplacé exprès. Ainsi, pour la seule et unique fois de ma vie, j'ai interviewé un mec dont je ne savais ABSOLUMENT RIEN. Interviewer étant un bien grand mot puisque, de mémoire, je n'ai dû aligner que quelques banalités et laissé mes camarades se taper le boulot (comprenez bien que nous n'avions même pas le disque sous la main. Le mec aurait aussi bien pu mixer world et néo-metal.) Pourtant le miracle a eu lieu : l'interview est devenue une discussion, Varlet se révélant un interlocuteur charmant. Et à la fin, il a consenti à jouer deux titres en acoustique.

Le premier des deux m'a littéralement mis K.O. D'une voix atone et étonnante, il s'est mis à chanter :

Bizote tes lèvres
Fais miroiter
La pulpe, le baiser
Que l'écharpe à ton cou
Aux épines Chanel
Me pique, je m'en fous

Et cela revenait, comme ça... parfume-moi, parfume-moi... bien sûr, il y a des choses que l'on ne ressent réellement que si elles parlent à notre inconscient. J'ai toujours été obsédé par les parfums, les odeurs... soudain, tout cela était mis en musique.

Le soir, nous avons assisté au concert. Devant vingt personnes tout au plus.

Le lendemain, j'achetais le disque.

Divine surprise : ce disque n'avait rien à voir avec la démonstration acoustique de la veille. Au contraire, il était parsemé d'arrangement de cordes, d'électricité discrète... il en émanait une sophistication délicate et enivrante. Immédiatement j'ai été séduit par cette poésie étrange et bigarrée, cette adéquation parfaite entre texte et musique, une chose si rare en France. Les Français, je veux dire : les chanteurs français, ont tous pour la plupart cette obsession du texte qui fait que la musique passe au second plan. C'est comme ça qu'on se retrouve à catapulter chanteurs des mecs incapables de chanter juste mais capables en revanche de pondre des textes incroyables (enfin, parfois).

Alexandre Varlet n'est pas de ceux-là. Cet album, comme le précédent, laisse deviner l'empreinte d'un véritable musicien, un mélodiste capable de productions ambitieuses et fournissant un véritable travail sur le son. Là encore, en France, ils ne sont pas des milliers dans ce cas. Il ne néglige pas pour autant les textes. Le plus surprenant, pour moi qui le découvrais comme ça, presque par hasard, étant que finalement « Parfume » est du point de vue textuel le moins bon morceau du disque. « Des mandarines », « Revers », « L'Amour épinglé » et l'incroyable et glauque reprise de la « Chanson à tuer » sont des exercices de style littéraires particulièrement impressionnants. Des chansons non pas à doubles, mais à triples voire à quadruples entrées. Avec non pas un clampin qui nous narre ses états d'âmes mais des narrateurs divers, des hommes, des femmes. « Espèce de chien », aussi, dans son genre, est un texte extrêmement fin et trompeur, d'autant plus que Varlet joue avec son accent là où d'autres en sont affligés comme d'un boulet.

Et bien entendu, tous ces textes sont portés par des musiques superbes, des mélodies instantanées et des arrangements faisant la part belle aux climats et aux atmosphères. Dans le genre, « Lune rousse acoquinée » se révèle proche de la perfection. Étonnant et singulier, voilà deux adjectifs qui conviennent à merveille à cet album évitant brillamment les écueils de la chanson minimalisto-nombriliste. Difficile, vraiment, de rattacher Alexandre Varlet à une chapelle musicale précise. Les pauvres journalistes, qui n'aiment pas trop les disques inclassables, sont bien sûr totalement passés à côté de Dragueuse de fond, qui s'est quand même vendu un petit peu... mais si peu par rapport aux horreurs staracadémico-néostaresques ou même à côté des médiocres productions (censées être plus audibles et plus respectables) de quelques uns de ces « nouveaux chanteurs français » dont on nous gave les portugaises à longueur de numéros de Télérama...

Alors si je peux faire un peu de pub à Alexandre Varlet, pourquoi se priver ?


Également disponible :

Naïf comme le couteau (1998)