mercredi 28 juin 2006

Hunter S. Thompson - Rhum'n'Roll

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Ca commence à l’aéroport. Kemp fait la queue avant l’embarquement, et il remarque une jolie blonde à deux ou trois personnes devant lui. Il va bien sûr tout faire pour attirer son attention, et il va bien évidemment totalement foirer son coup (voire carrément se ridiculiser).

Joie et bonne humeur sont donc de mises durant un chapitre. Sauf que ce n’est pas vraiment le propos. On rit beaucoup, mais Thompson n’a pas écrit un livre comique, loin de là.

Kemp est journaliste. Il est encore relativement jeune, et il part s’installer à Porto Rico. Porto Rico, une nouvelle terre d’expérimentations pour ce petit gars qui croit avoir tout vu… là-bas, il va vite déchanter. Oui, il y a du rhum à gogo, des putes pour pas cher et des touristes super sexy. Il y a aussi la misère, partout. La corruption des fonctionnaires, la corruption de ses propres supérieurs au sein d’une rédaction particulièrement remuante… et bien sûr il y a tous ces américains qui profitent de la pauvreté environnante pour s’en mettre plein les poches.

Si vous allez vous renseigner sur le Net, vous apprendrez que The Rum Diary est considéré comme l’unique roman de Hunter S. Thompson. Vous apprendrez aussi que l’histoire, paraît-il, se passe dans les années 50. Vous m’en direz tant !

C’est probablement de tous les livres de l’auteur le plus romanesque, mais aussi et paradoxalement celui qui contient le moins d’éléments fictionnels. Thompson a réellement été journaliste à Porto Rico dans les années 50, et de son propre aveu il n’a sorti ce livre que tardivement parce que, justement, la plupart des faits et des personnages sont tout ce qu’il y a de plus réels. Quant à l’histoire qui se déroule dans les années 50… honnêtement, ce ne serait pas écrit sur le quatrième de couverture qu’on ne s’en rendrait même pas compte. Parce que tout cela est brûlant d’actualité, et parce que si la situation des Portoricains a évolué depuis lors, c’est à l’évidence en pire.

Alors bien sûr on rit, parce que Thompson, même quand il veut frapper fort, ne perd jamais le sourire – en l’occurrence le rictus. Il n’empêche que ce roman à clé cinglant, outre une galerie de personnages cruellement croqués et une intéressante réflexion sur l’exil (Kemp comprend assez rapidement que les portoricains fuient clandestinement l’île pour des raisons très similaires à celles qui l’y ont amené), est tellement d’actualité qu’il en est parfois gênant. Ces touristes, massacrés par la plume alerte de l’écrivain-journaliste qui en a vu d’autres, cela pourrait très bien être vous – ou moi. Et ces hauts fonctionnaires qui abusent de leur pouvoir, arrondissant leurs fins de mois à coup de proxénétisme ? Et ces journalistes qui ferment les yeux en échange d’une agréable rétribution ? Dans les années 50, vraiment ?

Au passage, Thompson n’épargne même pas son double littéraire, narrateur vif et amusant, mais complice également de par son silence. Pourquoi Kemp est-il venu se perdre ici ? Et surtout pourquoi reste-t-il ? Il faudra attendre la fin du livre pour le savoir.

D’ici là, le lecteur aura ri, aura tremblé, aura peut-être même vomi (l’abus de rhum assurément)… mais il ne ressortira pas indemne de ce roman exceptionnel le renvoyant presque naturellement à ses propres contradictions.


👍👍 The Rum Diary [Rhum Express] 
Hunter S. Thompson | Simon & Schuster, 1998