dimanche 4 juin 2006

Mr. Noon - Quand la légende devient réalité

...
Mr. Noon… Comment parler de ce texte ? Longtemps, il fut un mythe. Beaucoup en avaient entendu parler, sans jamais le lire. Lawrence lui-même l’évoquait dans ses correspondances. Mais à sa mort en 1930, personne ne réussit à mettre la main dessus. Il fallut plus de cinquante avant que le manuscrit soit retrouvé et publié.

D’aucuns disent qu’il est inachevé… je ne suis pas persuadé que ce soit le cas. Au terme de cette lecture, il est totalement impossible de dire si ce texte est terminé ou non. Ce qui est certain en revanche, c’est qu’il n’aurait jamais pu paraître à l’époque où il a été écrit (c’est à dire entre 1921 et 1923 – personne n’est vraiment affirmatif à ce sujet). Pourquoi ? Parce qu’il s’agit probablement du livre le plus fou, le plus subversif et le plus sulfureux d’un auteur dont l’œuvre entière sent déjà très nettement le soufre.

Mr Noon aime Johanna, Johanna est mariée. Ensemble, ils décident de s’enfuir et prennent le chemin de l’Allemagne. Une fois arrivé là-bas, le couple scandaleux se désagrège, s’autodétruit à force de renfermement sur lui-même.

Cette histoire d’amour fou et adultérin est en elle-même assez choquante pour les années 20. Mais elle l’est d’autant plus que Lawrence prend tout juste la peine de changer son nom en Noon et celui de sa maîtresse Frieda en Johanna. C’est probablement le seul texte de l’auteur dont on puisse affirmer qu’il est autobiographique à 100 %, ce qui le rend encore plus scandaleux et encore plus impubliable.

On est comme toujours littéralement flingué par l’écriture sublime de l’auteur, sa verve, cette ironie froide et ce mélange de raffinement so british et de crudité extrême. Mais plus encore qu’à l’accoutumée c’est l’étude de caractères qui est tout simplement incroyable ! Quelle performance que cette manière de brosser sa propre histoire avec humour et détachement. Quel talent, quel finesse d’analyse… D.H. Lawrence, dont on parle souvent de l’écriture rageuse en omettant de souligner qu’il est également un formidable portraitiste, élève ici le recul sur soi au rang d’art majeur. Il est égal à lui-même, évidemment, c’est-à-dire mordant et cruel au possible. Mais cette fois-ci il est impitoyable non seulement avec la bonne société anglaise, non seulement avec Frieda, mais encore, mais surtout avec sa propre personne : Mr Noon n’est pas un personnage, il est une parodie goguenarde et entendue de D.H. Lawrence himself.

Un texte remarquable et méconnu, qui ne lasse même pas à la seconde lecture.


👍👍👍 Mr. Noon 
David Herbert Lawrence | Fredonia Books, 1984