mardi 2 mai 2006

Mon coiffeur

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Mon coiffeur est un homme extraordinaire. A chaque fois que je vais chez lui il m’épate.  Je l’ai encore vu hier et, comme chaque fois, ce furent vingt minutes d’une rare intensité, mais vraiment : vingt minutes incroyables.

Il faut déjà le voir, mon coiffeur, il a un look d’enfer. Évidemment je ne peux pas mettre une photo de lui, je tiens à ce que tous ceci reste entre vous et moi. Mais je peux vous donne une idée très précise de ce à quoi il ressemble, en creux. Vous voyez Jean-Louis David ? Bien. Bah vous imaginez l’inverse absolue de Jean-Louis David et vous aurez mon coiffeur. Le seul point commun qui unisse ces deux hommes, c’est qu’ils ont trois prénoms. Comme le coiffeur des stars, le mien a un triple patronyme pour le moins curieux : Jean-Pierre Jean. Certains parents sont des irresponsables….

Jean-Pierre pourtant n’est pas le premier coiffeur venu, et c’est bien pour ça que c’est le mien d’ailleurs, vous vous doutez bien qu’une personnalité comme la mienne ne peut aller chez le premier Jean-Louis David venu. Qui plus est, quand vous allez chez Jean-Louis David vous n’êtes jamais coiffés par Jean-Louis David, au mieux vous avez sa photo dans un coin de l’immense salon. Alors que moi, quand je vais dans le tout petit salon de Jean-Pierre Jean, vous ne me croirez peut-être pas, mais je suis coiffé par Jean-Pierre Jean himself. Ça vous la coupe, hein ? En fait des fois il y a aussi l’autre coiffeur, le vieux, celui qui était là avant Jean-Pierre Jean. Il habite toujours dans l’appartement au-dessus du salon, et des fois l’ancien coiffeur vient se faire coiffer par le nouveau. Ainsi vous vous retrouverez parfois, si vous passez par chez J-PJ, face à ce cruel dilemme : se faire coiffer par l’ancien ou par le nouveau ? Comme vous vous en doutez, mon choix est fait depuis longtemps : je suis totalement acquis à la cause de Jean-Pierre. Ne fût-ce que pour son look, à mi-chemin entre Aristide dans Premiers Baisers (allons, allons, vous aussi vous avez été gosse ou pire : vous en avez eu) et Mr Bean, mon coiffeur vaut le détour. Il venge à lui seul des générations entières de jeunes coiffeurs dont la carrière fut flinguée en pleine ascension par des gens mal intentionnés qui leur renvoyaient tous les clichés du coiffeur : super svelte, efféminé un max (mais totalement hétéro) et fringué comme un Jean-Paul Gautier trash – bref le genre Dave le King of the Style dans l’émission sur RealTime. Certaines de ces caricatures de coiffeurs poussent même le vice jusqu’à mettre des pantalons en cuir moulants comme ceux de Judas Priest. Si, si, je vous jure, le mec qui me coiffait quand j’étais gamin il mettait des pantalons comme ça, il ressemblait à Lorenzo Lamas.

Jean-Pierre, lui, ne ressemble à personne, sinon peut-être à Jean. Il a toujours peu ou prou la même tenue : il ne porte que des chemises à petits carreaux façon serviettes de table (carreaux verts, carreaux rouges, carreaux bleus, peu importe du moment que les carreaux sont petits et carrés), et il a toujours la même cravate, une minuscule petite cravate rouge (enfin j’imagine qu’en fait il a plein de micro-cravates rouges mais c’est une supposition, on est pas assez intime pour que j’aie jamais osé lui poser la question). Pour couronner le tout il arbore un pantalon en velours quelle que soit la saison (noir toujours – le pantalon pas la saison). Et bien sûr ses petites lunettes tip-top mode, seul article à peu près contemporain de la panoplie. Je me rends compte que je n’ai jamais fait gaffe à ses chaussures mais je ne serais pas surpris de découvrir qu’en fait il travaille en charentaises. Je vais arrêter là ma description mais sachez tout de même que comme tout les « vrais » coiffeurs (c’est à dire à contrario de tous ces connards de Jean-Louis David) il est très mal coiffé – mais alors vraiment très mal – et que comme tout coiffeur de province qui se respecte il passe Cherriiiiiiiiiiiiiie éfémème dans son salon.

Et pourtant cet homme est mon idole. Il vous parle de quoi, à vous, votre coiffeur, pendant qu’il vous coiffe ? A coup sûr du temps qu’il fait, assez probablement de ce que vous faites dans la vie (parce qu’il ne s’en souvient jamais, il vous le fait croire mais c’est faux – c’est ça quand on va chez des Jean-Louis David à la chaîne) et il est à peu près certain qu’à un moment où à un autre le mot « Sarkozy » va apparaître dans son monologue.

Mon coiffeur à moi, il me parle de foot. Il parle sans doute d’autres choses avec les autres gens, mais moi il me parle de foot car il sait qu’il a trouvé la perle rare : la seule personne du coin qui s’intéresse à ses connaissances astronomiques en la matière, ses statistiques, ses références, ses pronostics… Quand j’ai été le voir hier, fatalement, je savais à quoi m’attendre. Entre la finale de la Coupe de France de samedi dernier et l'annonce du départ en retraite de Zidane, plus cette foutue Coupe du Monde qui approche, il y avait peu de chances qu’il me parle du retour du printemps en Normandie. J’y allais la fleur aux dents et quand je suis rentré dans le salon (vide) son visage s’est éclairé d’un immense sourire. Une lueur de quasi désir s’est allumée dans ses yeux, et une tension érotique insoutenable s’est installée dans la pièce. Il a commencé à shampouiner délicatement ma chevelure et a susurré à mon oreille ces mots qui m’ont fait ronronner de plaisir « Je me demande bien qui pourra battre les brésiliens »…

... émoustillé (on le serait à moins) mais n’en perdant pas pour autant mes facultés intellectuelles, j’ai ordonné à mon cerveau d’opérer un rapide passage en revue de tous les pays qualifiés. Pendant ce temps la mousse était délicatement rincée et Jean-Pierre, d’un tout doucereux, m’expliquait que le problème du Brésil c’était toujours la défense, le tout c’était de leur confisquer le ballon et de les empêcher de jouer. A ce moment-là, dans un éclair de lucidité, mes yeux ont croisé les siens par l’entremise du miroir d’en face et du reflet de ses lunettes, et j’ai eu une sentence que je regrette encore, car j’ai bien senti que ça l’avait blessé : « Il reste l’Allemagne. Pourquoi personne ne mise sur l’Allemagne ? les Allemands sont chez eux, ils sont vice-champions du monde et pour l’heure n’ont joué que des matchs amicaux – on ne sait pas réellement ce qu’ils valent. » Erreur. J’ai bien senti, alors qu’il commençait à couper la touffe de cheveux du dessus (je partage avec mon frère la particularité génétique d’avoir les cheveux qui poussent en l’air), que Jean-Pierre Jean n’était pas de ceux qui avaient songé aux Allemands. Du coup, perturbé par un raisonnement que je voulais au départ totalement amical, un raisonnement qui n’en était même pas un (tout au plus une interrogation personnelle), Jean-Pierre a commencé à bafouiller pour se justifier. Et durant cinq minutes qui m’ont semblé trois jours il a passé en revue toutes les Équipes d’Allemagne qu’il avait connu depuis sa naissance (il doit avoir dans les cinquante ans) pour bien que je comprenne que c’était pas « La Grande Équipe d’Allemagne ». Pffiou…j’ai failli lui dire qu’à ce moment là le Brésil n’était pas « La Grande Équipe du Brésil » (que j’associerais plutôt au Roi Pélé ou à O baixinho) mais non, j’allais pas me faire avoir deux fois. Sinon là j’étais partie pour toutes « Les Grandes Équipes » de chaque nation victorieuse d’une Coupe du Monde depuis la naissance de Jean-Pierre – et d’Uruguay en Argentine d’Italie en France et de Hollande en Angleterre je l’avais dans l’os.

Fatalement à ce stade de la coiffure (enfin de la discussion), nous nous sommes retrouvés à parler de l’Équipe de France. Là je fais une petite digression car je veux que vous compreniez bien que mon coiffeur est un authentique spécialiste, il s’y connaît à mort. Il suit tous les championnats de tous les pays et connaît tous les résultats français, Ligue 1, Ligue 2, CFA…il est gonflé à bloc, nourri à Foot + et à France Football, c’est un as dans son genre, un vrai. Curieusement, il n’est pas marié.

Donc : l’Équipe de France. Tout amateur de foot dans ce pays est intarissable sur le sujet. Eh bien Jean-Pierre Jean est encore plus intarissable que n’importe quel intarissable de tout le pays. A côté de lui franchement, Thierry Roland est un blaireau – ok : Thierry Roland est un blaireau devant n’importe qui d’autre mais encore plus devant J-PJ. Jean-Pierre aime beaucoup Raymond Domenech (moi aussi) mais il trouve qu’il a du mal à trouver un système de jeu convaincant (moi aussi). Il regrette beaucoup qu’on n'ait plus le Djorkaeff de la belle époque, le Snake, qu’on faisait rentrer dans le dernier quart d’heure et qui marquait 9 fois sur 10 pour plier le match. Il pense qu’à son âge, c’est comme ça que Zidane devrait être utilisé, mais non, je ne suis pas d’accord :

« Désolé mais non, ce n’est pas le même profil. Zidane c’est un constructeur de jeu, si on fait rentrer le mec qui construit le jeu dans le dernier quart d’heure, c’est nous qu’on se sera faits plier avant.
- C’est juste » approuve Jean-Pierre, mais sans conviction. « Mais bon… Zidane commence à se faire vieux, tout de même.
- Évidemment.
- Pour sûr. Il fait bien de prendre sa retraite je crois, vaut mieux arrêter comme lui au Real que comme Desailly au Qatar. »

L’attaque était basse mais je n’ai pas relevé. Pauvre Marcel ! De toute façon c’était cuit : Jean-Pierre était lancé sur les « Grandes Équipes de France » - heureusement nous arrivions au séchage. Rocheteau, Platoche, Giresse… ils y sont tous passés, Fernandez aussi évidemment. Ainsi que Tigana, et une cinquantaine d’autres, même Guivarc’h ! Jean-Pierre a retrouvé peu à peu son entrain, mais je sentais bien que nos liens s’étaient distendus : cet enfoiré de Zidane était venu s’immiscer entre Jean-Pierre Jean et moi. Après il a évoqué les joueurs français qui étaient passés à côté de leur carrière en Équipe de France : Cantona, Laslandes, Luccin…il a même évoqué Benoît Cauet ! et c’est là, à cette seconde, que s’est produit le drame ; j’ai fait un truc horrible : j’ai contredit Jean-Pierre, qui affirmait que Cauet avait fait carrière au Milan A.C.

« Ah non ! c’était à l’Inter. »

Oh la bourde. On peut avoir raison sur beaucoup de sujets quand on parle avec mon coiffeur. Mais le moucher sur le foot, involontairement qui plus est, lui dire les yeux dans les lunettes dans le miroir qu’il s’est gouré… c’est vraiment la connerie à pas faire. Son regard est devenu très sombre, ses pupilles se sont rétrécies – il bouillonnait. J’ai eu peur un instant qu’il me coupe une oreille mais non, Jean-Pierre a beaucoup de flegme. Il maîtrise. C’est un artiste, vous savez. D’où notre immense complicité. « De toute façon le temps des joueurs charismatiques est révolu. » a t-il asséné, ce en quoi je ne pouvais réellement lui donner tort. « Cantona, Fernandez... » Il est reparti sur Luis, le caractériel, ses expulsions, ses coups de gueules. Le joueur français le plus expulsé dans le Championnat de France. Et là moi, trop con, je dis : « Non. ». Quel abruti je fais ! Jean-Pierre me regarde bizarrement. Il veut savoir ce que je veux dire. Il a l’air intéressé, parce que Jean-Pierre aime aussi apprendre des trucs. Du coup je lui pose ma devinette. Il cherche, propose des noms…et au bout d’un moment je lâche, d’un air entendu : « Le joueur le plus expulsé de toute l’histoire du Championnat de France c’est… Raymond Domenech ! » J’étais tellement content de mon petit effet que je n’ai pas saisi l’erreur terrible que je venais de commettre, car Jean-Pierre a littéralement explosé : « Ah ouiiiiiiiii !! Domenech ! Quelle teigne c’était ! Ah là, c’était un bon défenseur mais aujourd’hui il se ferait expulser à tous les matchs ! Ah ouais, Domenech… »… comme je l’ai dit plus haut mon coiffeur aime beaucoup Raymond Domenech. Alors il m’a narré la carrière de Domenech (que je ne connais pas forcément très bien, j’étais encore jeune quand il a pris sa retraite) en long en large et en travers – mais je vous épargne ça. Finalement j’ai dû me résoudre à quitter Jean-Pierre car ma coupe était prête. On a ouvert les paris sur la finale de la Champions League, on s’est serré la main chaleureusement et je suis passé à la caisse. 14 euros 80 pour me faire ratiboiser le cuir chevelu et me dégoûter du foot pour les deux mois à venir (jusqu’à mon prochain passage chez le coiffeur), j’ai trouvé que c’était honnête.

Je suis donc rentré chez moi. Demain, sans doute, je croiserais Jean-Pierre Jean dans la rue, il me fera un signe de la main et un grand sourire. C’est un mec bien, et comme tous les mecs biens il ne le sait pas. J’aime beaucoup Jean-Pierre qui lui-même aime beaucoup Raymond Domenech qui lui-même aime beaucoup Aimé Jacquet qui lui-même aime beaucoup Bernadette Chirac. C’est une synthèse pour le moins étrange, et j’ai bien conscience de conclure ma chronique en queue de poisson – je me rattraperai à l’avenir, promis. Maintenant vous pouvez très bien ne pas croire à l’existence de Jean-Pierre Jean, coiffeur pour homme. Peut-être est-ce un coiffeur idéal né dans un de ces rêves que je fais lorsque le Dieu Théralène vient s’emparer de moi le soir vers 23h00. Quand bien même : ça ne m’empêchera pas de l’aimer. Mon coiffeur est un homme d’exception, une chanson des Wampas à lui tout seul. Les Wampas ont inventé le rock'n’roll et Jean-Pierre Jean a inventé le football, cela fait partie des vérités fondamentales de l’univers, que vous le vouliez ou non. Même si vous êtes sceptiques. Après tout il y avait aussi des gens pour douter que la terre était ronde. Et d’ailleurs je ne serais pas surpris d’apprendre un jour que Jean-Pierre Jean est le coiffeur de ce cher Didier Wampas, et qu’ils causent tous les deux du temps qu’il fait, des activités de Didier et de Sarkozy. Les débats foots, ils sont rien que pour moi, n’en déplaise à Didier, et j’imagine que c’est par rancœur que ce dernier ne lui a jamais consacré la chanson qu’il mérite. Moi, j’en ai fait une chronique.

Et sinon, je vous ai déjà raconté la fois où j’ai rencontré Dhorasoo au mariage d’un ami ?


1 commentaire:

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