jeudi 11 mai 2006

Allow Your Inner Sage to Burn Your Rage Less

[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - N°8]
Amethyst Rock Star - Saul Williams (2001)

C'a commencé pour moi avec un film, Slam… même pas un film en fait. Je la refais ok ?

C'a commencé par une scène d’un film.

Le héros, taulard, cogne sur les barreaux de sa cellule en déclamant des vers magnifiques évoquant la lumière et la liberté. Je crois que je connais cette scène par cœur. A l’époque je ne savais pas qui était Saul Williams, je croyais juste que c’était un acteur. J’étais jeune.

J’ai découvert assez vite qu’il s’agissait d’un slammer. Qu’est-ce qu’un slammer ? Quelqu’un qui pratique le slam, par dit ! Un art oratoire né au début des années 90 dans les rues pourries des ghettos américains et dont le prêcheur ultime se nomme… Saul Williams. Le slam aujourd’hui est devenu un truc à la mode. Avec les fameuses « battles » dont Williams a été durant toute la première partie de sa vie le champion incontestable et incontesté. Ces mêmes « battles » qu’on retrouve odieusement pompées dans le 8 Mile d’Eminem. Ce même slam qu’on nous (re)vend aujourd’hui avec le nullissime Grand Corps Malade en essayant de nous faire croire que ça vient de sortir - ben tiens ! Le slam c’est un truc unique et ce n’est pas à proprement parler de la musique, c’est bien pour cela que la plupart des slammers n’ont jamais sortis de disques mais des recueils de poésie. Ou quelques uns plus malins, comme Eminem et surtout Saul Williams, ont eu l’idée futée d’en faire de la musique. Du rap pour le premier, et pour le second un genre totalement hybride dont il est à ce jour l’unique dépositaire.


Qui pourrait mieux présenter Saul Williams que Saul Williams lui même ?...

"I’m the american born of beats & blood
The concert of the sun unplugged"

... scande-t-il, tel un mantra, sur "Om Nia Merican". Poète, puis artiste de rue, puis comédien, puis musicien aujourd’hui unanimement reconnu, il est parvenu en l’espace de quelques années à totalement renouveler la conception de la poésie américaine. Lorsque je l’ai interviewé, lui même en a convenu : on a trop souvent associer le hip hop à la poésie pour que cette union soit réellement très catholique.

Avec Williams, cependant, le hip hop et son dérivé oratoire le slam ont acquis une crédibilité et un statut auquel personne ne s’attendait. Par le biais d’un film, tout d’abord en 1998. Une caméra d’or pour son metteur en scène Tony Levin, et une exposition médiatique pour le moins inattendue pour sa vedette, Saul Williams, auteur et principal interprète. Egalement présent sur la B.O. via un duo avec KRS One, Williams finit par sauter le pas en publiant quelque mois plus tard un premier EP. Il n’est certes pas un débutant en matière de musique puisqu’il a déjà fait de nombreuses apparitions discographiques depuis ses débuts en 1987. Il faudra néanmoins attendre 2001 pour qu’un véritable album voit le jour. Entre temps, il aura réussi la prouesse de faire éditer un recueil de poésie par MTV ! Recueil aux vertus étonnamment lucratives pour une oeuvre poétique - et qui plus est loin d’être accessible.

Amethyst Rock Star, s’il n’explose pas les ventes, est néanmoins une belle révélation - et assurément l’un des plus grands disques parus en cette première moitié de décennie. Car loin de se cantonner à son rôle de poète de rues barbu, Williams a mis la barre très haut, explorant tous les styles musicaux qui lui tiennent à coeur : le hip hop bien sûr (« Lalala », « Peny for a Thought »), mais aussi la fusion (il sample admirablement ses amis de Rage Against The Machine sur "1987"), la soul (« Fearless »), le gospel (« Wine ») ou le jazz.

Non content de faire vibrer une plume sensuelle et rageuse, Saul Williams est également doué d’un organe remarquable, à faire pâlir les plus grands soulmen. Vu qu’en plus le garçon est une bête de scène (et votre serviteur de se remémorer plusieurs prestations d’une rare intensité, quasi mystiques)... on se dit qu'il a décidément tout pour lui !

Après cette explosion qui a fait de lui le jouet des branchés (sa musique est formidable mais on ne peut hélas qu’en perdre une partie si on n’est pas anglophone), Saul Williams s’est fait plus discret. Il a surtout radicalisé son propos. Je me souviens d’une vidéo extraordinaire (j’aurais tellement voulu être dans la salle) : Saul Williams, seul sur scène, déclamait son « Pledge to Resist »… :

"Nous croyons en tant que peuple
Des Etats-Unis que c’est notre
Devoir de résister aux injustices
Commises par notre gouvernement, en notre nom.

Ce ne sera pas en notre nom
Que vous endurerez une guerre sans fin.
Il ne doit pas y avoir plus de morts
Ni de transfusions sanguines pour du pétrole

Ce ne sera pas en notre nom
Qu’on envahira vos pays
Qu’on bombardera des civils, tuera plus d’enfants
Laissant l’histoire suivre son cours
Par-delà les cercueils des Sans Noms

Ce ne sera pas en notre nom
Qu’on éradiquera les libertés absolues
Pour lesquelles vous vous êtes battus

Ce ne seront pas nos mains
Qui porteront les armes et révèleront
Le massacre de familles
Sur des terres étrangères souillées

Ce ne seront pas nos bouches
Que la peur fera taire !"

[…]

"Ce n’est pas notre volonté
Et ce n’est pas en notre nom

Nous jurons résistance
Nous prêtons allégeance à ceux
Qui ont souffert d’attaques
Pour avoir osé s’opposer à la guerre
Pour leur religion ou leurs origines

Nous jurons de faire cause commune
Avec les peuples du monde entier
Pour amener justice liberté et paix
Un Autre Monde est possible
Et nous jurons de le rendre tangible"


Mieux découvrir Saul Williams :

Depuis ce premier album, Saul Williams n’a publié qu’un seul autre album (éponyme) l’an dernier. Vous pourrez néanmoins le découvrir sur ses deux excellents EPs, Elohim’72 (1998) et Not In Our Name (2003).

Il a à ce jour publié trois recueils de poésie : The Seventh Octave (1997), She (1999) et Said the Shot Gun to the Head (2003) mais qui n’ont hélas pas été traduits à ma connaissance.