lundi 3 octobre 2022

Pretty Sick - 1993 a ouvert un compte Insta (et c'est aussi délavé que vous l'imaginez).


Il y a quelques jours, j'ai fait quelque chose que je n'avais plus fait depuis très longtemps : acquérir un album sans avoir la moindre idée de ce que j'allais trouver dessus, juste parce que je trouvais la pochette marrante. Fut un temps où j'en avais suffisamment pour pouvoir me permettre ce genre de petites fantaisies. J'étais jeune, innocent, sans doute un brin oisif. Comme Pretty Sick, en fait. J'avais des glandes à m'en fracasser le tête contre les murs même les jours où j'étais de bonne humeur, rien ne m'allait jamais vraiment, et le seul moment où je parvenais à oublier tout cela était quand je mettais de la musique très fort et chantait à tue-tête les hymnes de Mudhoney, Hole ou des Smashing Pumpkins. Comme Pretty Sick, en fait.


Je suppose que c'est ce que l'on appelle le conditionnement culturel. J'ai passé tellement d'années à déchiqueter mes fringues (tout en faisant croire à ma mère qu'il s'agissait de malencontreux accrocs) que je flaire l'odeur de la chemise à carreaux, du jean bleached ou de la mélancolie post-coïtale à vingt bornes à la ronde – quand la simple vue d'une pochette ne me hérisse pas automatiquement les poils. On a beau ne jamais être à l'abri d'un accident (le grunger étant génétiquement programmé pour mourir avant ses 30 ans, les rares survivants ont tendance à être un peu déphasés lorsqu'il s'agit de rock'n'roll – certains aiment même les derniers weezer), un radar à bons groupes alternos ne vous abandonne jamais si vous l'amenez régulièrement à la révision – et quelle meilleure manière de le mettre à l'épreuve que de lui soumettre des choses comme cet excellent Makes Me Sick, Makes Me Smile, qui fait bien mieux que de raviver des souvenirs de jeunesse. Oh bien sûr, les fantômes habituels sont convoqués. Les vingt premières secondes de l'album plantent le terrain vague, qui semblera de prime abord bien connu de quiconque a eu ses premiers chagrins d'amour dans les années 90. Il serait absurde de faire comme si l'on n'aimait pas l'album aussi pour cela – je parie même que l'essentiel des interviews que donnera le groupe dans les mois à venir seront à des types comme moi, 35/45 ans, légèrement voire fortement dégarnis, et portant des t-shirt ZERO à leurs heures perdues. Mais il faut dire aussi que les terrains vagues se ressemblent tous. Ce qui compte est ce que l'on essaie d'y planter ; Pretty Sick usent des outils de jardinage de gens qui pourraient sans problème être leurs parents (qui n'a jamais hérité d'un râteau ou d'un arrosoir d'une vieille tante ?), mais une pépite comme "Black Tar" n'a clairement pas été pensée pour remuer vos souvenirs d'enfance. La voix habitée de la jeune Sabrina Fuentes (depuis qu'elles ont statistiquement plus de chances d'être mes filles naturelles que des mes futures petites amies, je ne me fatigue plus à essayer de deviner l'âge des chanteuses et c'est très bien ainsi – disons 20 ans à tout casser) vient, doucement ou le plus souvent férocement, vous entretenir de relations toxiques, de dysmorphophobie métaphorique ou de prophéties auto-réalisatrices, toutes choses dont on ne parlait pas réellement du vivant de Kurt Cobain – pas en ces termes, en tout cas, et pas avec une crudité si désarmante que sur "Self Fulfilling Prophecy". Les références sont-là, belles et bonnes. Pretty Sick s'inscrit dans une filiation d'autant plus évidente que l'album est produit par Paul Kolderie en personne – si vous avez grandi dans les nineties et que son nom ne vous dit rien, sachez qu'il a produit ou enregistré la moitié de la discothèque de votre adolescence1 et qu'il n'est pas spécialement connu pour s'acoquiner avec le premier groupe rétro qui passe par-là. Courntey Love, Kim Deal et Kathleen Hanna devront fatalement être citées à un moment de l'article, principalement pour que l'auteur puisse souligner qu'il connaît son sujet, mais la réalité est qu'arrivé à "Human Condition", soit seulement la troisième piste de l'album, les ombres tutélaires ont déjà été balayées par l'évidente qualité d'un groupe et d'une vocaliste hors-paire, dont les chansons tantôt rageuses et tantôt hypnotiques se suffisent bien assez à elles-mêmes.

La vérité vraie est que des groupes dans ce style, on en entendu plein depuis dix ans, dont on a à peine retenu les noms. Exception faite de Male Bonding, qui ne date pas de la semaine dernière et partageait avec Pretty Sick d'être écartelé entre l'Angleterre et les States, on en a vu aucun qui sache nous faire croire durant plus d'une chanson que, oui : on peut encore jouer ce genre de musique au vingt-et-unième siècle. Non seulement en la faisant sonner, mais sans la vider de sa substance pour en faire une banale machine à nostalgie. Et que : non, le ralenti/explosion de Black Francis n'est pas que l'équivalent sonore d'un vieux poster jauni dans la chambre d'un adolescent devenu un père de famille bien rangé – pareil pour les lignes de basses de Krist Novoselic ou les murs de grattes des Pumpkins (voir "PCP", grand final en apesanteur comme plus grand monde n'en produit aujourd'hui... à commencer par les Pumpkins elles-mêmes). Avec sa bouille à sortir à peine de l’œuf, Sabrina Fuentes est sans doute bien loin de ces préoccupations. Elle a avant tout essayé, cela ne fait aucun doute, de faire une musique qu'elle aimait et qui lui ressemblait – et c'est une belle réussite, il suffit d'écouter le texte moitié morveux moitié blasé de "Heaven" pour s'en rendre apercevoir. Cela n'empêche pas de la savoir gré du reste. Comme le chantent avec humour les Wampas sur le meilleur titre de leur dernier album, sorti le même jour que Makes Me Sick, Makes Me Smile, "Heureusement il reste encore des femmes qui préfèrent les vieux à guitare". Je ne sais pas si Sabrina Fuentes trouvera un vrai public parmi les gens de sa génération, j'oserai même dire que j'en doute, mais au nom de tous les vieux à guitare, merci à elle.

 
Makes Me Sick, Makes Me Smile
Pretty Sick | Dirty Hit, 30 septembre 2022


1. J'exagère à peine. Le mec a fait Live Through This, Lovey des Lemonheads, les deux premiers Uncle Tupelo, trois Throwing Muses... des albums qui au-delà de leur statut de classiques ont extrêmement peu vieilli en regard de leurs contemporains, et Kolderie n'y est sans doute pas pour rien.
 

22 commentaires:

  1. ah ouais effectivement c'est pour moi ça! (spéciale dédicace aux vieux à guitare). Du coup je stresse un peu, le test de l'écoute va-t il être concluant ?

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    1. Ouaip, c'est un article putaclickàXavier :-)

      Et je ne saurais trop t'encourager à aller écouter la chanson des Wampas, qui est vraiment très drôle et surtout très vraie, je ressens exactement la même chose quand je discute avec les jeunes femmes de 20/25 ans que je croise au bureau. Et j'ai environ 20 ans de moins que Didier Wampas, je crains le pire pour l'avenir.

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    2. "le grunger étant génétiquement programmé pour mourir avant ses 30 ans" merde, j'ai eu une inspiration géniale hier soir pour mon futur article (qui, pur hasard :) sera dans la thématique), tout ca pour m'apercevoir ce matin que c'était un enregistrement inconscient d'une phrase de ton article...

      sinon je vais écouter la chanson des Wampas, mais pas sur qu'elle me parle autant que toi car je ne discute malheureusement avec aucune jeune femme de 20/25 ans, ni au bureau ni ailleurs...

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    3. Hum, il me semble que ce n'est pas la première fois que tu déplores de ne pas fréquenter de jeunes femmes de 20/25 ans au boulot, tu veux qu'on en parles ? Vas-y hein, on est entre nous au comptoir du PMU :-)

      Hâte de lire ton article, promis mes avocats n'attaqueront pas pour plagiat.

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    4. :D y aurait de quoi discuter... mais pas ici, des commentaires par écrit pourraient vite être mal interprétés...

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  2. Bonjour Thomas et merci pour la découverte !

    C'est vraiment pas mal, cohérent, ça ressemble à beaucoup de choses mais la voix et les textes ont une vraie personnalité, j'aime.

    Et maintenant je vais lire tous les articles du Golb que j'ai manqués en 2022 lol

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    1. Ça n'en fait jamais que 13 (mais certes, c'est toujours 13 fois plus qu'en 2021 ^^)

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  3. Merci pour la parenthèse (note) sur Kolderie, ce mec est une petite légende inconnue. Tu aurais pu ajouter à la liste Pablo Honey, ses prod pour Morphine, Dino...je sais pas s'il y a un producteur de sa génération qui a un aussi beau CV à part Albini (Kolderie était son assistant sur Surfer Rosa d'ailleurs). Sans oublier son éternel binôme des 90s Sean Slade!

    Bref ça donne carrément envie, j'ai écouté vite fait et ça sonne très très bien, après sur la durée je sais pas à voir.

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    1. Si la question est de savoir s'il y a des producteurs avec un CV aussi imposant, oui, il y en a quelques uns (je pense en particulier à Jack Endino, qui était un peu le Gars Sûr de Sub Pop et qui a, en gros, produit tous les classiques du grunge qui n'ont été faits ni par Kolderie & Slade, ni par Albini, ni par Butch Vig). Mais leurs prods ont souvent souffert des outrages du temps, alors que Kolderie, tu prends presque n'importe quel disque, ça sonne toujours admirablement bien (à part peut-être Pablo Honey, justement...) Et surtout, son CV est quasiment sans tache, même sur ses contributions plus tardives (on lui doit aussi dans les années 2000 le formidable Yes, Virginia des Dresden Dolls, par exemple...)

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  4. Merci !
    D'autant plus que je déteste la pochette, ce qui fait que je ne serais jamais venue à ce disque par moi-même ;)
    J'en profite pour dire que moi aussi, je suis contente de te lire à nouveau !

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    1. Eh bien moi aussi je suis content de lire. Et de voir que tu as meilleur goût que moi pour les pochettes :-)

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  5. (de TE lire bien sûr... désolé, longue journée !)

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  6. bon, ton radar fonctionne encore parfaitement ! Des références citées, je trouve que celle qui se rapproche le plus est le premier album des Breeders. Juste, pour la voix on est au moins autant sur Avril Lavigne que sur Kim Deal...

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    1. C'est possible, je ne te cache pas que je n'ai pas beaucoup écouté Avril Lavigne depuis 2002 (et à l'époque, c'était plutôt à mon corps défendant). Mais j'ai déjà observé que pour les jeunes américains d'aujourd'hui, elle fait presque figure de classique. Ce qui est évidemment très drôle quand on se rappelle à quel point on se foutait de sa gueule à l'époque, mais quelque part c'est dans l'ordre des choses (qui serais-je pour juger alors que ma génération est celle qui réhabilité Depeche Mode qui fut en son temps LE MAL ABSOLU aux yeux des esthètes ?...

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    2. Et puis le problème d’Avril Lavigne ça a jamais été sa voix. Juste tout le reste (le look hot topic, Les chansons, l’orthographe du mot « skater », le mariage de star avec le leader de sum 41, le légende qu’elle a été remplacée par un sosie (oui elle aussi, vraie légende urbaine )…

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    3. Oh merde, j'avais jamais entendu parler de ça (alors que ça dure depuis plus de 10 ans...), j'ai vraiment des lacunes en Avril Lavigne. Je ne savais pas non plus qu'elle avait été avec le chanteur de Nickelback après celui de Sum 41 (la meuf n'a vraiment rien fait pour être aimée dans ces pages).

      Merci vieux, tu viens de me faire la soirée, là :-)

      P.S. : (je viens d'acheter le nom de domaine "riversestamuerto.com", juste au cas où)

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    4. (sinon, pour la partie un peu plus sérieuse, je suis d'accord, on lui reprochait avant tout d'être la version Coke Light Sans Caféine de plein de trucs auxquels on reprochait déjà d'être la version Canada Dry de plein d'autres trucs. Je ne crois pas avoir jamais eu la moindre opinion sur sa voix en tant que telle... que je serais probablement incapable de reconnaître si je l'entendais en dehors d'un de ses tubes)

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    5. alors citer la voix Avril Lavigne n'était pas quelque chose de rédhibitoire par rapport à ce disque, tout au plus un bémol car pour la filiation grungy je préfère des chanteuse qui ont un peu plus fumé, picolé, etc... bref dont on sent dans le chant qu'elles ont un peu plus de vécu ou de fêlures. On en revient au fait que la chanteuse de Pretty Sick est très jeune.
      Concernant Avril Lavigne je n'ai écouté que son premier album, et encore pas depuis des décennies, mais il avait franchit mon mur du snob qui était bien épais à l'époque

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    6. C'est bien légitime: Complicated c'est pas une mauvaise chanson.

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    7. moi j'étais très "I'm with you" mais ca c'est parce que, comme dirait notre hôte, je suis une midinette

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    8. Vous me voyez tout étonné de vous trouver si calés en Avril Lavigne. Encore Guic, bon, c'est de son âge, mais toi Xavier, c'est quoi ton excuse ?

      "on sent dans le chant qu'elles ont un peu plus de vécu ou de fêlures. On en revient au fait que la chanteuse de Pretty Sick est très jeune."

      Je crois que tu viens involontairement de trouver la raison de la mort du rock. Les jeunes d'aujourd'hui ne fument quasiment plus (surtout dans les pays anglo-saxons). Dire que certains cherchent la réponse depuis des années alors qu'elle était toute con. Merci d'avoir réservé cette exclue au Golb ^^

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