lundi 5 mars 2018

Waco - Tragédie à hauteur d'hommes


Le label "inspiré de faits réels" est sûrement l'un des plus repoussoirs qui soient. On l'a tellement écrit ici que l'on aimerait ne pas avoir à le redire, mais le fait divers n'ayant jamais autant eu le vent en poupe que ces dernières années, il y a peu de chances pour que ce soit la dernière fois : le réalisme n'est pas une valeur artistique en soi, bien au contraire, la reproduction fidèle et détaillée de la fameuse corbeille de fruits indiquant plus volontiers que vous êtes un peintre débutant qu'un créateur accompli. La fidélité à la réalité, toutefois, n'est pas exactement la même chose que le réalisme. On peut considérer que dans le cas de la mise en images (ou en mots) de faits "réels", elle concourt d'un pacte tacite avec le récepteur. Celui-ci ne s'intéresse a priori pas à un évènement ou une figure historique pour qu'on vienne lui raconter n'importe quoi à son sujet, à plus forte raison lorsqu'il connaît peu la figure, ou mal les coulisses de l'évènement. C'est l'une des problématiques de la saison d'American Crime Story en cours de diffusion : où peut bien se situer l'équilibre entre l'impératif artistique de s'imposer à l'Histoire et la nécessité morale de ne pas lui faire dire le contraire de ce qu'elle raconte ? Jusqu'à quel point peut-on distordre des faits établis pour en faire une œuvre ou pour développer un message ?


Adapté d'une des plus grandes tragédies de l'histoire américaine récente, Waco nage en plein dans ces interrogations et a le mérite d'y répondre très vite, très simplement et avec une grande sobriété. On ne peut pas dire pourtant qu'elle opte pour la facilité tant l'histoire est connue (à tout le moins dans son pays d'origine et, chez nous, des amateur de faits divers et d'histoires de sectes bien sordides) et largement documentée : la série de Paramount Network narre par le menu le blocus de Waco, soit cinquante-et-un jours durant lesquels l'ATF et le FBI assiégèrent la secte des Davidiens sous le prétexte d'une possession illégale d'armes qui fut très contesté par la suite, y compris aux plus hauts sommets de l'état américain. La thèse officielle – elle aussi très contestée, notamment par les rares survivants – est celle d'un suicide collectif des Davidiens, dont la quasi totalité (plus de quatre-vingts personnes dont un quart d'enfants) mourut dans l'incendie de leur ferme.

Objet d'un abondant corpus depuis vingt-cinq ans, l'histoire contient suffisamment de zones d'ombres et de points frictions pour être convertie en fiction, mais si elle a beaucoup inspiré par la bande, elle n'avait jamais réellement été adaptée à l'écran. Le résultat n'est pas irréprochable, notamment en raison d'une réalisation un peu platounette qui peine par endroits à rendre parfaitement la tension du siège. Waco n'en demeure pas moins une très bonne surprise dans la mesure où, si la presse US ne manqua pas ces dernières semaines de lui reprocher de manquer un brin de folie pour une histoire d'illuminés persuadés que leur leader a l'oreille de Dieu et va briser les Sept Sceaux de l'Apocalypse, on pouvait tout autant craindre que le résultat ne bascule dans le n'importe quoi et/ou le sordide. Il est au contraire d'une grande sobriété, jusque dans le choix du format : une mini-série en six épisodes là où d'autres auraient aisément cédé à la tentation de la surenchère, ce qui a certes pour effet d'énormément compresser les évènements et les traits de caractères de certains personnages secondaires (notamment féminins), mais a pour avantage d'éviter tout relâchement de l'attention du spectateur alors même que le sujet d'un siège de cinquante-et-un jours aurait pu prêter le flanc aux longueurs et aux scènes pseudos contemplatives.


Il est vrai qu'un show dont le point de départ est un tel modèle de tragédie antique n'a guère besoin de surjouer le drame ou l'intensité, a fortiori lorsqu'il dispose d'un si excellent casting. Archétype de l'acteur souvent victime de son physique de beau gosse, moqué même dans les projets de qualité et abonné aux rôles de rebelle à mèche maugréant des punchlines, Taylor Kitsch impressionne dès les premiers instants dans une partition aux antipodes de ce à quoi l'industrie l'avait habitué – la preuve, il parle tout le temps, sourit, provoque, badine... et compose un David Koresh certes un peu taré mais fondamentalement bon et attachant, ce qui distille un brillant malaise lorsque l'on a entendu parler du personnage (gourou, polygame, violent et violeur), mais justifie aussi mieux que bien des flashbacks la foi inébranlable animant sa "famille". Avant d'être composée d'allumés notoires qui finiront (ou pas) par se foutre en l'air dans la joie et l'allégresse de la Foi, celle-ci est emplie de femmes et d'hommes simples, pacifiques, ce qui n'a pas manqué de faire hausser les sourcils à la critique (il semble notamment que les Davidiens étaient d'authentiques paramilitaires rompus à la maîtrise des armes, ce qui est effectivement totalement absent de la série), tout en étant conforme à la conception la plus répandue de cette tragédie de nos jours : les Davidiens étaient bien une secte, avec tout ce que cela sous-tend, mais une secte qui ne faisait chier personne et entretenait même jusque-là des rapports très cordiaux avec le monde extérieur.

Si ce traitement peut surprendre, et si l'on pourrait même pousser jusqu'à reprocher aux frères Dowdle de ne pas vouloir trancher entre un point de vue et un autre, il est très représentatif de leur démarche, qui commençait dès le choix de se baser non sur un ouvrage historique aspirant à une forme de neutralité mais sur les témoignages de deux personnages-clés : le survivant David Thibodeau (Rory Culkin) et le négociateur du FBI Gary Noesner (Michael Shannon), au demeurant tous deux consultants sur le tournage.

Les vrais Noesner et Thibodeau, réunis par Time Magazine.

Il ne s'agit pas tant d'une volonté de confronter des points de vues antagonistes : les deux témoins ne divergent pas tant que cela, d'autant qu'ils furent finalement assez extérieurs au nœud de l'affaire (Thibodeau, comme le souligne très clairement la série, était plus un invité permanent qu'un membre actif de la secte ; Noesner a pour sa part toujours été contre le fait de donner l'assaut) ; le premier apparaît comme pacifique, l'autre comme foncièrement pacifiste. Mais cette double inspiration témoigne d'une volonté d'épouser le siège, la figure de Koresh et celles de ses suiveurs dans toute leur complexité, sans manichéisme, sans jugement préconçu. Beaucoup d'efforts sont faits pour replacer le contexte et recentrer les différents protagonistes, au service d'un message peut-être discutable (et tant mieux, ce sont les plus intéressants), mais d'une belle clarté : quelles qu'aient été leurs croyances et ce que la justice pouvait potentiellement avoir contre eux, peu importe même qu'ils se soient suicidés ou aient été pris au piège de gaz lacrymo inflammables (hypothèse retenue sans grande surprise par la série), les Davidiens étaient au final des victimes ne méritant en rien un sort si atroce. Koresh paraît sympathique ? Sans doute, il n'empêche qu'il avait tout de même interdit le sexe à tous les membres de sa secte, sauf avec lui, et tenait la plupart sous une telle influence qu'il n'avait même pas besoin de se faire vénérer ou de se montrer agressif pour obtenir ce qu'il désirait. Le FBI et l'ATF ont chié dans la colle et accumulé les bavures ? Assurément, mais les pressions politiques étaient terribles, comme le raconta Clinton lui-même, et le siège dura si longtemps qu'il était impossible que personne ne finisse par se laisser emporter par une spirale de violence sans cause ni raison, ou si peu. Waco ne cherche pas réellement à expliquer l'inexplicable (dans le fond, personne ne sait pourquoi les évènements s'enchaînèrent de la sorte), elle se contente de le raconter avec juste ce qu'il faut de parti pris et de romantisation pour tenir le spectateur en haleine (les cliffhangers de fin d'épisodes sont tous très efficaces et, dans le même, d'une grande simplicité). Rythmée, bien dialoguée, elle trouve un compromis plus qu'intéressant entre nécessaire véracité, positionnement idéologique et entertainment pur. Ce qui, de nos jours, en ferait presque un OVNI.


👍👍 Waco
créée et réalisée par John Erick & Drew Dowdle
Paramount Network, 2018

14 commentaires:

  1. Très bon article...Et très bonne série, vraiment une des bonnes surprises de l'année. J'ai vraiment pas compris les critiques plutôt moyennes. Rien que la prestation de Taylor Kitsch vaut le détour.

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    1. J'ai compris certaines critiques, que j'ai trouvées plus ou moins fondées, en revanche je n'ai pas compris qu'elles soient dans l'ensemble aussi moyennes. Je trouve qu'on devient bien difficile pour la fortune qu'on a, comme disait ma grand-mère.

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  2. Je note ça alors. Le pitch avait l'air intéressant mais je n'étais pas sûre que ça tiennent vraiment dans une série (je n'avais pas noté qu'il n'y avait que 6 épisodes). Je me rappelle avoir déjà entendu parler de cette histoire mais je n'en sais pas beaucoup plus.

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    1. Oui, c'est assez court (d'autant que les 6 épisodes sont d'une longueur raisonnable). Franchement en dehors du fond, c'est une des séries que j'ai pris le plus de plaisir à regarder depuis le début 2018 (en dépit des défauts évoqués).

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  3. Bel article. Je te rejoins sur la réalisation platounette : c'est pour moi le gros défaut de cette mini-série, et l'assaut final est à ce titre bien décevant (pourquoi proposer un montage avec tant de musique ?).
    La direction d'acteurs laisse également un peu à désirer, ce qui est un comble vu le casting.
    Malgré tout, j'ai passé un bon moment, et Taylor Kitsch m'a vraiment impressionné. Il suffit de regarder quelques vidéos du vrai David Koresh pour se rendre compte de la prouesse qu'il a réalisée.
    Notez que la chaîne Paramount Channel a proposé 6 mini documentaires de quelques minutes après la diffusion de chaque épisode :
    https://www.youtube.com/watch?v=Z7LvpZ8GTbU
    Cela permet de mettre les choses en perspective.
    Enfin, Thibodeau et Noesner font une courte apparition à la toute fin du dernier épisode (dans le couloir).

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    1. Ah c'est marrant, j'avais déjà écrit l'essentiel de l'article et incorporé la photo, donc je savais à quoi ils ressemblaient en 2018, mais je n'ai même pas remarqué cette apparition. Ce qui prouve que j'étais quand même vraiment absorbé, j'imagine...

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  4. D'accord avec à peu près tout (y compris, le problème de réalisation, même si sur 6 épisodes, cela paraît moins grave que sur une durée longue).

    Vu que tu as l'air de connaître un peu le sujet, il y a une question que je me pose : la très belle scène de fin d'épisode 5 (le "concert"), a-t-elle vraiment eu lieu ? Cela paraît incroyable ! Je n'ai pas réussi à trouver cette information...

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    1. Le concert de 10 minutes le soir où ils ont réussi à réparer le générateur a bien eu lieu, tous les survivants l'ont raconté. Par contre je ne sais pas si Koresh a joué face à la fenêtre pour narguer le FBI et ça semble quand même peu plausible ;)

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    2. Je ne connais pas si bien que ça l'histoire, PAULINE. J'ai lu quelques articles, vu un ou deux docs (ou peut-être le même doc deux fois à plusieurs années d'écart, si ça se trouve ^^), mais ça remonte un peu. Donc je ferai confiance à SERIOUS sur ce coup.

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    3. (mais moi aussi, cette scène de fin d'épisode m'a vraiment marqué... à la fois elle est quand même un peu aumaxdutrop, et malgré tout elle m'a filé quelques frissons, je dois dire...)

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  5. C'est vrai que cette série trouve un équilibre vraiment intéressant entre tous les impératifs d'une adaptation de fait divers. Surtout que le sujet reste brûlant aux Us. Faut savoir qu'il y a eu au moins deux ou trois commissions d'enquête depuis 25 ans qui ont toutes appuyées le FBI, donc le fait que les branch davidians soient des "victimes" n'a toujours pas été reconnu par l'histoire et c'est d'autant plus à saluer que les deux frangins aient réussi à empoigner cette question sans en faire une œuvre polémique. Comme tu dis c'est à dimension humaine, on peut réellement compatir avec les personnages et c'est ce qui fait que certains trucs contestables en terme de véracité passent très bien.

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    1. Difficile de réellement mesurer la proportion de véracité dans une affaire où la version officielle est à ce point contestée, non ? J'ai tout de même l'impression, même si je reconnais que le terme "communément admise" est peut-être exagéré, que le fait que ces évènements aient été une grosse bavure est à peu près reconnu aujourd'hui (même si la proportion varie selon les individus).

      Ce qui m'a un peu plus dérangé, mais je n'en parle pas dans l'article car je ne connais pas assez le sujet, c'est que j'ai un peu l'impression que ces dernières années David Koresh est devenu un genre d'icône posthume des complotistes et de l'alt-right, un symbole de la manière dont l'état fédéral bafouerait la constitution et ce genre de conneries (avec un combo religion + armes, c'était difficile que ça ne finisse pas comme ça). J'ai eu l'impression à lire quelques trucs parus avant la série que celle-ci s'inscrivait dans un mouvement plus général qui n'est pas qu'une réhabilitation objective des victimes... ce qui expliquerait aussi la sévérité d'une part de la critique US vis-à-vis des partis-pris d'adaptation. Enfin cela dit, je n'ai rien trouvé à reprocher à Waco de ce côté...

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  6. Comme le dit Noesner à 12:30, tout n'est pas tout noir ou tout blanc :
    https://www.youtube.com/watch?v=mHmWLmac0a4
    Il n'y a ni gentils ni méchants dans cette histoire.
    Je trouve par exemple dommage que la thèse selon laquelle 7 des 9 survivants avaient les vêtements imbibés d'essence n'ait pas été mentionnée dans la série (c'est évoque à 5:57 dans la vidéo postée ci-dessus).

    Une des conséquences directes de la tragédie de Waco, c'est que le FBI préfèrera parfois reculer, par peur de provoquer un carnage. Ce fut le cas par exemple lors du "Bundy stand-off" : en gros, un rancher nommé Clive Bundy faisait paître son bétail sur des terres fédérales sans payer de taxe au gouvernement. On lui a réclamé un million de dollars, il a refusé. Le FBI est venu saisir son troupeau, et c'est là que sont arrivés à cheval des copains ranchers armés jusqu'aux dents et prêts à en découdre. Le FBI a fini par céder, et le type a récupéré ses vaches (au passage, c'est le genre d'exemple que les défenseurs du second amendement citeront pour expliquer la nécessité d'être armé pour lutter contre la "tyrannie" gouvernementale). En 1993, si ça a dégénéré, c'est que l'ATF et le FBI ne voulaient pas montrer de signe de faiblesse. Aujourd'hui, ils semblent prêts à faire des concessions pour éviter un Waco n°2.

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    1. Je ne connaissais pas du tout l'histoire de Clive Bundy, merci pour cette précision intéressante.

      J'avais lu en effet le truc de l'essence, une des raisons d'ailleurs pour lesquelles la thèse du suicide collectif a toujours été officiellement retenue. En même temps je ne suis pas surpris que ce ne soit pas évoqué dans la série, cela va clairement à l'encontre de la thèse sur laquelle elle s'appuie.

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