mardi 4 mars 2014

J'ai oublié de te dire #2

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Je n'arrive plus à lire depuis Freedom. Du tout. J'arrive à déchiffrer des mots sur des pages, mais ils me paraissent toujours ternes et j'ai toutes les peines du monde à en voir le bout. Freedom a tout balayé. Il a rendu caduque le reste - tout le reste. Même des auteurs parmi mes favoris ne me font désormais presque plus rien. J'entends les (gros) sabots et je vois les (grosses) ficelles. C'est terrifiant. J'ai avalé ces presque six cents pages en quelques jours et sur le coup, je te le promets, j'aimais la littérature plus que tout. A présent, je n'en suis plus trop sûr. Jonathan Franzen m'a fait croire, l'espace de quelques formidables heures, que l'on pouvait encore écrire des livres comme ça, de nos jours. A peine le volume rangé dans ma bibliothèque, il s'est cependant empressé de me rappeler à quel point c'était rare, à quel point chaque virgule d'un tel texte devait être savourée. Les grands livres, je ne sais pas si tu le sais, sont plus fort que tout le reste. La perfection y côtoie le plaisir qui génère la frustration. On les reconnaît à la manière qu'ils ont non seulement de te marquer à vie mais aussi, parce qu'ils finissent toujours par se terminer, de te la gâcher un peu après. Et tu veux savoir le pire ? Le pire, c'est que ce Freedom ne raconte rien de très original. Son classicisme est si exacerbé qu'on se demande s'il s'agit bien du même auteur (celui de Strong Motion et bien sûr, surtout, des Corrections). Une histoire de famille - une de plus. On se croirait dans Six Feet Under (et c'est presque aussi bien que Six Feet Under). Des conflits générationnels larvés. Un triangle amoureux à ce point caricatural que, sous la plume de n'importe qui d'autre, on rirait aux éclats. Il faut une sacrée confiance en soi pour oser un tel livre. Peut-être autant que de folie. Dans Freedom, rien ne surprend et tout ou presque est absolument et désespérément prévisible. La seule chose qui étonne, c'est à quel point tout cet enchevêtrement de clichés parvient à accoucher d'une œuvre forte, cohérente, multiple. Il y a de la magie, là-dedans. Plus que dans les trois romans de fantasy que j'ai lus depuis. Plus que dans cet autre qui, pourtant, louait la puissance divine. Plus que dans ce dernier qui se voulait merveilleux et outrageant. Le véritable outrage... l'insolence, la seule, c'est celle d'un auteur osant six cents pages d’œuvre totale sans jamais donner l'impression d'essayer de jouer au grand écrivain, pour au final te laisser regrettant qu'il n'y ait pas eu six cents de plus. Le reste n'est, ma foi, que littérature.

11 commentaires:

  1. Elle est vraiment chouette, cette nouvelle rubrique :)

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  2. Hou que c'est bon, de lire ça.

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  3. Je comprends très bien le sentiment. Moi aussi, il m'a dans un premier temps emballée, puis plongé, mais ce n'était pas voulu, dans une longue panne de lecture! Superbe roman en tout cas, moi aussi un des meilleurs que j'ai lus depuis des années. H.

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    1. Idem. Je me suis demandé depuis combien de temps je n'avais pas lu quelque chose d'aussi génial (jusque dans ses petits défauts). Un bail, sans aucun doute.

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  4. Ah, enfin le retour de Thomas le lecteur !!
    Bon, bah y'a plus qu'à lire Freedom, si j'ai bien compris.
    Le pire, c'est qu'il doit traîner quelque part chez moi, ma fille l'ayant lu, mais qu'à l'époque, en lisant la 4e de couv', il ne m'a pas du tout donné envie.
    Ceci dit, je devrais savoir qu'il ne faut PAS se fier aux 4e de couv'..

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    1. Thomas le lecteur a, avouons-le, des coups de flemmes très fréquents. Il faut dire qu'il a - malheureusement - de moins en moins le temps de lire. Peut-être aussi qu'en un sens, il aime moins lire que lorsqu'il était plus jeune (même s'il continue tout de même à lire 10 fois plus que la moyenne de l'humanité). Mais purée, quand il croise un Franzen sur sa route, son instinct reprend instantanément le dessus :)

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  5. Eh bien je ne peux que te conseiller d'y foncer, comme tu t'en doutes :-)

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  6. Tiens, j'avais zappé ce texte. J'ai eu un peu le même sentiment en lisant Freedom. Et j'ai aussi pensé à Six Feet Under et plus précisément à la pertinence, parfois, de ce truc un peu cliché qui associe aujourd'hui roman et série télé. Et pourtant, là, c'était bien ça. C'est de la littérature, mais je lisais en me disant que j'y ressentais le même plaisir qu'en voyant Six Feet Under. Vivre avec les personnages. S'en sentir proche. Et quand on referme le livre, ce sentiment qu'ils vont nous manquer, qu'on va avoir un peu de mal à vivre sans eux.
    Récemment, même si ce n'est pas au même niveau, un plaisir relativement similaire en lisant Le roman du mariage, le dernier Eugenides. Là aussi, quelque chose de très simple, voire de banal, qui se déploie, qui devient passionnant.

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    1. Je note le Roman du mariage, merci pour le tuyau.

      Sinon je suis d'accord avec toi (évidemment). J'aurais tendance à ajouter que Freedom est un livre qui gagne à être lu lentement, même si quelque chose en lui pousse à le dévorer. Comme une série, donc.

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