lundi 24 février 2014

Alphabetical - The Kids Are (almost) Alright

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Tu les regardes et tu te demandes à quand remonte la dernière fois que tu as vu un groupe deux fois dans la même semaine. Tu te dis que c'est tout de même un sacré indicateur (même si tu n'es pas certain de savoir de quoi). Et puis tu réalises que ce n'est probablement jamais arrivé, ce qui du coup n'indique plus grand-chose - n'exagérons rien. Tu vas leur faire un article, déjà. C'est presque sûr, et plus le concert défile, plus le "presque" devient facultatif. Tout ça parce que tu te faisais chier un dimanche soir.

L'acte 1 débute au Point Éphémère. Lorsque tu écriras l'article, tu n'oublieras pas de laisser entendre que c'est une animale intuition qui t'a conduit là, même si en fait, c'est ton amoureuse qui avait surtout envie de sortir (tu ne savais même pas que ce tremplin avait lieu, et l'aurais-tu su que tu n'y serais probablement pas allé - parce que soyons sérieux une seconde : les tremplins, c'est toujours très chiant quand ce sont les gosses des autres). Les groupes défilent. Quatre ou cinq, tu ne sais plus trop. Tu as loupé le début et à vrai dire, si rien ne sonne foncièrement désagréable à ton oreille, rien ne paraît particulièrement mémorable non plus. Tout cela est propre, net, sans bavure. Presque trop pro par instants ; trop rodé, trop carré, trop dans les clous. Tu commences à te dire que c'est moche, en fait, d'être "jeune" en 2014. Si c'est pour sembler évadé d'une pub Urban Outfitters ou jouer des trucs d'il y a dix hypes, autant devenir vieux tout de suite. Quand Alphabetical arrive, bon dernier (une évidence, rétrospectivement), tu as presque envie de te lever et d'aller leur faire des câlins. Déjà parce qu'ils semblent à peine sortis de leur œuf, mais surtout parce que tu es content de voir enfin des gens qui n'ont pas l'air d'avoir passé les dix dernières années à étudier des vidéos de leurs groupes préférés pour savoir comment bouger sur scène. Il a tout de même fallu attendre une bonne heure et demi pour voir dans un tremplin un groupe ressemblant à... un groupe de tremplin. Avec encore un peu de morve au nez et une émotion manifeste de fouler une scène qui, à défaut d'être grande, a vu passer quelques grands. Toi, si tu avais 18/20 ans et que tu jouais au Point FMR, tu n'aurais que des WOW PUTAIN dans la tête, et des OOOOOOOOH MON DIEU aussi, sans oublier quelques BORDEL LA DERNIÈRE FOIS QUE JE SUIS VENU ICI C’ÉTAIT J MASCIS À MA PLACE !!!!!!!!!).


Les choses auraient pu se calmer une fois la musique lancée. Le problème des vrais jeunes groupes, c'est qu'ils sont souvent vraiment jeunes. Avec tout ce que cela comporte d'imperfection, d'incertitude, de recherches musico-identitaires parfois totalement vaines. Manière polie de dire que neuf fois sur dix, c'est nul. Les bonnes surprises arrivant toujours par pack de deux, ce ne sera évidemment pas le cas ici. Au contraire, dès les premières notes, le set d'Alphabetical est un régal, plein de promesses et dans le même temps beaucoup plus qu'embryonnaire. Difficilement classable, aussi, comme souvent les groupes de cette génération-là, qui ont absorbé tant et plus de trucs que les sous-sous-courants d'antan ont l'air de balises toutes poussières plantées par les vieux citoyens d'un monde préhistorique (tu souris en te disant que dans quinze ans, quand les mecs de l'âge d'Alphabetical auront pris ta place, toutes ces balises auront sans doute disparues - et Dieu qu'il sera beau, ce monde où l'on n'entendra plus jamais parler de mathcore, de death-noise mélodique ni de heavy drone indépendant). En l'espace de vingt minutes, tu croiras entendre Gang of Four et Akron/Family, les Talking Heads en cool et At The Drive-in en mou, le Phoenix des débuts et le Cure de quand c'était bien. En vrai, tu n'entendras qu'Alphabetical, et n'auras d'yeux que pour eux. Ce chanteur aux gestes empruntés et à la voix chevrotante. Cette section rythmique imparfaite mais déjà suffisamment impressionnante pour que tu aies envie d'être téléporté deux ans plus tard. Rien n'est absolument parfait mais tout est déjà là. La présence scénique. La personnalité. Et puis il y a les chansons, aussi. Bien sûr. Pas dégueulasses a priori. Autrement plus vraies et singulières que ce que tu entends depuis la soirée. Tellement, à vrai dire, que tu sais déjà que le groupe ne gagnera pas. Les groupes comme ça ne gagnent jamais, dans les tremplins. Tu le sais d'autant mieux que tu as toi-même déjà été juré de tremplin, il y a approximativement trois vies.


L'acte 2 se termine à L'International, un peu en sueur et le sourire aux lèvres. Lorsque tu écriras l'article, tu n'oublieras pas de laisser entendre que ton intuition, toujours aussi animale, avait à ce point été titillée le dimanche précédente que tu avais ressenti le besoin d'en avoir le cœur net (c'est surtout ton amoureuse qui a insisté pour aller voir Alphabetical le vendredi suivant, mais personne n'a besoin de le savoir. Et puis il faut reconnaître que tu avais trouvé la bande-annonce suffisamment prometteuse pour avoir envie de mater tout le film). Entre temps, la semaine a passé, tu as écouté au moins douze nouveaux groupes et Alphabetical, pour sa part, a reçu le Prix des Balades Sonores en guise de justice divine. Tout va bien, et le concert de l'Inter était chouette. Différent, en un sens. Autre lieu, autres mœurs. Et autre ambiance, avec visiblement quelques fidèles (au Point FMR le seul fidèle que tu avais croisé était le père d'un des musiciens, qui t'avait dit être très fier - il avait bien raison). Le groupe a paru plus détendu, confiant, surtout le chanteur, plus souriant (à un moment, il a même parlé, ce qui envoie un message d'espoir à tous les parents de jeunes chanteurs introvertis dansant comme Ian Curtis mais avec une plus belle mèche). Paradoxalement, l'univers a paru aussi moins abouti, dévoilant des morceaux détonnant un peu, ici un truc pour vieux corbac ayant trouvé la vérité vraie de la vie chez Baudelaire, là un truc super dansant mais surtout super moche. La set-list compacte et chronométrée du tremplin n'avait donc pas que des désavantages, d'un autre côté le contraire t'aurait probablement inquiété. Ce qui t'auras surtout frappé au final, c'est que tu te souvenais parfaitement des refrains des morceaux entendus le dimanche, sans avoir eu le temps de jeter la moindre oreille sur l'EP du groupe. Si tu n'avais pas eu peur des répétitions, tu te serais autorisé à te dire que c'était tout de même un sacré indicateur. Le meilleur qui soit, à vrai dire. Plus tard, le lendemain, tu finiras par échouer sur leur Bandcamp et tu fredonneras "Winter" ou l'imparable "Ruster Gold" comme s'il s'agissait de vieux singles que tu te trimballes d'appart en appart depuis des lustres. Tu souriras, hochera la tête tout seul devant ton ordinateur, en te disant que pour la première fois depuis des années (probablement depuis - dans un tout autre registre - VIOL, ce qui mine de rien ne rajeunit pas tes lecteurs), tu tiens quelque chose. Et qu'il va falloir te manier de le crier sur tous les toits avant de te faire piquer ton nouveau meilleur coin à champignons.


- Disque -  
👍 Ruster Gold 
Alphabetical | Autoprod, 2014



3 commentaires:

  1. Ah, c'est vrai que c'est pas mal !

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  2. J'aime pas du tout (vraiment pas mon truc) -- MAIS -- dans le genre j'avoue que c'est bien foutu leur truc :)

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