lundi 21 octobre 2013

"Et après quoi ? J'aurais dû me pendre avec une corde de banjo ?"

...
Dix ans plus tard, ma théorie n'a jamais été confirmée. Ni infirmée, ce qui quelque part m'arrange bien. Si je devais l'avoir en face de moi, je ne suis pas certain que j'aurais envie de poser à Ryan Adams des questions sur ce disque particulier. Parce que ce n'est pas celui qui me passionne le plus dans sa discographie - bien évidemment. Mais aussi parce que savoir trop de choses sur certains œuvres ont tendance à empiéter sur notre imaginaire d'auditeur. Et que celui-ci doit prévaloir. Plus que tout.

Flashback. Nous sommes à l'automne 2003 et Ryan Adams est en train de devenir énorme. Aux USA, surtout. Ailleurs aussi, un peu. Suffisamment pour se taper des doubles pages dans la presse de chez nous, quand nous devions être environ deux cents à savoir qui il était seulement trois ans plus tôt. La notoriété va en grandissant et, fait rare et destiné à l'être de plus en plus, il n'y a pas d'autre raison à cela qu'une succession d'albums de grande classe, de concerts déments... tout ce qui n'existe plus tellement aujourd'hui. Adams ne le sait pas alors - ni nous - mais il sera de la dernière génération d'artistes à réussir à s'imposer au grand public sans être marketés à l'extrême. Quatre petites années après le split de Whiskeytown, qui fit de lui le chouchou des amateurs d'indie ricain, il s'est contenté d'enquiller les chansons géniales, publiant coup sur coup trois disques solo tutoyant régulièrement la grâce (Heartbreaker, Gold et Demolition), sans oublier une pelletées d'ouvrages non-officiels faisant le miel des pirates du net (The Suicide Handbook, The Swedish Sessions, Exile on Franklin Street, 48 Hours, Ryan Adams & The Pinkhearts... liste non-exhaustive). En un claquement de doigt, il est devenu le nouveau prince du folk-rock, s'est fait adouber par Dylan et Emmylou Harris, a été choisi comme égérie de GAP et, accessoirement, goûté à la came. Les fans de folk du monde entier attendent avec impatience la suite de Gold, qui l'a imposé depuis 2001 en nouveau Springsteen. Demolition (2002), peu enclin à les brosser dans le sens du poil, ne les a pas le moins du monde découragé. Adams a vingt-huit ans, est connu pour son tempérament versatile, il a l'excuse de la jeunesse. On annonce après tout, sous peu, un nouvel album dont le seul titre suffit à exciter : Love Is Hell. Au final un EP lugubre (la version longue ne paraîtra que quelques mois plus tard) que personne n'écoutera sur le coup, puisque publié le même jour que Rock'n'Roll - cet album de la discorde. Celui qui fit faire la moue aux critiques. Celui à cause duquel on commença à murmurer que le jeune homme s'éparpillait. Rock'n'Roll qui va immédiatement se répandre comme une traînée de poudre auprès du mauvais public, les fans de variété et les auditeurs des college radios. Rock'n'Roll et son tube power-pop FM (et encore, on est gentil de le qualifier ainsi) "So Alive", porté par un invraisemblable falsetto et des lyrics - comment vous dire ? L'idéal est encore de l'écouter.



La power-pop a bien sûr toujours hanté Adams. Dès Whiskeytown, on en trouve déjà quelques illustrations. Le mec est un inconditionnel de Big Star, des Replacements, des artistes aujourd'hui cités en exemple mais dont on oublie que, fut un temps, ils faisaient rire les gens sérieux. Ou les simples amateurs de rock. Après une écoute, partout, et particulièrement en France où le genre n'a jamais été apprécié à sa juste valeur, le couperet tombe. Définitif : Rock'n'Roll sera cet album fumiste n'ayant pas même la politesse de sonner un tant soit peu... rock'n'roll. Un truc indigent, commercial, rendant plus souvent hommage à Bon Jovi qu'à Paul Westerberg, dont la seule raison d'être serait de payer les factures d'un songwriter parfaitement conscient que son Love Is Hell crépusculaire, principalement joué au piano et délayé dans une prod brumeuse, ne rapportera pas un kopeck. La blague est pourtant là, énorme : il suffit de lire ces titres pas possibles, "Note to Self : Don't Die", "Drugs Not Working", "Luminol". Rock'n'Roll n'est pas un album sérieux. C'est un disque qui se fout de la gueule du monde, mais au sens noble du terme. A ses copains les Strokes, le Ryan envoie d'emblée une de ces boutades dont il a le secret, lui dont on a souvent mal perçu le goût pour l'ironie et le second degré : "Don't waste my time : this is IT!", braille-t-il sur le morceau inaugural et premier single d'un album que l'on peut bel et bien lire simultanément comme a) un bras d'honneur à la critique voulant faire de lui un folkeux à mèche romantique ; et b ) une parodie goguenarde de la scène revival rock (on parle alors, encore, des fameux "groupes en THE"). Des mecs qui ont plus souvent les bonnes fringues que le bon son, les références qui font bien plutôt que les chansons qui font mal. Exactement comme ce Rock'n'Roll qui oublie la mention FM, pour la promo duquel Adams posera ridiculement maquillé et grimé comme s'il était la nouvelle star émo en vogue. Il faut revoir les photos de l'époque, elles valent le détour. Difficile de croire qui quiconque ait réellement pu prendre ça au sérieux. Difficile d'imaginer que des critiques éclairés aient réellement pu envisager que le kid poignant de Heartbreaker était devenu ce mec en l'espace de seulement deux ans et demi.


La réalité de l'album est sans doute, bien sûr... évidemment plus complexe que cette vision à peu près aussi paresseuse que le texte de "1974" (et tous les lyrics de Rock'n'Roll, à vrai dire). Adams aime sans doute sincèrement cette musique que personne ne comprend, pop en ce qu'elle parle effectivement plus au peuple qu'aux journalistes et aux branchés. Mais il faudrait être profondément stupide pour croire que le songwriter, qui a plus qu'à son tour fait montre de ses connaissances en matière de musique populaire, a jamais sérieusement envisagé de faire de Rock'n'Roll un vrai disque de rock'n'roll dans lequel il enverrait la purée et le groove. On parle tout de même de l'auteur de "Shakedown on 9th Street", meilleur morceau que les White Stripes aient jamais omis d'écrire. A vrai dire, tout sur Rock'n'Roll pue le cliché et la plaisanterie à la limite du potache, jusqu'au casting qui tout de même, entre Billie Joe Armstrong et Parker Posey, achève de mettre la puce à l'oreille.

On m'opposera que même en admettant la validité de ma théorie, cela ne rend pas Rock'n'Roll plus brillant ou intéressant. C'est vite dit. Une fois accepté l'idée que l'on à affaire à un exercice de style pas bien sérieux, on ne l'écoute assurément plus de la même oreille. Il va sans dire que toute incompatibilité viscérale avec la power pop ou le rock FM rend l'ouvrage à peu près inaudible, mais il n'est pas interdit à qui se tamponne du bon goût d'en trouver certains passages délectables. Le véritable défaut de Rock'n'Roll, encore eût-il fallu l'écouter plus de trois fois pour le noter, est surtout qu'il s'effondre totalement dans sa deuxième moitié (et surtout son dernier tiers), perdant le fil où agençant tout simplement mal les morceaux (NOTE POUR MOI-MÊME : consacrer un jour un article à la VRAIE tracklist idéale de chacun de mes albums favoris). Quatorze titres (quinze pour l'édition limitée) étaient sans doute un peu trop pour un album qui avait à peu près tout dit au bout de six, et dont aucun des morceaux suivants ne retrouve la morgue un peu vulgaire mais tellement cool d'un "Shallow" ou "So Alive". On sait, ici peut-être plus encore qu'ailleurs, que les plus courtes sont les meilleures ; faire un album entier de Rock'n'Roll était sans doute une erreur, un péché d'orgueil qui rend le bonhomme encore plus sympathique mais n'ajoute ni ne soustrait quoi que ce soit au résultat final. Un résultat qui vaut ce qu'il vaut mais a le mérite de faire preuve d'hybris, car il n'y a que du panache à faire un album au troisième degré sans prendre la peine de coller un sticker irony inside dessus, et à fonder délibérément une partie de sa notoriété sur un malentendu volontaire.

Enfin. Selon ma théorie.



👍 Rock'n'Roll 
Ryan Adams | Lost Highway/Universal, 2003

3 commentaires:

  1. dès la lecture de ce très bon article, je me suis replongé dans Rock N Roll, d'autant que j'adore "So Alive" (car comme tu le dis: "il n'est pas interdit à qui se tamponne du bon goût d'en trouver certains passages délectables").

    effectivement, ce disque souffre sacrément de la comparaison avec l'excellent Love is Hell (que je me suis réécouté aussi, pour la peine). Mais j'y ai trouvé un argument pour ta théorie, presque une preuve: "Rock N Roll" est justement le seul morceau à etre une balade avec du piano. Si ca c'est pas un bras d'honneur....

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    1. Oui tiens, je n'avais pas fait gaffe à ce détail.

      Merci d'ajouter de l'eau à mon moulin ^^

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  2. J'ai développé une théorie un peu similaire à propos de l'affreux adge of adz de Sufjan Stevens ( à propos de Billl Calhan aussi , du suicide de Ian Curtis , du suicide de Kurt Cobain ) et je me suis fait laminer dans les commentaires . J'aime bien Sufjan, il est gentil mais je place au-dessus de lui Ryan Adams qui est à mon sens l'un des artistes vivants les plus passionnants. Dans un monde plus juste ton billet aurait dû te valoir des commentaires incendiaires. il n'en est rien , et c'est triste . Ryan Adams les valait .
    ( As-tu écouté ses prestations acoustiques réunies en coffret ? Il y a de véritables pépites ).

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