mardi 15 octobre 2013

Julien Gasc - Fixe-toi avec Michou

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L'anecdote est restée au chaud dans les tiroirs des gazettes durant presque cinquante ans : à la fin de l'année 1967, Michel Polnareff, écœuré de voir que le public préférait "Y'a qu'un ch'veu" ou "Roi des fourmis", sombra momentanément dans l'héroïne et décida de suicider sa carrière en publiant l'album le plus rock'n'roll de toute l'histoire de la chanson française. Enfermé dans son sous-sol durant six longues semaines, bourré comme un docker nord-ukrainien la majeure partie du temps, il se lança dans des expériences limites avec son dictaphone, tenta trois fois de mettre fin à ses jours, et enregistra une douzaine de chansons hululées faux de la première à la dernière note. Sans le savoir, il s'apprêtait à inventer la lo-fi, traumatiser la scène psychélique et publier The Mapcap Laughs un an avant Syd Barrett. Las : à la différence du futur ex-leader du Floyd (dont il n'avait jamais entendu parler alors), Michel ne prit pas sa dose pour dire "Fuck". Conservant ses neurones intacts et, au matin du Nouvel An 68, ne put que constater que son chef-d’œuvre ne lui permettrait jamais de finir vieux, bronzé et grotesque. Il se jura donc de ne jamais publier ces bandes mais, comme un père attaché malgré tout à son fils hydrocéphale, ne put se résoudre à les détruire. Il se contenta de les mettre au coffre, faisant jurer à son manager que même après sa mort, personne n'entendrait jamais le VRAI album Polnarévolution.


La promesse fut tenue jusqu'à il y a quelques mois, et là je me dis qu'il va vraiment falloir m'arrêter avant que Polnareff ne m'intente un procès (oui, hein ? Vous aussi vous êtes en train de vous dire que ce serait tout à fait son genre ?) Au moins cette petite introduction (fictive : n'allez pas traîner sur filestube et autres what.cd pour essayer de trouver le disque dont je vous parle) aura-t-elle eu le mérite de planter le décor d'un ouvrage qui... comment dire ? Disons que même en connaissant déjà les exactions du dénommé Julien Gasc au sein des barjots d'Aquaserge, et même sûrement en s'étant déjà fixé avec Michou Polnareff, Cerf, Biche & Faon surprend, désarçonne et enthousiasme. Ou irrite, c'est selon - mais ici, c'est clair, ce genre de truc enthousiasme. Entre les morceaux chouinés faux à vous faire passer Burgalat pour un chanteur lyrique, ceux ânonnés un chewing-gum dans la bouche, les agressions garage totalement gratuites, les trucs acoustiques dont on n'est jamais sûr qu'ils devront être pris au premier degré, les pompages éhontés et/ou de mauvais goût... il y a beaucoup à boire, trop à manger, et même pas mal de rab sur un album qui fait passer par à peu près tous les états mais ne lasse que très difficilement. Autant le dire, on sourit très franchement lorsque surgit le meilleur titre de cet espèce de truc assemblé de bric et de broc, "Infoutu de", qui chante des trémolos dans la voix de fausset rien moins que l'inadaptation - un sujet dont on imagine qu'il touche toute personne s'étant déjà retrouvée à écouter Aquaserge à trois heures du matin en terminant une quelconque bouteille (coupable, Votre Honneur). On reste dans la même lignée, en plus branchée chanson : celle d'une pop secouée mais bien plus sérieuse qu'elle en l'air, plus psyché de par son in-conformité aux codes étriqués du rock français que par véritable choix artistique. Cousin pouilleux de Polna (donc) ou d'Yves Simon (voir "Canada"), Cerf, Biche & Faon ne dépareillerait pas forcément au milieu de ces grands noms, dans un monde où la variété deluxe saurait être appréciée à sa juste valeur, et où Jean-Jacques comme Jenny ne s'effraieraient pas d'un peu trop de reverb ou de disto. Après tout, l'excellente "La Boucle", ce n'est jamais que du Strokes garage-pour-de-vrai, de la rythmique à la scansion en passant par le texte génialement naïf ("Ma bouche sans toi / N'existe pas / Ma bouche sans toi / Se refermera"). Encore faut-il réussir à tomber dessus, ce qui sera sans doute difficile dans le cas d'un album édité à cent-vingts pauvres copies (ce qui, certes, fait toujours cent-vingts de plus que pour le chef-d’œuvre inconnu de Michel). Autant dire que vous avez tout intérêt à vous grouiller de passer vos précommandes, au risque de passer à côté d'un des disques les plus farfelus - donc attachants - qui aient aient été chroniqués dans ces pages ces derniers mois. Sinon vous ferez comme tout le monde : vous attendrez la réédition toute nulle avec les démos. Ce qui frôlerait le pléonasme, autant que Cerf, Biche & Faon frôle parfois le génie.



👍👍 Cerf, Biche & Faon 
Julien Gasc | 2000 Records, 21/10/13

4 commentaires:

  1. Cet article est trop marrant :-)

    Je vais essayer d'attraper l'album au vol, j'aime beaucoup Aquaserge et j'aime beaucoup le morceau en écoute.

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  2. Déjà noté, depuis la fois où tu en as parlé sur Facebook. Et ouais ! Tu as un tel rayonnement que maintenant tu n'as même pas besoin d'écrire un article pour qu'on boive tes paroles ;)

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    1. Je sais. Je pense d'ailleurs qu'il faudrait imprimer mes pensées sur des panneaux publicitaires, afin de faciliter la vie à tous.

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  3. Vraiment un cool album, contente de le retrouver ici.

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