lundi 12 août 2013

Mes chansons malades

[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - N°107]
Sur la colline - Thomas Winter et Bogue (2005)

Je n'ai jamais écrit d'article sur Thomas Winter et Bogue. Je n'ai même - j'en suis à peu près certain - jamais cité Thomas Winter & Bogue dans un seul article, dans le plus minuscule commentaire de ce blog. D'ailleurs, je ne suis même pas certain de savoir qui est Thomas Winter - et encore moins Bogue. Si ça se trouve, l'un d'eux est mon voisin de palier. Je ne saurais le reconnaître, ni moi ni aucun de mes amis puisque je n'ai que très peu parlé de Thomas Winter et Bogue presque dix ans après les avoir découverts (sur scène. Un plateau avec Tue-Loup. Ça crée des liens. Surtout de mon côté). Pour être franc, je ne suis même pas loin de faire mes excuses officielles à Thomas Winter et Bogue pour l'ignorance absolue dans laquelle les a laissés ma plume, durant des années, sans que quiconque vienne à s'en émouvoir. Parce que pour en avoir peu parlé... qu'est-ce que j'ai pu les écouter, ces deux-là. S'il y a deux disques que j'ai laissés tourner jusqu'à les défoncer ces dix dernières années, au point de les racheter chacun une fois, ce sont bien leurs deux albums de pop sale et anxieuse, que je classerais sans problème dans ce que la musique francophone a offert de mieux depuis... allez, depuis toujours - ne soyons pas petits bras.

Je disais que je les avais découverts sur scène... ce n'est pas tout à fait exact, puisque j'avais reçu leur premier maxi (Batifole) quelques mois plus tôt et l'avait trouvé, je cite mes notes de l'époque "entre sympa et bof". Preuve s'il en que les goûts évoluent avec l'âge, car peu de chansons peuvent se targuer de surgir dans mon quotidien si souvent et de manière si impromptue que cette "Batifole", comptine sexuée et catchy au possible qui n'est pas devenu un de mes morceaux préférés uniquement parce que les autres ("Allez viens, petite", "J'me sens vidé", "Quitte-moi"...) sont tous d'un très haut niveau, dans le genre moite, trouble et gris - tout gris.


Rétrospectivement, j'ai vraiment du mal à comprendre comment ce duo a pu ne pas devenir énorme. Je reconnais tout à fait qu'il peut m'arriver d'encenser des choses d'accès difficile, ou nécessitant certaines références, de même que j'arrive en général à deviner intuitivement les raisons faisant que tel ou tel grand disque n'a pas été ou ne sera pas un carton. Dans le cas Thomas Winter et Bogue, quelque chose m'échappe. Chaque fois que j'écoute Sur la colline, et vous avez déjà compris que cela arrive souvent1, je me dis que c'est tellement bien... tellement mieux que le reste. Non seulement je n'en jetterais pas un morceau, mais encore chacun me procure-t-il une émotion particulière, si intime que je n'ai dans le fond besoin de le partager avec personne (c'est peut-être pour cette raison que je n'avais jusqu'alors jamais écrit dessus). Tout au plus ai-je pris l'habitude de contaminer avec la plupart des femmes amenées à partager un bout de ma vie (et même quelques coups d'un soir, il n'y a pas de petits profits pour les artistes oubliés et/ou maudits), ce qui n'est sans doute là aussi pas un hasard. Dès la première écoute, je me suis senti une proximité avec ce disque. J'avais l'impression que chaque chanson en avait été écrite pour moi... sur moi, même. Que j'aurais pu en écrire chaque ligne, en choisir chaque mot, en composer la plus petite note. Ce n'est pas forcément un compliment que je m'adresse, d'ailleurs, tant derrière leurs mélodies catchy et leurs arrangements habiles, "L'Amant d'un jour", "French Lover" ou "Dans la zone industrielle" sont des œuvres torturées, malades, abîmées. La moitié du temps, j'ai l'impression d'avaler un couteau lorsque j'écoute "Je suis", j'ai même failli défaillir le jour où une ex m'a confié que cette chanson lui faisait penser à moi. Elle est peut-être tout simplement là, en fait, la raison de l'absence de succès, de postérité et finalement de la disparation de Thomas Winter et Bogue. Les textes sont jolis, ils riment bien, toutes choses qui font qu'un disque francophone peut se trouver un public fidèle, mais personne n'a envie de se faire jeter tant de mal être au visage. Il n'y a que des types comme moi, un peu paumés et sûrement trop fragiles, pour ressentir un plaisir intense en écoutant un disque dont le chanteur suffoque ici de mépris, là de dégoût de soi, lorsqu'il ne suffoque tout simplement pas de suffocation (voire le magnifique titre éponyme, dont j'ai découvert tout récemment qu'il avait été arrangé par Biolay). S'il est question d'amour, ce sera pour "se salir avec toi". S'il est question de sexe, ce sera toujours un peu crade, un peu triste, et les corps finiront "in-soulagés". Il faut sans doute avoir été soi-même un "Amant d'un jour" pour qu'une telle chanson vous mette encore et toujours le même coup de poing à l'estomac. Il faut sans doute l'avoir été - et avoir le courage de s'en rappeler. Avoir gardé en tête les regards qui s'esquivaient, entendre encore en tendant l'oreille les insoutenables silences, se souvenir avoir été effaré de découvrir que deux corps humains pouvaient réussir à ne jamais se croiser dans un si petit périmètre. C'est émouvant et un brin sordide (la scène, la chanson), triste et dans le même temps tellement futile que personne n'aurait l'idée saugrenue d'écrire une chanson là-dessus. Je crois qu'au-delà de tout le reste, c'est ce qui rend ce disque si essentiel. Sa manière de voir le tragique dans l'anodin, de projeter un regard - et une voix - écorché(e) sur ce que tant de gens traversent sans même y penser. Je ne crois pas que tout le monde puisse se trouver dans ces chansons-là. Pas comme je m'y retrouve, presque toujours malgré moi. Alors si celui n'a pas sa place dans cette rubrique...



Également disponible :

Thomas Winter et Bogue (2003)


1. En fait je ne serai pas surpris de découvrir que cet album - comme son prédécesseur - fait partie des cinq ou six disques que j'écoute le plus souvent dans une année. Ils font en tout cas partie du club très (très très) fermé des disques qui n'ont aucune place attitrée dans ma discothèque, pour la simple et bonne raison qu'il traîne plus ou moins toujours au pied de ma platine. Comme quoi, ce n'est pas forcément parce qu'un disque prend la poussière qu'on l'aime moins que les autres.

5 commentaires:

  1. Ça fait plaisir de lire un article sur ce disque un peu oublié et qui c'est vrai est assez brillant (même s'il y a un ou deux trucs que je n'aime pas trop).

    Mais qu'est-ce que tu as contre les amants d'un jour ? ;)

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  2. Je ne connaissais pas du tout...Pas mal !

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  3. ça commence à te coûter cher en couteaux, la musique

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    1. Ouais mais j'ai récemment gagné un ensemble Ginsu 2000.

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