mercredi 30 mai 2012

William Faulkner - Comme un petit bonhomme, en quelque sorte.

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Pylon est un livre que l'on oublie. On se rappelle qu'il existe, on se rappelle l'avoir lu, mais on se rappelle plus difficilement ce qu'il raconte. Bon, soyons tout à fait francs : on se rappelle évidemment qu'il y a plein d'avions dedans. C'est à peu près tout. On peut le lire une fois, deux fois... cent fois sans doute et y revenir avec un plaisir quasi intact tant la marque dont il imprègne l'esprit est d'une taille inversement proportionnelle au plaisir que l'on prend à sa lecture. Un plaisir sincère. Pour un livre dont la sincérité constitue peut-être, justement, la qualité la plus évidente.

S'il ne s'agissait de récits imbriqués les uns dans les autres de manière typiquement faulknerienne, on pourrait facilement se piquer de considérer ce roman comme un genre de faille spatio-temporelle dans la bibliographie de Faulkner. Publié entre deux de ses plus grands classiques (Light in August et Absalom, Absalom!), il est si peu raccord avec ceux-ci (ni avec aucun des autres romans de Faulkner, sinon peut-être The Reivers) qu'il pourrait aisément passer pour l'ouvrage d'un autre. C'est peut-être ce qu'il est, d'ailleurs. D'une certaine manière.

Ecrit de manière presque récréative alors qu'il lutte pour finir ce qui deviendra Light in August, Pylon voit Faulkner céder à une de ses grandes passions tout en défoulant une vieille frustration (engagé dans l'aviation, il ne servira jamais, à son grand regret : l'Armistice sera signée avant). Lorsqu'on a dit cela, on en a tout dit, de ce roman. Il y a la mode de l'époque, celle qui fait des "chevaliers du ciel" les nouveaux grand héros modernes. Il y a la propre fascination de l'auteur pour cet univers, qu'il idéalise largement. Le premier aspect a incontestablement pris un coup de vieux. Le second est éternel comme peuvent l'être ces passions pures, simples, presque enfantines. Voilà ce que Pylon, dans le fond : le livre d'un grand gamin passionné par un univers n'ayant que peu avoir avec le sien - et qui pour cette raison ne le passionne que plus. C'est avec d'autant plus d'admiration et d'empathie que le grand écrivain va ainsi se retouver à croquer ici Jiggs le mécano, ici Schuman, son patron, l'un des grands géants de l'aviation, là encore son rival Burnham... sans oublier cette femme étrange, mystérieuse... qui tous formeront un ensemble étrange, bigarré, bien moins cohérent que ce à quoi Faulkner a habitué ses lecteurs - particulièrement humains et attachants.

Il est évidemment difficile par instants, pour le lecteur contemporain, de ne pas se trouver assez hermétique à tout ça : les courses d'aviations, la fascination pour les grosses machines qui volent (jamais été mon truc... ni les grosses machines, ni le fait de voler)... plutôt que de reconstituer, comme il le fait ailleurs avec le génie que l'on sait, Faulkner se fait ici volontiers catalyseur. Son Pylon est le réceptacle de l'euphorie populaire entourant son sujet, parfait reflet des phénomènes de masses déclenchés par ce genre d'évènement (la course) en 1935. Il y a quelque chose de profondément émouvant dans la manière qu'il a, une fois n'est définitivement pas coutume, d'abandonner tout second degré, tout recul, de se laisser totalement happer par ces histoires qui pourront aisément sembler un peu puériles, un peu bébêtes. On ne peut pas ne pas conclure que pour du Fauklner, c'est très léger - dans tous les sens du terme. Si vous n'avez jamais lu cet auteur, Pylon devra se situer tout en bas de la liste. Si, à l'invere, vous le connaissez, le choc n'en sera que plus violent. Et le livre, touchant, quoique très loin d'être indispensable à la bibliothèqhe de qui que ce soit.


Pylon [Pylône] 
William Faulkner | Penguin, 1935

2 commentaires:

  1. "attachant", je crois que c'est dit. C'est aussi un livre qui humanise beaucoup Faulkner, qui a cette image d'auteur très complexe, et très sombre, et qui là, écrit des choses très simples, avec un côté "héroïque"... j'aime bien ce livre, moi. H.

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  2. d'accord avec tout, thom,
    mais le livre gagne un peu d'intérêt pour les fans de Faulkner, par l'aspect biographique,

    ce livre parle, de manière à peine romancée, de son propre frère qui faisait bel et bien de la voltige aérienne.
    Faulkner, dont tu rappelles qu'il était frustré de ne pas être devenu héros de guerre (il s'était même inventé un boitillement et a prétendu, à son retour de formation, avoir été blessé au combat, on frôle la mythomanie), était obsédé par les avions.

    Obsédé mais partageur, et il a offert à son frère un avion qu'il s'était acheté. Cadeau empoisonné : son frère s'est tué aux commandes de l'appareil!

    difficile, en regardant "la ronde de l'aube" qui est l'adaptation (réussie, quoique aussi mineure que le livre) de ce roman, de réaliser qu'il est une tragique anticipation.
    Si on ajoute que l'alcoolisme de Faulkner a été accru par son travail à Hollywood, qui le déprimait, on tient une mise en abîme pas très réjouissante.

    mais je crois que je radote, je me demande si je n'ai pas raconté ça ici-même :-/
    (note pour noël : penser à demander une caboche)

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