lundi 14 mai 2012

Ruby Throat - Ce qu'il reste du monde

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Ce pourrait être la bande son d'un spot de l'office du tourisme du Triangle des Bermudes. Moite et désertique à la fois, apaisée et dangereuse dans le même temps. C'est plutôt la peinture sonore de paysages intérieurs à la beauté fanée, un décor puisant sa splendeur dans son propre flétrissement.

Ruby Throat avait déjà publié un bon album il y a cinq ans, The Ventriloquist, tout en torpeur onirique, mais c'est surtout en voyant le duo sur scène il y a deux ans que l'on en était tombé amoureux. En Katie Jane Garside, icône de l'underground anglais incessamment redécouverte - et plus ou moins vite (ré)oubliée de la plupart - depuis vingt ans, on s'était surpris à voir une Belle au bois dormant émergeant de ses cent ans de sommeil, une Thom Yorke femelle et mille autre choses un peu bêta. On la connaissait depuis un bail, pourtant, mais c'était comme si on ne l'avait jamais vue ni entendue, comme si ne restait de la rockeuse bravache qui arpentait les scènes à demi-nue qu'un squelette et une voix fluette de petite fille égarée dans un cauchemar.


Le sentiment, présent seulement par intermittence sur The Ventriloquist, se retrouve à l'identique sur O'Doubt O'Stars, dès les premières mesures spectrales de "Stone Dress". Si l'on parle souvent, faute de trouver le terme juste, de "musiques habitées", celle-ci n'est que brumes et fantômes. Certains y verront peut-être un ouvrage paisible, intimiste, bucolique. Qu'ils l'essaient la nuit. Qu'ils les ferment les yeux et se laissent envahir par ses ténèbres, par sa sensualité, par sa langueur indécente. Même l'apparente épure des arrangements relève de... l'apparition. Il n'y a rien de simple ni de doux dans ces fausses berceuses. Cela pourrait sans doute. Mais à l'image de la voix de Garside, les chansons de Ruby Throat ("Shoe", "Arctic Fox", pour les plus réussies - même si elles le sont toutes) ont quelque chose d’irrémédiablement cassé, désarticulé, que le travail de production le plus méticuleux ne saurait tout à fait réparer. Lorsque la princesse endormie murmure que maintenant, elle va mieux, elle est guérit, que c'est tout ce qu'il y a à savoir ("A Dog Hair in the Weave of the Wool")... on entend le contraire. Que rien ne va, que le monde environnant est en train de se disloquer. Que les mots restent coincés en travers de la gorge, comme le reste. Et que c'est peut-être mieux comme cela. O'Doubt O'Stars, on n'arrive pas à le voir en couleurs. Il est dominé, peut-être - sans doute - malgré lui, par cette sensation... non, cette certitude d'un délitement. On a envie de les fuir, ces "Broken Machine", ces "Wake of Swans", si bouleversants qu'ils soient. De peur qu'ils ne nous happent. Hélas. L'autre certitude qui nous envahit lorsque résonne "Tottenham Reservoir", dernier morceau au titre pour le moins imagé, c'est qu'il est déjà bien trop tard.


👍👍👍 O'Doubt O'Stars 
Ruby Throat | Sleeplikewolves, 2012

5 commentaires:

  1. Quel beau billet. On ne voit pas trop quoi rajouter après cela...

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  2. Vraiment un très bel album, en effet. Et l'article... ;)

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  3. Je ne connaissais que de nom (et encore), j'avoue que je suis conquise par cet album. Merci beaucoup pour la découverte, Thom.

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  4. Magnifique découverte. Merci !

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  5. Je pense que personne n'avais lu ni commenté cet article ^^

    Merci.

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