jeudi 17 mai 2012

Jef Barbara - Loving the Alien

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Écouter de la synth-pop en 2012, est-ce bien raisonnable ? Aimer de la synth-pop en 2012, est-ce tout à fait sain ? Magie des vagues, insondable poésie des reflux, ce qui était absolument ringard il n’y a pas si longtemps paraît désespérément cool aujourd’hui. Le chroniqueur musical, lorsqu’il n’est pas une pute bouffant à tout les râteliers, est décidément une belle girouette.

À sa décharge, la première rencontre avec le premier album de Jef Barbara a de quoi déboussoler. Hybride de tout ce qui a fait les années 80 reforgé à la mode Tricatel, le jeune homme (qui d’ailleurs est peut-être vieux, comment savoir avec les aliens ?) fait passer par à peu près tous les états : admiration, perplexité, excitation, rejet… dans son manuel des formules toutes faites, le chroniqueur musical a trouvé la bonne : « Voici un album qui ne laissera personne indifférent. » À sa décharge là aussi, il aura raison : on imagine facilement Contamination irriter les mêmes oreilles qu’il chatouillera deux titres plus tard, avec son excentricité sur-affirmée, son maniérisme vocal, son romantisme acide. Autant de motifs de détestation qui sont autant de raisons pour lesquelles on l’aime.


Grand génie brassant les influences les plus contraires ou bien grand gamin s’amusant à appuyer sur tous les boutons à la fois, on l’ignore, mais Barbara parvient à réconcilier les versants les plus brouillés de ce qui fut la pire et (?) la meilleure des décennies musicales. Une époque de contraires, de paradoxes et d’ambiguïtés que l’on retrouve transcrite à la (quasi) perfection sur ce premier opus. En plus radical. On pouvait donc à la fois sonner comme Roxy Music et George Michael, comme Boy George et Prince, comme Joy Division et Visage. Pourquoi personne n’a-t-il pris ce parti plutôt ? Parce qu’il n’avait pas les chansons ? Parce qu’il n’avait pas la cyber-prod idéale ? Contamination, c’est un peu le meilleur des deux mondes : la pop underground et le mainstream le plus puissant se roulant des galoches dans une même danse discoïde. Il y a le songwriting élégant que l’on attend de la première ("Caresses interdites", "Cocaine Love") et le génie tubesque du second ("Les Homosexuelles", l’imparable "Sébastien"). Il y a une atmosphère, et il y a une cohérence, aussi, qui ne trompe pas.

Car si le mélange des noms suscités peut laisser supposer un disque baroque et démesuré, louchant volontiers vers le kitsch, de ces choses qui font parfois basculer un album du côté du plaisir coupable… il n’en est rien. Plus intimiste que l’on pourrait le croire sur le papier, Contamination n’a rien de too much et ne commet quasiment aucune faute de goût1. Une fois dissipé le nuage de paillettes, on découvrira surtout un album sensuel et d’un grand raffinement, dont la mélancolie lancine pour finalement imprégner. Lorsque l’on se trouve à repasser "Sébastien" en boucle, des dizaines de fois, en se sentant chaque fois plus troublé par cette love-song humanoïde… on se dit qu’elle est là, la Contamination annoncée.


👍👍 Contamination 
Jef Barbara | Tricatel, 2012



1. Une prouesse lorsqu’on se revendique de George Michael, nous sommes d’accord.