mercredi 1 février 2012

Mais où est donc passé le modjo de Somoza ?...

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... c'est vrai, ça ? Où est-il ? On commence sérieusement à se poser la question, après une poignée de romans où l'on ne peut se départir de la désagréable impression de lire du sous-Somoza plutôt que Somoza lui-même. Depuis quelques temps maintenant, l'auteur du formidable Clara et la pénombre semble en effet ne plus savoir non pas quoi écrire, mais comment l'écrire.

En fait dans L'Appât, dernier ouvrage en date de l'auteur cubain, on se heurte aux mêmes interrogations qu'à la lecture de La Théorie des cordes ou de sa Clé de l'Abîme. On est bluffé par l'imaginaire autant que perplexe devant le projet littéraire en lui-même, dont l'attrait est ici particulièrement discutable. Nouveau thriller horrifico-cyber-lettré, le récit part ainsi d'un point de départ remarquable pour n'aller à peu près nulle part. La clé des désirs humains résiderait donc dans Shakespeare, et dans un futur proche, son oeuvre aurait aidé à les catégoriser, la poésie du dramaturge n'étant en fait qu'un algorithme complexe devinant - sans toutefois les comprendre - autant de stimuli neuronaux que de désirs. Comme toujours depuis le 11 septembre, cette découverte est presque exclusivement utilisée à des fins sécuritaires : les appâts, formés à l'exécution de tous ces stimuli, sont ainsi envoyés pour capturer terroristes, pédophiles et autres tueurs en série sans autre forme de procès. Ils sont de véritables drogues, elles-même dépendantes de leur étrange activité.

Voilà pour le "pitch", tout le problème étant qu'au-delà du développement de cet univers, à la fois méticuleux et volontairement confus, L'Appât ne va pas beaucoup plus loin. Jusqu'à la page deux-cent-cinquante environ (sur un peu plus de quatre cents), on peut même dire qu'il ne se passe rien, sinon un enchaînement de dialogues verbeux durant lesquels l'héroïne, Diana, sous prétexte de traquer un meurtrier de prostituées (un de plus), parle du concept de psynome et cite Shakespeare avec toutes les personnes qu'elle croise : son mec, sa soeur, son psy, son ancien instructeur, deux profileurs... et quand elle n'a plus personne à qui parler, elle s'adresse au lecteur. Autant dire que le serial-killer n'a pas grande raison de s'inquiéter. Où est passée la fluidité d'un roman comme La Dame N°13 ? Que sont devenues les audaces narratives de Clara et la pénombre ou de La Caverne des idées ? Après un départ canon et énigmatique à souhaits, L'Appât devient rapidement (enfin : lentement) un livre lourd, à la dynamique narrative empesée et au contenu relativement ennuyeux, dans lequel un auteur de toute évidence fasciné par son propre imaginaire laisse son écriture se faire avaler par lui. Bel ouvrage sur la masturbation littéraire. Dans tous les sens du terme.


👎 L'Appât 
José Carlos Somoza | Actes Sud, 2010 (2011 pour la VF)

7 commentaires:

  1. Un peu du Somoza en boucle, mais cela se laisse lire, non ?

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  2. Tu vas me dire que je chipote, certes, mais Somoza est né à La Havane en 59, il l'a quittée en 60 pour ne plus jamais revenir. Il écrit sur son site : "He vivido toda mi vida en España, y soy español." Même ennuyeux, Somoza reste un des grands auteurs espagnols actuels...

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  3. Laï >>> oui oui, ça se laisse lire... c'est bien pour ça que je n'ai pas mis "1" :-)

    Ys >>> c'est pas vraiment du chipotage, c'est même plutôt une info importante. Marrant que j'aie toujours considéré Somoza comme cubain (sans jamais vraiment vérifier d'ailleurs). Je pense que c'est parce qu'il y a cette violence, cette noirceur, ce côté chaud et torturé tellement typique de la littérature sud-américaine.

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  4. J'ai décroché à partir de "La Dame N°13" que j'avais trouvé assez maladroit.

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  5. Oui, la Dame N°13 était sans doute un peu plus artificiel, déjà, c'est vrai... mais il était super accrocheur, je me rappelle ne pas avoir lu le lâcher durant des heures...

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  6. --> c'est bien pour ça que je n'ai pas mis "1"

    De toute façon tes notes sont tellement arbitraires, parfois...

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  7. Arbitraires, non... mais elles reposent sur un mécanisme assez subjectif, c'est évident.

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