mercredi 14 décembre 2011

Harper's Island - La Fascination du Vide

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Le cerveau humain, cette grande inconnue ! On a tous déjà vécu cela un jour, cette capacité à finalement s'acclimater quelque chose qui, sur la ligne de départ, nous semblait insupportable. Ce morceau minable qu'à force d'entendre tous les jours, on ne peut plus s'empêcher de siffloter. Cette personne qu'à force de côtoyer quotidiennement, on finit par trouver presque attirante alors qu'elle ne nous faisait ni chaud ni froid de prime abord. Cet appart vraiment mal foutu et moche que l'on regrette malgré tout de quitter quelques années plus tard.


Pour les séries, c'est évidemment exactement la même chose, d'autant qu'elles reviennent vers nous, régulièrement. Harper's Island, objectivement, est une très mauvaise série. On pourrait difficilement penser le contraire tant tout y est absolument médiocre, du casting complètement raté à la mise en scène ridicule - sans même parler d'une écriture erratique. Et pourtant, pour une raison défiant l'entendement, au bout d'un moment, on finit par ne plus pouvoir s'arrêter de regarder. Pas comme certaines séries qui, même si médiocres, même si un peu cons, demeurent suffisamment bien faites pour maintenir l'attention du spectateur. Même pas comme d'autres, que l'on regarde en se marrant, au quatre-vingt-septième degré. Non, Harper's Island est plutôt de la trempe d'un Dead Set, de ces séries que l'on regarde comme l'on contemple un gouffre immense ou une grotte dont on ne verrait jamais la sortie. C'est d'autant plus magique que dès les premières minutes du pilote, la barre est placée très haut, mais que les scénaristes parviendront tout de même à se transcender treize épisodes durant.

La différence fondamentale avec Dead Set, c'est la manière. Dead Set, c'est presque de la nullité expérimentale dans cette fascinante volonté ne rien raconter, de ne rien écrire, de ne rien mettre en scène. Harper's Island, pour sa part, est une bouse beaucoup plus conventionnelle, avec sa cohorte de clichés, ses incohérences comme s'il en pleuvait et même son idée de départ, profondément con quand y pense deux minutes : faire un slasher show comme on fait des slasher movies, en puisant de sucroît ses influences dans la crème du genre (un peu I Know What You Did Last Summer, un peu Urban Legend, un peu Final Destination... du lourd, donc). Le tout mâtiné d'une vague partie de Cluedo pour ce qui est de deviner qui est le coupable (on n'osera pas ici exhumer le cadavre d'Agatha Christie et souiller son fabuleux Ten Little Niggers), autant dire que le projet est déjà vicié à la base. Un instant, on a un peu peur, on se met à craindre que l'un des scénaristes se mette à vouloir rendre la série intéressante. Heureusement, l'honneur est rapidement sauf et cette bande de guignols n'arrive même pas à rendre l'histoire crédible trois secondes. Au contraire, ils tapent vite et fort, presque aussi vite que leur mystérieux tueur : ainsi si la première vraie victime est dissimulée par notre homme, il ne se donnera plus cette peine par la suite - il aurait bien tort puisque dès le chapitre deux ils s'en fait deux autres dont les disparitions n’inquiéteront personne avant des épisodes et des épisodes (pour la petite histoire, il s'agit du prêtre et d'une des demoiselles d'honneur, dont on aurait pu croire que l'absence à l'approche d'un mariage aurait su déranger un peu le train-train des autres... eh bien non, la mort de la pauvre demoiselle d'honneur ne sera découverte qu'à l'épisode sept, et encore, on la considèrera simplement morte faute d'avoir eu de ses nouvelles). Cela dit à leur décharge, il est un peu bizarre aussi, ce tueur, même s'il est incontestablement coriace et réussit à être partout, tout le temps, anticipant le moindre geste de ses proie : il tue tous les invités, un par un, tranquillement, et au lieu de le faire savoir, il planque les cadavres dans des endroits pas possibles (encore plus pas possibles que les pièges qu'il tend à ses victimes). Jusqu'à ce qu'arrivé au milieu de la série il décide qu'il en a un peu marre et qu'en fait, maintenant, on va plutôt s'amuser à faire flipper les survivants. Le cerveau humain est vraiment une grande inconnue (surtout chez les psychopathes).


Lister tous les défauts de Harper's Island étant bien trop long, et croyez bien que je regrette de ne pas pouvoir vous faire ce plaisir, contentons-nous de nous concentrer sur l'essentiel : si le projet ne pouvait de toute façon pas marcher c'est parce que le principe-même du slasher, c'est qu'il n'excède pas les deux heures et peut éventuellement occuper par un dimanche après-midi pluvieux. Étirer le concept n'est pas impossible en soi, encore faut-il faire un effort pour compenser ce qui généralement ne dérange pas plus que ça dans un slasher movie, et a évidemment un impact décisif sur une série : les personnages. On ne va pas en dire du mal, surtout qu'il n'y a pas grand-chose à en dire tout court, vu qu'ils n'existent pas, à l'instar de leurs interprètes, qui en gros entre dans trois catégories : je suis un bogosse/une bonnasse (Christopher Gorham, Katie Cassidy, Cameron Richardson, CJ Thomason), j'ai besoin d'argent (Jim Beaver, qui joue désormais Bobby Singer où qu'il aille ; le sempiternel Richard Burgi, qui joue désormais un gros con destiné à rapidement mourir où qu'il aille) et je ne sers à rien de toute façon je suis là pour meubler puis mourir (à peu près tous les autres). A l'époque de la diffusion (qui fut un monumental flop), CBS avait organisé sur son site un jeu proposant aux spectateurs de miser pour savoir qui allait passer à la casserole dans le prochain épisode. C'était plutôt bien vu, vu qu'effectivement, c'est à peu près le seul intérêt de la série. Et encore, le jeu ne valait même pas vraiment la mise tant il est évident au bout de deux ou trois chapitres que les scénaristes ne feront rien, promis juré, pour nous surprendre. En fait, à ce stade, on pourrait presque déjà donner l'ordre exact dans lequel les mannequins de la Redoute vont se faire allumer. On sait que celui-ci et celle-là ne mourront pas (en même temps, elle est l'héroïne, il est le tueur (allez, soyons sport, il a fallu au moins six épisodes pour deviner que c'était lui)), que lui et lui sont des porte-manteaux qui peuvent y passer à tout moment, que ce couple ou ce type-là ont plutôt la carrure de personnages qui vont survivre un moment et ne mourront que dans les deux ou trois derniers épisodes... au moins avec le Cluedo, on a parfois des surprises, surtout quand les autres trichent. Pas de cela ici : les scénaristes sont d'une sincérité presqu'émouvante, respectant les codes du genre à la lettre, voire jusqu'à l'overdose (l'héroïne est un copié/collé pur et simple du personnage de Sid dans Scream, la résolution elle-même étant en bonne partie pompée sur le classique de Wes Craven), comme s'ils étaient incapables d'avoir une seule idée potable par eux-mêmes. Notez qu'il vaut mieux : lorsqu'ils s'aventurent, contraints et forcés (tenir treize épisodes est extrêmement compliqué quand on n'a rien à raconter), à ajouter des trucs ne faisant pas partie du cahier des charges, cela donne un intermède à la Petits meurtres entre amis absolument et indiscutablement pitoyable, avec décès mystérieux et sac d'argent, qui se conclut sans surprise sur la mort de personnage la plus ridicule de toute l'histoire des séries télé. Rien que pour ça, la série méritait un Top of the Flops d'or pour services rendus à la Connerie Humaine.


👎👎 Harper's Island 
créée par Ari Schlossberg & Jon Turtletaub
CBS, 2009

6 commentaires:

  1. Dis donc, ça racle les fonds de tiroirs aujourd'hui ;)

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  2. C'est vrai que c'est bien nul Harper's Island.
    Pourtant j'aime beaucoup les slashers type I Know What You Did Last Summer et Final Destination (bon Urban Legend faut pas déconner...).
    Mais effectivement étirer ça sur plusieurs épisodes était tout simplement impossible, surtout avec cette galerie de personnages.
    C'est une spécialité du genre de nous offrir des personnages bogosses sans personnalité, qu'on a hâte de voir mourir. Sauf que là les scénaristes sont forcés de remplir avec eux pour tenir 13 épisodes. C'est dur.

    Et moi j'avais pas trouvé qui était le coupable :o

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  3. J'ai beaucoup, beaucoup ri, merci Thomas ! Du coup, j'ai pas du tout envie de voir ce truc (ou alors par pure curiosité perverse) ^^

    (au fait : le meilleur slasher de tous les temps, ce serait pas "Halloween" ?)

    Sinon, sur ce coup-ci tu m'as tué :

    "au moins avec le Cluedo, on a parfois des surprises, surtout quand les autres trichent"

    :oD

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  4. Hum... ça fait presque envie :)

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  5. Vous êtes un peu dur quand même, tous...dans mon souvenir la série passait plutôt bien, dispensable mais assez marrante. Je ne comprends pas pourquoi on n'aurait pas pu prendre autant de plaisir avec ces personnages sur 13 heures plutôt que sur 2...

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  6. Serious >>> c'est parce que j'espérais avoir le temps de finir l'édito, et finalement je ne l'ai pas eu. D'ailleurs les éditos vont probablement changer de jour.

    Typh >>> oh, arrête ? C'est carrément dit à un moment (enfin je ne sais plus qui meurt en disant "c'est à cause de toi" et le tueur est juste derrière l'héroïne à ce moment-là (héroïne qui croit de c'est d'elle que le mourant parle...))

    Moi aussi j'aime bien les slashers (même Urban Legend, qui est plutôt con, donc rigolo). Mais étaler tout ça sur 13 épisodes.......

    Dahu >>> je dis "les autres", il faut bien sûr lire "je". J'ai beaucoup triché au Cluedo dans ma vie ;-)

    Lil' >>> ;)-

    J-C >>> pour la même raison que dans la vie, si tu peux avoir une conversation marrante avec un con dans le métro, ce n'est pas pour autant que tu vais lui proposer d'emménager avec toi ?

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