vendredi 18 novembre 2011

À bout de souffle...

[Mes livres à moi (et rien qu'à moi) - N°51]
1980 - David Peace (2001)

C'est le troisième roman de David Peace et le troisième tome de son quartet. Sans doute eût-il fallu retenir dans cette rubrique l'ensemble de cette tétraologie, dite du Yorkshire, avant qu'elle ne soit rebaptisée a posteriori Red Riding Quartet. Faute de temps, et cela n'ira pas en s'arrangeant dans les semaines à venir, on se contentera du troisième. Cela tombe bien : c'est le meilleur. Après un premier roman exceptionnel (1974) et un second à peine moins excellent (1977), David Peace y franchit clairement un cap. Tout en conservant le style habité et les atmosphères poisseuses qui lui confèrent toute sa singularité, voilà qu’il injecte une bonne dose de polar procédural dans son roman black de chez black. Inutile de tourner autour du pot : 1980 est son chef-d’œuvre.

Si la toile de fond reste fondamentalement la même que dans le précédent livre (l’Eventreur du Yorkshire sévit toujours, la police le poursuit toujours, la psychose règne toujours) beaucoup de procédés usés jusqu'à la corde dans les précédents volets, sinon en passe de devenir des gimmicks, ont été remisés dans l’armoire à souvenirs : les références musicales parfois maladroites (ou alors David Peace n’aime tout simplement pas la musique des 80’s, ce qui est fort possible), les monologues intérieurs interminables qui finissaient par donner l’impression que le Yorkshire était uniquement peuplé de psychotiques (monologues qui sont en fait toujours là, mais plus de manière aussi systématique), la manière parfois un peu simpliste de résoudre certains conflits (manière qui jusqu’alors se résumait à tuer tout le monde)… tout ceci est oublié, ou parfaitement maîtrisé dans le pire des cas. Et l’auteur peut ainsi se lancer dans un nouveau domaine autrement plus palpitant.

Il est rare qu’il y ait une rupture dans la continuité d’un cycle littéraire. Pourtant, sans atteindre cette extrémité, 1980 parvient à rester dans la droite lignée de ses prédécesseurs tout en présentant un nombre de différences assez saisissant. On a en fait réellement la sensation que l’auteur a progressé entre 1977 et 1980, et c’est tant mieux. Car ici il touche dans le fond à ce qu’il a toujours voulu toucher. Il raconte l’histoire d’une quête interminable et perdue d’avance et semble enfin avoir compris qu’il ne peut le faire qu’en s’attachant à un personnage en particulier. Ce sera Peter Hunter, directeur adjoint de la police de Manchester que le ministère de l’intérieur dépêche à Leeds dans non pas un, mais deux buts : arrêter si possible l’Eventreur (mais personne ne paraît vraiment compter là-dessus) tout en pointant du doigt les dysfonctionnements policiers venus parasiter l’enquête depuis son commencement quatre ans plus tôt. Ainsi Hunter, bon petit soldat, se trouve t’il écartelé entre son désir profond de coffrer le monstre et son obligation de rentre des comptes, sa quête première étant perpétuellement mise en suspen par sa mission subsidiaire. On imaginera sans peine la torture subie par ce pauvre bougre – et ici réside l’autre grande nouveauté de 1980 : dans les précédents épisodes, les héros n’en étaient pas tout en n’étant pas plus des antihéros. L’Eddie de 1974, la paire Jack Bob de 1977… tous ceux là n’étaient ni plus ni moins qu’une belle bande de pourris auxquels il était parfois extrêmement difficile de trouver des circonstances atténuantes (quant à s’identifier à eux n’en parlons pas). Hunter, lui, est un brave type ordinaire fou amoureux de sa femme avec laquelle il n’arrive pas à avoir d’enfant, doublé d’un limier de haut vol. Bien sûr, comme tout héros tragique (car la tétralogie de Peace n’est finalement rien d’autre qu’une colossale tragédie antique transposée dans l’Angleterre presque contemporaine) il va être littéralement broyé par son destin. Mais au moins aura-t-il été, le temps des premières pages, un personnage positif et humain à défaut d’être humaniste. La machine infernale de l’auteur le détruira avec d’autant plus de violence que contrairement aux autres héros de Peace il essaiera de la combattre. Mais sa quête, bien entendue, s’avère perdue d’avance. Exactement comme celle de Graysmith dans le film Zodiac (que j’avais vu la semaine où je lisais… 1974 et qui m’avait d’autant plus intéressé que les deux œuvres semblaient se répondre). Exactement comme celle de tous les flics qui consacrent leur vie à l’arrestation d’un monstre et qui, bien souvent, échouent juste avant que d’autres viennent récolter les lauriers. Pas besoin d’avoir lu le quatrième volet pour savoir ce qui suit : selon la chronologie originelle, que David Peace respecte scrupuleusement depuis le départ, l’Eventreur du Yorkshire a été arrêté le 2 janvier 1981. Soit donc une poignée de jours après la mort de Peter Hunter.


Le Red Riding Quartet sur Le Golb :

Autres ouvrages de David Peace :

    15 commentaires:

    1. Finalement, avec les années, je ne me rappelle plus très bien des détails des livres. Je conserve une impression de violence et de souffrance (celle des personnages surtout...la mienne un peu aussi), mais je ne sais plus trop de quoi ça parlait.

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    2. Je n'ai jamais réussi à accrocher à David Peace. Toujours eu le sentiment qu'il y avait quelque chose de complaisant, sinon de factice, dans cette écriture "incantatoire", que je qualifierais plutôt de : "maniérée".

      BBB.

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    3. Lil' >>> marrant, moi c'est l'inverse, j'isole assez bien dans ma mémoire les différents "épisodes"...

      BBB. >>> vous allez me le dire à chaque fois ? ;-)

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    4. Au moins, je commente ;-)

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    5. C'est vrai que les réseaux sociaux ont un peu tué l'art du commentaire de blog... mais bon, on s'adapte, et les stats elles restent énormes. On finit par se dire que les articles restent, quand les commentaires, qu'il y en ait trois ou 200, disparaissent dans les limbes...

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    6. Sans doute.

      Mais quand on se souvient qu'il n'y a pas si longtemps, le moindre de vos articles attirait 50 commentaires...

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    7. Il y a une érosion générale, je le constate sur de nombreux sites dont je sais qu'ils sont à peu près aussi lus (voire plus) que celui-ci.

      A cela s'ajoute le fait que je n'ai plus forcément le temps - ni l'envie, d'ailleurs - de (re)lancer des débats interminables. Je crois que la qualité du Golb et ses audiences parlent pour lui.

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    8. Et bien moi je dis pareil que BBB.
      J'avais essayé de lire 1974 à l'époque. Malheureusement pour lui il passait après James Ellroy.
      Du coup son style m'a semblé à l'époque trop "calculé".... je ne suis même allée au bout.
      Mais bon... ptet faudrait que je lui redonne sa chance?

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    9. Ce qui est étonnant c'est qu'en revanche Ellroy, lui, ne t'ait pas paru avoir un style "calculé"... alors que c'est le seul autour que je connaisse qui change totalement de style en plein milieu d'un cycle... ^^

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    10. J'ai lu ce billet en diagonale, car je viens d'acheter ce roman sur conseil d'une libraire. Elle m'a assuré qu'on pouvait lire 1980 sans avoir lu les deux précédents. Confirmes-tu ce dernier point ?

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    11. Ben pour moi Ellroy ça a représenté une "révélation" littéraire. C'était la première fois que j'avais la sensation d'avoir un style en phase avec le fond.
      Moi qui suis une scientifique je pourrais te dire pour moi Ellroy c'est l'absolue résonnance alors que Pearce c'est l'opposition de phase où faute de rentrer dans le livre j'en suis réduite à la regarder de loin comme un objet fabriqué et pas "vrai".
      Je ne sais pas si je suis très claire... mais c'est ce que j'ai ressenti.

      :-)

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    12. J'ai adoré la tétralogie mais c'est finalement sur 44 jours que j'ai préféré David peace. Ce qui est marrant, c'est que je n'aime pas du tout le foot !

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    13. Parfait, merci ! Je vais donc pouvoir m'y plonger sans retenue ;-)
      Et pardonnes-moi d'avance d'ouvrir un livre à toi et rien qu' toi !

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    14. Kath >>> je te rassure, tu es certainement très claire... pour un scientifique ^^

      Bloom >>> c'est marrant, en effet. Mais pas si étonnant, car ce livre aussi est vraiment très bon.

      Yohan >>> je ne vais pas te mentir, ça me met assez malaise, mais je vais essayer de me faire à cette idée.

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