samedi 22 octobre 2011

The Jesus & Mary Chain - Negative Creeps

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"Alors comme ça t'as un groupe ? Vous jouez quoi comme style de musique ?
- Oh bah, tu sais, du Jesus & Mary Chain, quoi."

Voici la phrase que vous n'entendrez jamais dans la bouche d'un musicien en 2011, du moins telle quelle : elle sera remplacée la plupart du temps par la synonyme "ouais man, tu sais quoi, nous on a pas trop de genre, on fait juste du rock'n'roll". Bah ouais, quoi. Man. De quoi irriter les frères Reid (on le serait à moins, d'autant qu'ils sont légèrement susceptibles), devenus en quelques années l'un des groupes les plus pillés de toute l'histoire du rock, ce qui est drôlatique quand on se souvient à quel point il pouvait être critiqué en son temps et passé ses trois premiers albums. Pas contents du tout, ils se sont donc reformés, ont décidé de rééditer tous leurs disques dans de superbes éditions, et là vous noterez avec quelle finesse je contourne l'argument commercial : quand le groupe reformé est respectable et en admettant même que se reformer puisse être en quoi que ce soit respectable, il ne le fait bien sûr jamais pour l'argent, mais pour la gloire, pour récupérer sa ceinture de champion, pour en faire voir et revoir aux générations futures (devenues présentes, donc). En vrai, on imagine bien qu'il devait y avoir des factures à payer, mais tout cela n'a aucune importance.

Il est vrai que The Jesus & Mary Chain est en quelque sorte immunisé contre bien des critiques que l'on pourrait lui faire, pour avoir fait partie de ces rares groupes cultes à avoir su conjuguer longévité et qualité (seize ans, six albums, des singles et des faces B. d'enfer quasiment jusqu'à la dernière minute). Ce n'est pas pour ça qu'on a choisi d'en parler (c'est tout bêtement le seul que l'on n'avait encore jamais évoqué ici), mais s'il fallait un prétexte, celui-ci serait acceptable : Munki, dernier album du groupe, en dehors de sa qualité propre, est le genre de disque qui impose les comparaisons avec les plus grands tant il est rare, de nos jours encore, de voir des groupes avec plus de quinze ans de carrière dans les jambes (et de la gloire, et de la décadence) aligner des compos de ce niveau.


Le cas Munki est d'autant plus spectaculaire qu'en coulisse, le groupe est au bord de l'implosion depuis des années (c'est quasiment une litote), miné par les sempiternelles histoires de label (le furieux 'I Hate Rock'n'Roll' découle directement de cette frustration) et tensions internes exacerbées (les deux frères finiront par régler tout ça à coups de poing en plein concert). Que ce groupe au bout du rouleau soit malgré tout parvenu à arracher au marasme des pépites noisy-pop aussi étincelantes que 'Stardust Remedy' ou 'Fizzy' a quelque chose de miraculeux - mais il est vrai que cynisme et amertume étaient sa marque de fabrique depuis les tout débuts.

Renouant avec l'électricité et les nappes de disto après une parenthèse plus acoustique sur l'excellent Stoned & Dethroned, et ce malgré une (auto)prod beaucoup plus clean et aérée qu'à la grande époque, Munki est sans doute trop long (dix-sept titres !) et parfois un brin erratique, mais il n'a pas vraiment à rougir de la comparaison avec ses glorieux prédécesseurs. L'indolence est là ('Moe Tucker'), les tubes aussi ('I Love Rock'n'Roll'), sans oublier la touche Jesus & Mary Chain, cette âpreté morveuse, ce côté branleur dépressif qui rendait ces gars magnifiques. Certains titres tutoient les sphères ('Perfume', bien sûr, avec la grande Hope Sandoval), le reste est carré et sans fioriture - l'ensemble compose sans doute l'album le plus accessible des Jesus, en plus d'un testament honnête (il y a évidemment quelque chose d'ironique à ce que le dernier morceau de votre dernier album s'intitule 'I Hate Rock'n'roll'...)

On restera un peu plus sceptique concernant les bonus, non en raison de leur qualité, mais parce que la manière dont les récentes rééditions déshabillent (et donc dévaluent) le fabuleux coffret The Power of Negative Thinking laisse au minimum sceptique. Le commentaire survient cependant après un mois à passer à la loupe tous les bonus de toutes ces ressorties, ces lives parfois précieux... etc., et un sentiment diffus d'avoir entendu jusqu'à quarante fois les mêmes morceaux (au bout de la centième version live de 'Head on' on sature un peu, même si le titre est sublime, c'est humain). En l'état, le CD bonus de Munki n'a cependant rien à envier à ceux d'albums plus classiques, même si évidemment, les faces B sont un peu moins géniales (encore que. Rien que pour 'Bleed Me'...)


👍👍👍 Munki [Expanded Edition]
The Jesus & Mary Chain | Sub Pop, 2011 [1998 pour l'édition originale]