jeudi 7 juillet 2011

I'm Still Here - Phoenix fait son cinéma

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Annoncé depuis des mois et régulièrement décalé, I’m Still Here arrive enfin sur nos écrans la semaine prochaine. On connaît déjà l’histoire, pour avoir été en quelque sorte spectateur involontaire de son tournage : en octobre 2008, alors qu’il est au sommet et s’apprête à sortir le magnifique Two Lovers de James Gray, Joaquin Phoenix, 34 ans et deux fois nominé aux Oscars, annonce à la surprise générale qu’il met un terme à sa carrière pour se consacrer au hip hop. Quelques semaines plus tard, la rumeur commence à se propager qu’il s’agirait en fait d’un canular, filmé par son beau-frère Casey Affleck pour les besoins d’un documentaire. Mais le trip continue de plus belle, avec réincarnation en clochard céleste barbu et hirsute, annonce d’un album produit par P. Diddy… on en passe – et des meilleures. Car le projet est bien plus vertigineux et complexe qu’une simple supercherie.

Joaquin Phoenix joue donc Joaquin Phoenix qui en marre de jouer le rôle de Joaquin Phoenix. L’acteur-personnage… enfin le personnage-acteur… enfin le type sur l’écran veut retrouver le chemin de la création, The Real Thing, plongé dans un travail sur lui-même au sens le plus littéral du terme. « Ma vie devient un film pile quand je décide de raccrocher. » Derrière la caméra, Affleck joue les témoins complaisants (trop ?) de cette dissolution de l’identité à travers la célébrité, et la manière dont sa caméra, amateur et tremblotante au début, se fait de plus en plus cinématographique et maîtrisée au fil des séquences peut être vue comme la traduction visuelle d’une blague de potes bourrés devenant progressivement sérieuse une fois que tout le monde aurait cuvé. Pas sûr que ce soit là l’essentiel.


Dans le fond, on se moque pas mal du croisement opéré entre réalité et fiction. C’est la Vérité – la crudité, même – de cette autofiction (car Phoenix est bien sûr co-scénariste) qui prend aux tripes, comme lors de ce passage erratique chez Letterman, qui achève de faire de l’ex-acteur le bouffon officiel de Hollywood. On ne peut s’empêcher d’être suffoqué par la cruauté de cette scène (même si la légende – jamais vérifiée – raconte que Letterman était dans la confidence), ni de penser à Charlie Sheen, autre star que l’on aura vu depuis se désintégrer en direct live sur toutes les télés du monde – sans masquer pour sa part une quelconque démarche artistique. Si ces quelques minutes surréalistes – ironiquement les seules que quasiment tous les spectateurs auront déjà vu – marquent durablement, c’est par ce qu’elles disent d’un système broyant avec jubilation et sous la protection du sacro-saint second degré toute aspiration à la différence – pourtant la base même de l’expression artistique. La série Entourage ne dit pas autre chose, et I’m Still Here en concocte en un sens la version glauque et dépourvue d’entertainment. On notera d’ailleurs l’ironie mordante de l’épilogue, qui ne figure comme de juste pas dans le film : après avoir parlé de pétage de plomb, de canular, de documentaire… les médias embed parlent désormais de faux documentaire, absurdité totale dans ce cas précis (une bonne partie des séquences est on ne peut plus ancrée dans le réel), témoignant de leur incapacité à ne pas réduire, à ne pas tenter de manière pathologique de catégoriser l’incatégorisable.

Mal structuré et sans doute un poil trop long, le résultat final est un peu inégal et sans doute pas à la hauteur de ce que représentait un projet quasi métaphysique. Mais rien que pour ce qu’il démontre de notre société du spectacle, et pour ses éclats de potacherie dans les ténèbres, il mérite largement que l’on s’y attarde.


👍 I’m Still Here 
Casey Affleck | Magnolia Pictures, 2011

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