mardi 21 juin 2011

Ray Bradbury - L'Humanisme n'est pas l'Humain

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Quatrième roman de Ray Bradbury (en comptant The Silver Locusts comme tel), Something Wicked this Way Comes est généralement considéré comme un de ses chefs-d’œuvre, ce qui ne veut pas dire grand-chose puisque Bradbury a atteint aujourd'hui ce niveau de notoriété posthume (oui je sais, il n'est pas mort) où même son vieux dentier est une œuvre culte... mais disons  que dès sa sortie, il fut considéré comme tel, ce qui n'est guère surprenant tant son point de départ est réjouissant.

Comme souvent chez l'auteur de Fahrenheit, celui-ci repose en effet sur un concept particulièrement génial - d'autant plus génial qu'il est simplissime : il raconte comment deux adolescents de presque quatorze ans, Will et Jim, découvrent dans une fête foraine un carousel dont on ne saurait dire avec précision s'il est bénit ou maudit. Ce qui est sûr, c'est que son pouvoir ne peut que défier et exciter leur imaginaire : un tour en avant, et les passagers vieillisent d'un an ; un tour en arrière, il rajeunissent d'autant.

Agrémenté d'un antagoniste fascinant (l'ambigu Mr Dark) et d'une saine réflexion sur le principe de vie éternelle, Something Wicked this Way Comes joue donc sur les peurs de l'enfance, et tous les registres de l'imagination souvent morbide d'un gosse, préfigurant en cela de manière assez troublante l’œuvre de Stephen King, dont on jurerait par instants lire un ouvrage de jeunesse. A un détail près, toutefois : Bradbury n'a pas ce style rêche, osseux et parfois sublime hérité du roman noir. Son écriture à lui d'un classicisme rare, lisible mais sans grande finesse... terne, en fait. Pas un grand styliste, ce qui n'est certes pas nouveau mais explique peut-être, paradoxalement, son colossal succès à une époque où les grands auteurs de SF étaient légion, mais pas forcément toujours très accessibles au grand public (on ne dira jamais assez à quel point le succès d'un auteur aussi tortueux et abscons que Philip K. Dick est l'un des plus grands mystères de la création marketo-littéraire).

De plus - oserais-je l'ajouter ? - il manque un petit quelque chose à ce roman, comme plus généralement à tous les romans de Bradbury. Un petit truc de rien que l'on appelle l'humanité. Ce qui ne manque pas d'ironie venant d'un auteur unanimement considéré comme un grand humaniste. Et pourtant le fait est qu'avec le même cannevas de départ, un King ou un H.G. Wells nous auraient certes fait frémir, mais ils auraient su aussi nous émouvoir avec des personnages plus vrais que nature, et mettre l'être humain, sa nature et ses contradictions, au centre de la mécanique fantastique. Bradbury propose des personnages assez caricaturaux et peu attachants (en fait : ils sont inexistants), y compris Mr Dark, qui pour intrigant qu'il soit n'en est pas pour autant d'une complexité et d'une profondeur à couper le souffle. Notre auteur préfère se concentrer sur la construction il est vrai très habile de son récit, élargir le chant de la symbolique, comme si celle-ci avait le moindre sens dès lors qu'elle oublie ce qui la fait exister.

Résultat des courses : on ne se prive pas de sauter quelque page verbeuses et assez ratées, et des années plus tard, quand on le relit, on s'aperçoit qu'on ne se souvient que du concept et absolument plus de ce que cela raconte.


Something Wicked this Way Comes [La Foire des Ténèbres] 
Ray Bradbury | Simon & Schuster, 1962

6 commentaires:

  1. Tu es dur, avec ce brave Ray. Pas forcément dans l'erreur, mais dur, tout de même.

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  2. Sévère mais juste, c'est ma devise.

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  3. Je n'ai pas lu celui-là, et j'avoue ne plus trop me souvenir du style de "Fahrenheit 451", mais j'avais trouvé ses "Chroniques martiennes" (lues en VF il y a... un certain temps) très poétiques, et beaucoup aimé aussi "L'homme illustré".

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  4. Oh ! Lues en VF ?! Mélanie ! Tu avais huit ans, rassure-moi ? :-)

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  5. Non, plutôt entre 12 et 14, monsieur Moqueur. :-) Je n'ai commencé à me sentir à l'aise pour lire en VO qu'à partir du lycée... Et je ne le faisais pas tant que ça (c'était beaucoup moins facile que maintenant de se procurer des livres en langue étrangère, je te parle d'un temps où Internet n'existait pas, je sais, c'est fou). Sans compter que je ne trouve pas du tout honteux de lire des traductions.

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  6. Oh dit, ça va mémé, moi aussi j'ai connu l'avant-Internet. Enfin l'avant Web 2.0. Enfin l'avant ADSL. Enfin, l'avant fibre optique... enfin... :D

    Quant au traductions... comme souvent je n'ai pas d'avis sur le sujet, je n'en lis pas assez pour en avoir, et de toute façon si j'ai un avis sur une trad quand j'en lis une, je n'ai donc pas oublié que c'en était une, c'est rappé du coup, non ? ^^

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