mardi 17 mai 2011

Parce qu'un chef-d'œuvre est un chef-d'œuvre

[Mes livres à moi (et rien qu'à moi) - N°46]
La Symphonie pastorale - André Gide (1919)

Voilà, mon billet est terminée.

Bon, ok, je vais le rallonger un petit peu, même si le titre dit déjà tout :

La Symphonie pastorale est le journal qu’un pasteur de province entreprend de rédiger pour raconter l’histoire de Gertrude, une jeune aveugle qu’il a recueillie deux ans plus tôt et qu’il considère en quelque sorte comme sa fille adoptive. Mais bien sûr, les sentiments qui le lient à elle sont bien plus forts qu’il ne veut se l’avouer. Il faudra cependant que son propre fils, Jacques, lui avoue son amour pour Gertrude pour qu’il comprenne progressivement ce que tout son entourage (ainsi que le lecteur) a déjà deviné depuis longtemps : il aime cette jeune fille plus que tout au monde. Peut-être même plus que ce Dieu auquel il a juré de consacrer sa vie.

Ce roman de Gide fait partie de ces rares textes qui ne souffrent ni du temps ni des relectures. La première fois que je l’ai rencontré, c’était il y a bien des années. Il m’arrive depuis régulièrement de le feuilleter, comme ça... quelques pages au hasard. Chaque fois que j’en parcours un extrait je suis saisi par la poésie des mots, la souplesse d’un style à nul autre pareil… et à présent que je viens de le relire, je peux affirmer que c’est un des seuls textes au monde que j’aurais relu sans revoir d’un poil mon jugement premier.

Oui, >La Symphonie pastorale est un chef-d’œuvre, et il n'est guère besoin d'en dire beaucoup plus. Un texte court et intense, bien au-dessus de la plupart de ce qui a pu être publié au vingtième siècle. Il ne s’agit pas seulement d’une banale histoire d’amour interdit, ce serait trop simple. Ce qui rend ce roman unique, c’est que c’est un amour inconscient qui nous est raconté sous forme de journal (soit donc quasiment en temps réel) par son malheureux protagoniste. Le lecteur sait donc dès la première page ce que le narrateur ne va découvrir que progressivement (inexorablement, même). Il se retrouve projeté dans l’esprit de ce narrateur/personnage, possède une énorme longueur d’avance sur lui, mais au lieu de se trouver conforter dans une position avantageuse, il est en réduit à un état d’impuissance totale, et assiste à la désagrégation lente et bouleversante des convictions d’un homme. Exactement comme dans une tragédie antique, genre littéraire que l’auteur a toujours admiré.

C’est un système de narration dont seul Gide à le secret. Personne avant lui n’avait eu cette idée finalement très simple – et tous ceux qui ont essayé de la réemployer s’y sont lamentablement cassé les dents. Car André Gide, assurément l’un des plus grands auteurs de son temps, reste seul maître de son roman : il parvient à donner au lecteur l’illusion de l’interaction alors qu’il se contente en fait de l’amener là où il veut. L’auteur a mis toutes les chances de son côté : il détient le fond et la forme ; il a le style, les idées et a trouvé la structure narrative idoine.

Exercer un tel pouvoir sur le lecteur n’est pas donné au premier venu. On ne rencontre pas souvent des textes aussi puissants, y compris dans l’œuvre même de Gide.


Trois autres livres pour découvrir André Gide :

L'Immoraliste (1902)
Les Caves du Vatican (1914)
Si le grain ne meurt (1924)

9 commentaires:

  1. Mon édition ressemble exactement à la photo, tâche d'humidité comprise... je crois que je l'ai lu en 4ème (c'est dire si ça remonte aussi...) et c'est effectivement un livre qui m'a marquée.
    J'avoue avoir ensuite été dégoûtée par Les nourritures terrestres, que j'ai probablement voulu lire trop tôt et n'avoir du coup jamais retenté Gide. Une grossière erreur sans doute, mais il n'est pas trop tard...

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  2. J'ai toujours été attiré par André Gide, mais je me suis jamais lancé dedans. J'ai La symphonie pastorale et Les faux-monnayeurs qui prennent la poussière sur ma bibliothèque depuis des mois, je vais peut-être les ressortir du coup.

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  3. aussi puissant (voire plus)? aucun problème^^

    ALLEGEANCE (René Char)

    Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima?

    Il cherche son pareil dans le voeu des regards. L'espace qu'il parcourt est ma fidélité. Il dessine l'espoir et léger l'éconduit. Il est prépondérant sans qu'il y prenne part.

    Je vis au fond de lui comme une épave heureuse. A son insu, ma solitude est son trésor. Dans le grand méridien où s'inscrit son essor, ma liberté le creuse.

    Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima et l'éclaire de loin pour qu'il ne tombe pas?

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  4. Ing >>> mais figure-toi que c'est aussi la couverture de mon édition, et que j'ai eu du mal à la retrouver en photo (nous ne sommes plus tout jeunes ! ^^)

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  5. GMC >>> je parlais en roman ;-)

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  6. idem pour moi, la même édition, lue en 3e je crois (mais peut-être 4e).

    sinon ? b'en... j'm'en souviens pu... :o/

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  7. je n'ai pas lu la symphonie pastorale, mais les nourritures terrestres, un livre qui m'était tombé entre les mains à une période (adolescente) où ca broyait plus que du noir dans mon petit cerveau; et celui-là - son style aussi - m'avait foutu un de ces coups de pied au c...

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  8. Ah, tu as ta période dark ? ^^

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