lundi 14 mars 2011

Kem Nunn - Métaphysique des vagues

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Pas tout à fait inconnu des lecteurs de ce blog, pour avoir contribué en tant que scénariste à deux séries bien aimées dans ces pages (Deadwood et - surtout - l'aussi hermétique que fascinant John from Cincinnati), Kem Nunn est surtout (mé)connu en tant qu'écrivain, notamment auteur du très culte Tapping the Source (1984). Peu de gens l'ont lu, encore moins compris (Nunn est féru de symbolisme et n'aime rien tant que faire dans l'allusif, c'est au point que prendre n'importe lequel de ses romans au sens littéral serait absolument dénué d'intérêt - commentaire qui vaut d'ailleurs pour John from Cincinnati), mais l'ouvrage continue bon an mal an de se vendre plus de vingt-cinq-ans après, suffisamment pour que les Américains aient fini par faire de son auteur le chef de file d'un courant dont il est quasiment le seul dépositaire (et dont il s'éloigne une fois sur deux) : le surf noir. Soit donc la rencontre du surf et du polar, avec cependant - la précision n'est pas inutile - beaucoup plus de surf que d'intrigues policières.


Affreusement inégale, l'œuvre de Nunn recèle en tout et pourtant cinq petit romans ovniesques, ne ressemblant pas à grand-chose de connu, dont The Dogs of Winter (considéré comme l'un de ses meilleurs) est particulièrement représentatif. Il s'agit au moins autant d'un anti-polar que d'une anti-histoire de surf, en cela qu'à peu près tous les clichés du "genre" (en est-ce un ?) y sont méthodiquement contournés : il y fait moche et froid quasiment du début à la fin, le sable est remplacé par des rochers (et des dangereux), les bimbos en bikinis par une bande de losers même pas magnifiques.

La mythologie du surf est là, pourtant, entre une vague humblement légendaire, sobrement nommée Heart Attacks et censée être la plus grande des USA (rien que ça), un surfeur mythique subitement disparu qui refait surface (sans mauvais jeu de mots) pour la rider, et un hédonisme général de bon aloi. Mais tout ceci est broyé au mixeur psychédélique de Nunn, qui n'a jamais envisagé la discipline qu'il adore que comme une allégorie de la condition humaine. La place est donc faite nette pour la nature et la bande de bras-cassés qui l'affrontent, au nombre desquels Fletcher, antihéros absolu et photographe de surf sur le retour, convoqué pour shooter l'ultime ride d'une star pour le moins inquiétante, puisque soupçonnée d'un meurtre sordide. La bizarrerie, c'est peu de le dire, est au rendez-vous : le tout baigne (sans mauvais jeu de mots, on a dit !) dans une atmosphère opaque, entre mysticisme vaudou et un thriller en mouvement. Évidemment initiatique, The Dogs of Winter est surtout un étonnant chant d'amour à la nature, bien plus sincère et vibrant que n'importe quel manifeste pseudo-écolo. A lire, même si le style de Nunn manque parfois un peu de la poésie qu'aurait pu induire le propos.


👍 The Dogs of Winter [Le Sabot du Diable] 
Kem Nunn | Oldcastle Books, 1997

6 commentaires:

  1. Je suis assez d'accord. Dans la foulée de JFC j'avais voulu découvrir Nunn mais finalement j'ai trouvé ça bien mais sans plus.

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  2. J'ai trouvé ça assez bien, quand même. Je donne l'impression contraire ?

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  3. Jamais entendu parler. Cela a l'air pas mal, mais l'aspect surf, même "anti", risque de me rebuter (surtout s'il y ait une allégorie de la conditions humaines !). H.

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  4. Et condition humaine, au singulier. Je suis vraiment navrée, il est tôt !

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  5. Je peux le comprendre. Mais c'est un bon livre hein, pourtant...

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