dimanche 27 février 2011

[Cantos Golden Challenge] Episode 1 : Hyperion

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Dans mon souvenirs, Hyperion était un roman très bon mais très complexe, écrit dans un style particulièrement abrupte, dans lequel il fallait se fouetter pour entrer. Cette relecture (la seule du Cantos Golden Challenge, puisque je n'ai jamais lu les tomes suivants) m'a permis de constater qu'en réalité, Hyperion était... un roman très bon mais très complexe, écrit dans un style particulièrement abrupte, dans lequel il fallait se fouetter pour entrer.

En fait le plus difficile est surtout de franchir la barrière des cinquante premières pages, dans lesquelles Dan Simmons s'adonne à l'un des ses jeux favoris, dit du "j'te parachute au milieu de mon univers et démerde-toi avec ça". Plus que de construire progressivement, il impose une immersion d'autant plus brutale que l'univers en question est particulièrement dense, obèse de personnages et bardé d'une référence littéraire par page (bon courage aux lecteurs n'ayant jamais approché la poésie anglaise classique). Ces cinquante premières pages ne sont donc qu'un interminable blabla d'autant plus usant que le dialogue n'a jamais lété e talent premier de l'auteur (Hyperion en contient finalement peu), plutôt qu'une exposition en bonne et due forme, pétri d'allusion à des choses que l'on ne comprendra vraiment que cent pages plus loin, et de personnages restant de simples noms pour certains durant 70 à 80 % du texte. Pour dire les choses crûment : on n'y comprend pas grand-chose mis à part que sept pèlerins, représentant chacun une catégorie "spatio-sociale", si je puise dire, ont été convoqués sur Hypérion (qui est une planète) pour on ne sait trop quoi par on ne sait trop qui, et qu'à la fin il n'en restera très probablement pas des masses. Dan Simmons n'a pas créé le Shrike ("Gritche", en VF), version post-moderne de la mort, par hasard : lui aussi aime bien jouer avec le lecteur comme avec un insecte, qu'il finira par crucifier au fil de la plume.

C'est en fait lorsque commencent les récits (car le principe de ce volume introductif est de laisser chacun des protagonistes narrer son histoire) que l'on commence à se laisser absorber, pour finalement ne plus pouvoir lâcher ce (gros) roman. Il faut dire que celui du prêtre, premier à prendre la parole, est absolument fascinant et, sur la fin, complètement flippant (Simmons a surtout écrit des livres d'épouvante, et cela se voit : on est par instants tétanisé d'horreur)... la meilleure rencontre possible avec le Shrike, suggestive, énigmatique, toute en atmosphère(s). Cette premier histoire dans l'histoire donne le ton d'Hyperion : une alternance de mystères à la bizarrerie totale, et de scènes de la vie quotidienne presque banales, qui finissent systématiquement par basculer dans la terreur pure et simple. Avec à chaque nouvelle étape de nouveaux indices quant à la nature du Shrike, la raison du retour sur Hyperion (puisque chacun de ces antihéros s'avère, c'était prévisible, lié à cet étrange endroit) ou les secrets des Tombeaux du Temps (l'antre dudit Shrike)... car Hyperion, avant toute autre chose, est un immense jeu de pistes, puzzle sadique où s'entremêlent influences mythologies et littéraires, mysticisme et poésie. Beowulf et Keats, Fitzgerald et Chaucer, Eliot, Pound, la Torah... lister les influences et les emprunts effectués par Simmons serait interminable (et je ne les ai probablement pas tous repérés). Hyperion 1, comme toutes grande œuvre de SF et comme tout grand bouquin de Simmons, archétype de l'auteur ivre de sa propre culture, a tout de l'immense shaker, de l'ouvrage patchwork, qui peut aussi souvent irriter que fasciner. Ainsi certains inserts sont presque grossiers, notamment dans le récit de Martin Silenus, qui relève par instants du quasi pastiche de T.S. Eliot ou Jack Vance (qui chipait déjà pas mal chez Eliot). A l'inverse, la partie la plus réussie est sans aucun doute le récit de Sol Weintraub, bouleversant et quasi shakespearien dans sa conclusion.

Ma grande soeur yueyin étant d'un naturel bien plus enthousiaste que moi, j'imagine que son billet s'en ressentira. Cela dit qu'on ne s'y trompe pas, malgré des nuances cette relecture "adulte" (je ne devais guère avoir plus de quinze ans la première fois) m'a parfaitement convaincu : a) de la nécessité de lire la suite (ce que nous ferons tous deux incessamment sous peu) et b) que sa réputation de classique de la SF n'est aucunement usurpée concernant Hyperion, qui en dépit de quelques défauts demeure une lecture haletante et un ouvrage incontestablement unique en son genre.


👍👍 Hyperion 
Dan Simmons | Firethorn Press, 1989


(1) Son titre lui-même relève de l'allusion kaléidoscopique, puisque Hyperion renvoie tout à la fois à un poème de Keats (évoqué dans le roman) et à un autre (en prose) de Longfellow. En remontant encore plus loin dans le temps, c'est également le titre du premier roman de Hölderlin, paraît-il exceptionnel (j'avoue ne pas l'avoir lu). Enfin c'est également, à la base, et même si cela s'est un peu oublié (beaucoup d'articles sur le roman de Simmons prêtent à tort l'origine de ce nom à Keats), l'un des Titans.

27 commentaires:

  1. Pourquoi je n'ai pas de mal à entrer dans Hypérion moi ? tout le monde me dit que c'est difficile et moi je trouve ça prenant dès le départ... je dois avoir un truc qui cloche... Ah sinon je suis d'accord avec toi pour l'histoire de Sol elle fend le coeur bien que celle de Siri dans un autre genre m'ait touchée aussi.
    C'est quand même fascinant de voir à quel point chaque protagoniste parvient à avoir sa voix propre. (je crois que je vais arrêter d'écrire fascinant pendant un moment pour voir si j'y arrive...)

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  2. Je garde "fascinant" pour les tomes suivants ;-)

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  3. Ah, vous êtes deux incorrigibles petits tentateurs! me voilà bien attrapée... et plus que tentée. Il ya combien de tomes en tout?

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  4. "archétype de l'auteur ivre de sa propre culture, a tout de l'immense shaker, de l'ouvrage patchwork, qui peut aussi souvent irriter"

    Finalement, il y a un éclair de lucidité dans cet article :-)

    BBB.

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  5. Quant à dire que Simmons est "ivre de sa propre culture", vous y allez fort; recopier des pages entières de Keats, ce n'est pas être cultivé, c'est seulement savoir lire, et écrire ;-)

    BBB.

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  6. ma lecture est lointaine, mais je vais apprécier de redécouvrir le livre par tes analyses. il me semble que moi aussi je n'avais accroché qu'à partir des récits des personnages. Finalement, est ce un inconvénient d'aborder ce genre de livres sans aucune culture littéraire? j'ai peut etre loupé des choses, mais quand je vois les commentaires de BBB finalement, c'est pas plus mal...
    j'avoue que pour l'instant, je ne me souviens que du Gritche et du récit du pretre... c'est donc bien le plus marquant du bouquin

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  7. Choup' >>> quatre en (très) grand format, seize en poche, deux en Omnibus.

    BBB. >>> vous n'êtes pas juste, Simmons n'est pas un copiste et je suis le premier à dire (et à avoir écrit dans l'écrit) que je n'étais pas convaincu par ces références-là.

    Xavier >>> tu te doutes que moi, je ne vais pas te dire "c'est beaucoup mieux de le lire savoir connaître les références"... c'est évidemment mieux de pouvoir suivre l'auteur jusqu'au bout de son raisonnement (pour ne pas dire "de son trip" ^^), même si on peut parfaitement adorer le livre sans cela.

    Sinon tu ne te souviens même pas du récit de Sol avec

    !!!!!!!!! ATTENTION SPOILER !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

    .... la fille qui vieillit à l'envers et qui perd une journée de vie et de mémoire chaque matin ?...

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  8. Non, Sol et Siri, ca ne me dit plus rien... je me souviens vaguement de scènes dans une foret, et d'un personnage soumis à la torture, exposé sur la place d'un village... et c'est tout! N'y a t il pas un personnage d'enfant "coaché" par un vieux maitre? En revanche, l'histoire du pretre, des crucifix etc est bien resté dans ma mémoire.

    j'ai tendance à oublier très vite la plupart de mes lectures, d'autant qu'à l'époque j'étais assez boulimique et j'ai lu pas mal de sagas énormes dans la collection Atalante.
    l'avantage, c'est que je peux relire les livres presque comme si c'était la première fois!
    d'ailleurs, tu me tentes avec Hyperion....

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  9. et bien comme cela arrive de plus en plus souvent (et tu remarqueras que je ne commente qu'à ces occasions là) nous sommes d'accord :). je garde un souvenir très intense de la lecture d'Hypérion et j'ai éprouvé aussi des difficultés à entrer dedans : le lecteur n'a aucun repère connu dans les premières pages (et il est difficile d'en prendre ensuite). l'histoire de Sol Weintraub m'avait presque tiré des larmes ...

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  10. Xavier >>> allez, rejoins-nous, rejoins le côté obscur, tu en meurs d'envie ;-)

    Lhisbei >>> oui, va falloir rapidement mettre un terme à ce genre de mauvaise habitude ^^

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  11. oui, c'est vrai! mais quand je vois le mal que j'ai à finir un dictionnaire du rock de 200 pages plutot ludique et sympa, je n'ose imaginer combien de temps me prendrai la relecture d'Hyperion. Je serai en décalage complet avec vos articles, d'autant plus que j'ai déjà un gros retard!

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  12. Oui, je disais sans conviction, c'est sûr qu'il est plus difficile de refaire son retard avec Hyperion qu'avec le Juge Ti.

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  13. en plus, tu ne voudrais pas de quelqu'un qui ne sais meme pas qui est Keats dans ton challenge...

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  14. En même temps s'il y a bien une ref qu'il n'est pas nécessaire de connaitre avant c'est celle-ci, vu que Keats est présenté en long en large et en travers dans le bouquin (dis donc, t'en as vraiment pas retenu grand-chose ;-))

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  15. bon ben c'est décidé, je vais les acheter et les relire. j'espère qu'il n'y aura pas trop de spoilers dans vos articles...

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  16. Ouais ! Xavier, avec nous ! Xavier avec nous !

    On fera gaffe pour les spoilers mais après évidemment je ne peux rien garantir. Cela dit un peu bon pour toi, c'est qu'on va nous-même avancer lentement ^^

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  17. Ah, Hypérion fait à coup sûr partie des livres que je veux relire depuis des années. Il m'avait beaucoup marquée, je me souviens qu'au début j'étais complètement larguée, et comme tu le dis j'avais vraiment accroché à partir des récits. Le mot qui s'impose aussitôt à moi chaque fois que je pense à cette lecture, c'est "souffrance".

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  18. Non pas que j'aie souffert pour le lire, mais parce que c'était ce qui imprégnait chaque page ou presque (dans mon souvenir en tout cas).

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  19. De toute façon plus j'y pense et plus ce livre m'apparaît comme complètement sadique...

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  20. putain, je me suis délesté de 50 euros pour l'intégrale et il manque les 16 premières pages de mon livre!
    merci la fnuc...

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  21. Quand on sait que la série coûte à peu près 90 centimes pièce sur Price Minister, en occase mais avec toutes les pages... on pourrait être tenté de se moquer ^^

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  22. A propos de livre sadique, tu as lu du même auteur "L'échiquier du mal" ? Je me suis arrêtée à la moitié tellement c'était insupportable. Du coup je m'interroge sur Simmons.

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  23. Thomas: et je ne t'en voudrais pas... quel c#@!

    Mel: celui là aussi je l'ai lu, je m'en souviens encore moins que la saga Hyperion...

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  24. @Xavier : tu sais, c'est cette histoire de manipulateurs mentaux/vampires du cerveau qui se servent de leurs pouvoirs pour tuer, violer, et se livrer à toutes sortes d'autres perversions.

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  25. Celui-là est carrément gore, d'une sauvagerie...

    Cela dit dans d'autres, comme Illium et Olympos, cela ne m'a pas du tout marqué (je parle du sadisme). J'y vois juste une violence de série Z, baroque, démesurée et si irréaliste qu'elle en devenait amusante. Le côté peplum, sans doute.

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  26. je me souviens vaguement... je crois que j'avais pas trop aimé en fait...

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