...
Parce que la politesse est un art qui se perd, il fallait absolument que Le Golb s'intéressât aux mémoires de Keith Richards. Quand Dieu prend la parole, le minimum est tout de même de faire l'effort de l'écouter. D'autant que Dieu s'exprime peu, et qu'il a toujours des choses intéressantes à dire.
Là où les choses devraient être amusantes, c'est que faute de job convenable au Paradis du rock'n'roll, Dieu a longtemps été connu du grand public sous le nom du Diable. C'est du moins ce que l'on croyait ; à lire ce pavé stupéfiant de non-provoc', de non-subversion et de non-goût du soufre, on se retrouve par instants à l'extrême limite du doute métaphysique. Keith lui-même semble souvent surpris de la manière dont les affreux Stones ont pu choquer le monde (mais trouve ça très cool, évidemment). Et de causer d'establishment, de succès. Et d'offrir quelques jolies réflexions sur l'image publique échappant à son contrôle et sur comment tout le monde, au bout d'un moment, finit toujours par essayer de faire ressembler la star à son image. Quitte à en faire une parodie.
Ce passage se situe approximativement au milieu de Life, vers 1974/75. Au moment, les fans ou même les simples amateur le savent, où les Stones sont en train de devenir des stars interplanétaires et où Keith Richards, lui, commence à perdre le contrôle. Étrangement - car il ne s'attarde pas vraiment là-dessus - on a le sentiment que cette question de l'image que l'on veut vous voir incarner jusqu'à l'auto-destruction demeure pour Keith un moteur, et qu'il s'amuse encore ici, à soixante-sept ans, à la prendre à contre-pied. Si Life est touchant au-delà de ses défauts manifestes, c'est aussi parce qu'il met un point d'honneur à éviter le bullshit habituel, la pose sex, drugs & rock'n'roll comme la tentative hagiographique balourde. Particulièrement émouvant dans les premières pages, à l'évocation de sa mère et de ses souvenirs d'enfance, Keith apparaît tel qu'en lui-même. Un Dieu ? Un Démon ? Un riffmaster ? Non : juste un brave gars, sympathique, parfois très drôle (surtout quand il se moque - gentiment - de Jagger), lucide sur le monde qui l'entoure et amoureux fou de musique en générale - et bien sûr de blues en particulier. C'est attachant, mais pas affolant d'originalité, et pas franchement nouveau non plus. Revers de la médaille évident : Keith semble vouloir à ce point éviter la pose et le scoop facile qu'il fait parfois un peu bailler. Pas toujours, parfois. Et s'enferme parfois dans une forme d'académisme qui ne lui va pas très bien (comprendre : que l'on n'imaginait pas de sa part). Les mémoires de Keith Richards portent bien leur nom : "mémoires", avec tout ce que terme, qui n'est pas exactement égal à autobiographie, sous-entend de lourdeurs.
Il est probable que ce soit autant la faute de Keith (qui à partir de 68 et jusqu'à ce qu'il soit clean semble de plus en plus spectateur de sa propre vie) que celle de James Fox (ghost writer pas vraiment invisible, puisque mentionné explicitement), mais Life manque parfois cruellement de souffle, pour ne pas dire de dynamique narrative à proprement parler. Les anecdotes s'empilent, rarement remises en perspective, sinon au détour d'une réflexion piquante aux airs d'aphorisme. Les protagonistes de la vie de Richards, mis à part sa maman et Mick Jagger, éventuellement Anita Pallenberg (dans une bien moindre mesure), n'ont droit à aucun portrait et s'imposent comme des évidences, comme si chaque lecteur se devait immédiatement de savoir qui était qui, comment il se comportait, en pouvant parfaitement se passer de l'avis de l'auteur. Certains (Brian Jones, qui en prend plein la gueule) ne sont évoqués quasiment que pour être critiqués, d'autres (Mick Taylor) ne sont présentés qu'en une ligne. D'autres encore n'existent pas durant 90 % du récit (Bill Wyman a-t-il vraiment fait partie des Stones pendant trente ans ?). Un déséquilibre qui se répercute dans la construction pour le moins étrange du livre : la mort de Brian Jones fait une page, l'enregistrement d'Exile on Main Street un chapitre entier ; Altamont doit prendre à peu près une page et demi et ne semble avoir absolument aucune répercussion sur le groupe, mais peu avant la découverte de l'open-tuning a eu droit à au moins cinq pages de digressions.
On pourrait comprendre que, dans l'absolu, Keith ait préféré se focaliser sur la musique plutôt que la légende. Le problème est que ce n'est pas tout à fait défendable dans la mesure où, Exile mis à part, les enregistrements d'albums aussi essentiels que Beggar's Banquet ou Let It Bleed sont évacués en une poignée de paragraphes. En fait, dans Life, le titre est bien choisi. La vie de Keith fait office d'entrée, de plat de résistance et de dessert. "Believe it or not, I haven't forgotten any of it." On le croit sur parole, on a juste envie de répliquer que pour écrire un bon livre, il n'est pas tant besoin de se souvenir de chaque détail que d'avoir une vision de ce que l'on veut raconter. Si la simplicité et l'honnêteté de Keith ne peuvent que toucher, ne fût-ce que parce que Dieu n'a jamais paru aussi proche du commun des mortels, on a presque envie de lui reprocher un excès d'humilité - en tout cas un refus évident de trop analyser les faits. Qu'il se contente d'énumérer, méthodiquement, chronologiquement, parfois trop factuellement (et souvent des faits connus et déjà racontés par d'autres, mais à la rigueur admettons). Il a beau s'en moquer à plus d'une reprise, il ne fait aucun doute que les mémoires de Mick Jagger seront plus passionnantes de ce point de vue. Il y a d'ailleurs, on en conviendra, une certaine ironie à ce que ce soit l'intransigeant Keith qui ait cédé le premier à ce typique exercice d'ancien combattant.
Life, de Keith Richards & James Fox (2010)
Parce que la politesse est un art qui se perd, il fallait absolument que Le Golb s'intéressât aux mémoires de Keith Richards. Quand Dieu prend la parole, le minimum est tout de même de faire l'effort de l'écouter. D'autant que Dieu s'exprime peu, et qu'il a toujours des choses intéressantes à dire.
Là où les choses devraient être amusantes, c'est que faute de job convenable au Paradis du rock'n'roll, Dieu a longtemps été connu du grand public sous le nom du Diable. C'est du moins ce que l'on croyait ; à lire ce pavé stupéfiant de non-provoc', de non-subversion et de non-goût du soufre, on se retrouve par instants à l'extrême limite du doute métaphysique. Keith lui-même semble souvent surpris de la manière dont les affreux Stones ont pu choquer le monde (mais trouve ça très cool, évidemment). Et de causer d'establishment, de succès. Et d'offrir quelques jolies réflexions sur l'image publique échappant à son contrôle et sur comment tout le monde, au bout d'un moment, finit toujours par essayer de faire ressembler la star à son image. Quitte à en faire une parodie.
Ce passage se situe approximativement au milieu de Life, vers 1974/75. Au moment, les fans ou même les simples amateur le savent, où les Stones sont en train de devenir des stars interplanétaires et où Keith Richards, lui, commence à perdre le contrôle. Étrangement - car il ne s'attarde pas vraiment là-dessus - on a le sentiment que cette question de l'image que l'on veut vous voir incarner jusqu'à l'auto-destruction demeure pour Keith un moteur, et qu'il s'amuse encore ici, à soixante-sept ans, à la prendre à contre-pied. Si Life est touchant au-delà de ses défauts manifestes, c'est aussi parce qu'il met un point d'honneur à éviter le bullshit habituel, la pose sex, drugs & rock'n'roll comme la tentative hagiographique balourde. Particulièrement émouvant dans les premières pages, à l'évocation de sa mère et de ses souvenirs d'enfance, Keith apparaît tel qu'en lui-même. Un Dieu ? Un Démon ? Un riffmaster ? Non : juste un brave gars, sympathique, parfois très drôle (surtout quand il se moque - gentiment - de Jagger), lucide sur le monde qui l'entoure et amoureux fou de musique en générale - et bien sûr de blues en particulier. C'est attachant, mais pas affolant d'originalité, et pas franchement nouveau non plus. Revers de la médaille évident : Keith semble vouloir à ce point éviter la pose et le scoop facile qu'il fait parfois un peu bailler. Pas toujours, parfois. Et s'enferme parfois dans une forme d'académisme qui ne lui va pas très bien (comprendre : que l'on n'imaginait pas de sa part). Les mémoires de Keith Richards portent bien leur nom : "mémoires", avec tout ce que terme, qui n'est pas exactement égal à autobiographie, sous-entend de lourdeurs.
Il est probable que ce soit autant la faute de Keith (qui à partir de 68 et jusqu'à ce qu'il soit clean semble de plus en plus spectateur de sa propre vie) que celle de James Fox (ghost writer pas vraiment invisible, puisque mentionné explicitement), mais Life manque parfois cruellement de souffle, pour ne pas dire de dynamique narrative à proprement parler. Les anecdotes s'empilent, rarement remises en perspective, sinon au détour d'une réflexion piquante aux airs d'aphorisme. Les protagonistes de la vie de Richards, mis à part sa maman et Mick Jagger, éventuellement Anita Pallenberg (dans une bien moindre mesure), n'ont droit à aucun portrait et s'imposent comme des évidences, comme si chaque lecteur se devait immédiatement de savoir qui était qui, comment il se comportait, en pouvant parfaitement se passer de l'avis de l'auteur. Certains (Brian Jones, qui en prend plein la gueule) ne sont évoqués quasiment que pour être critiqués, d'autres (Mick Taylor) ne sont présentés qu'en une ligne. D'autres encore n'existent pas durant 90 % du récit (Bill Wyman a-t-il vraiment fait partie des Stones pendant trente ans ?). Un déséquilibre qui se répercute dans la construction pour le moins étrange du livre : la mort de Brian Jones fait une page, l'enregistrement d'Exile on Main Street un chapitre entier ; Altamont doit prendre à peu près une page et demi et ne semble avoir absolument aucune répercussion sur le groupe, mais peu avant la découverte de l'open-tuning a eu droit à au moins cinq pages de digressions.
On pourrait comprendre que, dans l'absolu, Keith ait préféré se focaliser sur la musique plutôt que la légende. Le problème est que ce n'est pas tout à fait défendable dans la mesure où, Exile mis à part, les enregistrements d'albums aussi essentiels que Beggar's Banquet ou Let It Bleed sont évacués en une poignée de paragraphes. En fait, dans Life, le titre est bien choisi. La vie de Keith fait office d'entrée, de plat de résistance et de dessert. "Believe it or not, I haven't forgotten any of it." On le croit sur parole, on a juste envie de répliquer que pour écrire un bon livre, il n'est pas tant besoin de se souvenir de chaque détail que d'avoir une vision de ce que l'on veut raconter. Si la simplicité et l'honnêteté de Keith ne peuvent que toucher, ne fût-ce que parce que Dieu n'a jamais paru aussi proche du commun des mortels, on a presque envie de lui reprocher un excès d'humilité - en tout cas un refus évident de trop analyser les faits. Qu'il se contente d'énumérer, méthodiquement, chronologiquement, parfois trop factuellement (et souvent des faits connus et déjà racontés par d'autres, mais à la rigueur admettons). Il a beau s'en moquer à plus d'une reprise, il ne fait aucun doute que les mémoires de Mick Jagger seront plus passionnantes de ce point de vue. Il y a d'ailleurs, on en conviendra, une certaine ironie à ce que ce soit l'intransigeant Keith qui ait cédé le premier à ce typique exercice d'ancien combattant.
Life, de Keith Richards & James Fox (2010)
Assez d'accord avec ce post. J'étais content au début et puis après j'avoue que j'ai eu du mal à le finir. En fait c'est comme si plus le livre parlait des Stones moins il était intéressant.
RépondreSupprimerEh bien, je n'avais déjà pas du tout envie de le lire... Et là, encore moins...
RépondreSupprimerJe suis du même avis que mika-dos.
RépondreSupprimerJ'ajouterai que j'ai trouvé, le tout, parfois très mal écrit.
BBB.
C'est un des cadeaux que j'ai reçus à Noël, mais je ne l'ai pas encore attaqué...
RépondreSupprimerDisons que, malgré ta tiédeur à son sujet, je compte sur ma méconnaissance générale de l'histoire des Stones pour ne pas être déçu...
Mal écrit, je ne sais pas. Mais assez éprouvant à lire sur la durée, oui...
RépondreSupprimerJ'ai plutôt bien aimé mais c'est vrai qu'il essaie de cultiver une forme de "neutralité" (notamment politique) qui est assez déroutante.
RépondreSupprimerExactement, oui. Une forme de cynisme et rejets de l'intellectualisation qui m'a fait me demander si ce n'étaient pas les mémoires de Lemmy que je lisais... Merde, le gars n'est pas juste un grand guitariste, c'est une figure historique, mais il semble n'avoir rien à dire sur aucun sujet important.
RépondreSupprimerKeith refuse de livrer un enseignement ou de se montrer dogmatique, c'est ça qu'on lui reproche ? Personnellement, je ne vois pas où est le problème. Keith pontifiant et livrant des sentences définitives, c'est ça qui me choquerait, moi.
RépondreSupprimerNon, on lui reproche plutôt de verser dans le factuel sans offrir de vision particulière de l'époque, des faits, des disques...
RépondreSupprimer"rebel, rebel your face is a mess..." pffff... déception donc. dommage !
RépondreSupprimerj'ai aimé ce livre, car (à mon avis)on ne doit pas regarder l'écriture..mais plutôt le lire comme si on écoutait un homme parler....avec, c'est vrai, un peu de répétitions.
RépondreSupprimerJ'avais des apriori, mais j'ai découvert un mec sensible..
Là-dessus je suis d'accord.
RépondreSupprimerOn ne demande d'ailleurs pas à ce genre de livre d'accomplir des prouesses esthétiques ou littéraires, ce n'est pas le propos.