samedi 15 janvier 2011

George R.R. Martin - Réévolution

...
Commençons par nous incliner respectueusement devant le coup de poker que constitue ce quatrième tome (et dernier en date) d'A Song of Ice & Fire. Coup de poker ou hara-kiri, peut-être - le temps finira par trancher. Si le volume suivant paraît enfin. En tout état de cause, on ne peut que noter que George R.R. Martin, dans ce Feast for Crows, fait preuve d'un courage artistique assez exceptionnel. Car il en faut beaucoup, du courage, lorsque l'on est l'auteur star d'une saga à succès, pour oser prendre tous ses fans à rebrousse-poil en supprimant près de la moitié des personnages de la série. Ce n'est certes pas une surprise : au terme d'A Storm of Swords, ils étaient tant à avoir péri que l'on s'attendait, immanquablement, à ce que de nouveaux caractères soient injectés. De là à ce que disparaissent purement et simplement Tyrion Lannister, peut-être le personnage le plus important jusqu'alors, Bran, Daenerys, Davos... pour ne citer que les point of view characters... il y avait une marge que Martin a franchi avec une incroyable brutalité, puisque tous ces héros auxquels on avait fini (parfois douloureusement) par s'attacher sont littéralement laissés en plan pour quelques sept-cent-cinquante pages. Sans garantie de retour.

On est fasciné par ce courage, et en même temps il est évident que ce qui fascine irrite tout aussi souvent. La disparition de ces pilliers, dont il faut reconnaître qu'elle n'était pas complètement inattendue (Bran était rélégué depuis un moment à la périphérie de l'intrigue ; Daenerys n'apparaissait déjà plus dans la seconde moitié d'A Storm of Swords), est évidemment corolaire d'une prolifération de nouveaux point of view characters, dont certains sont nouveaux au point que leur nom n'ait même jamais été cité jusqu'alors. Une grosse partie de l'intrigue de ce tome se déroulant dans les Îles de fers et à Dorne, lieux rarement exploités jusqu'alors, autant dire que les choses semblent dans un premier temps particulièrement embrouillées. En fait, durant un bon tiers du récit, on ne voit tout simplement pas où Martin veut en venir : l'atmosphère des Îles de Fer, ses rites ancestraux, la mentalité de son peuple... tout ceci est merveilleusement rendu, mais on assiste finalement qu'à une énième guerre de succession, ce qui constitue le quotidien de chaque région des sept couronnes depuis la fin du premier tome. L'intrigue est plus complexe et éclatée que jamais, les évènements narrés semblent n'avoir strictement aucun rapport entre eux... ironie ne manquant de piquant le lecteur, c'est bien naturel, tente dans un premier temps de se raccrocher à ce qu'il connaît... soit donc à cette pourriture de Jaime Lannister. Un comble.

Et puis les choses se décantent, les pièces se mettent en place et l'on commence à voir l'horizon se dégager. En l'état, c'est-à-dire en attendant d'en connaître la suite, A Feast for Crows s'avère être quasiment une série dans la série, spin off incroyablement sombre dont Cersei Lannister, plus vénéneuse que jamais, serait la tragique héroïne. Car c'est bien là le second coup de poker de Martin : A Feast for Crows est avant toute autre chose un roman féminin, dans la lignée d'un cycle qui n'a jamais trop goûté l'héroïsme viril - mais encore un peu plus. Cersei la veuve presque noir s'y taille la part du lion (rien d'étonnant venant d'une Lannister), tout comme l'improbable Brienne, guerrière loyale lancée dans une quête sans fin, probablement le personnage le plus intéressant parmi ceux que Martin aura créé en cours de saga. Si l'on ajoute Sansa, Arya, la terrible et provocatrice Asha Greyjoy et la nouvelle venue Arianne Martell, le résultat est à 80 % féminin, la partition masculine étant réduite à la portion congrue : le bien peu viril Sam, Aeron Greyjoy (un... prêtre) et bien sûr Jaime, symboliquement émasculé depuis le tome précédent. Le message, à ce stade, n'est pas même pas subliminal : à trois tomes de la fin, ce sont les femmes et personne d'autre qui détiennent les clés du dénouement. Des femmes aux visages multiples, des sensuelles et des sensibles, des violentes et des salopes, des lâches et des héroïnes, des fortes et des faibles... le panorama est presque complet, et si Cersei l'emporte immanquablement dans le cœur du lecteur, ce n'est que parce qu'elle a beaucoup plus souvent voix au chapitre que les autres.

La suite paraît-il en septembre, si tout va bien. Mais vue qu'elle est sans cesse décalée depuis 2006, mieux vaut ne pas trop y compter.


A Feast for Crows, de George R.R. Martin (2005)

8 commentaires:

  1. Je l'ai réévalué avec le recul, lorsque j'ai relu la série en intégralité.
    Mais sur le coup, quel choc et quelle déception !

    RépondreSupprimer
  2. C'est vrai que Tyrion m'a manqué! Son esprit acéré, sa langue toute pleine d'autodérision... le nain, le rejeté, celui avec lequel on peut le mieux s'identifier.
    Et c'est vrai que Cersei touche au pathétique au point d'en devenir presque sympathique.
    Pour ma part j'avoue que ce sont les personnages de pouvoir qui m'ont le plus fascinée... et notamment les chapitres qui se passent à Dorne avec Doran Martell, sa fille, les vipérines...

    Je suis tellement impatiente de lire la suite que je crois bien que je tenterai la vo!

    :-)

    RépondreSupprimer
  3. Moi j'ai fini par abandonner.

    RépondreSupprimer
  4. J'avoue avoir un peu peiné vers le milieu; c'est très long et il ne se passe pas grand-chose. Un bon bouquin c'est sûr, mais il lui manque l'intensité des précédents. Tu as raison, c'est peut-être une série dans la série.

    RépondreSupprimer
  5. Bloom >>> j'imagine. C'est vrai que de ce point de vue, avoir lu tous les tomes à la suite est un avantage. En plus je le savais déjà.

    Kath >>> tu as raison ! Bon, j'avoue qu'au début la VO m'a paru un peu hard, mais finalement je me suis familiarisé avec l'univers assez vite. Et comme tu connais déjà l'univers, ça devrait rouler tout seul (par contre certains personnages secondaires ont des noms totalement différents en VO, heureusement il y a un excellent wiki of Ice & Fire qui rend bien des services).

    Lil' >>> je savais pour Serious... mais toi ??

    Leïa >>> oui, effectivement ce tome est moins nerveux. Cela dit ça s'excite tout de même sur la fin (en fait ils sont un peu tous construits pareil : débuts pétaradants, milieu très psychologiques, regain d'action à la fin).

    RépondreSupprimer
  6. Je crois que ce tome est un de mes favoris : justement parce que la dichotomie presque simple qu'on suivait depuis le début (gentil Starks, méchants Lannisters) est totalement bouleversée, et qu'on a un autre regard sur les Lannisters.
    Cette nouvelle sur la suite du Trône de Fer en septembre m'allèche irrésistiblement : où avez vous lu ça ?

    RépondreSupprimer
  7. En fait c'est le libraire anglais chez qui je me fournis qui m'en a parlé. Enfin ceci dit, il a immédiatement ajouté "on verra bien, il est annoncé pour septembre tous les ans depuis cinq ans :-)"

    RépondreSupprimer

Si vous n'avez pas de compte blogger, choisir l'option NOM/URL et remplir les champs adéquats (ce n'est pas très clair, il faut le reconnaître).