vendredi 17 décembre 2010

Roberto Bolaño - À torrents...

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 "On fait face à des dangers. C'est la vérité pure et simple. On court des risques et on est le jouet du destin jusque dans les endroits les plus invraisemblables."

Il faut dire le génie de Bolaño. Ce génie qui n'en a pas l'air, parce que son écriture est si fluide que l'on en oublierait presque, parfois, de l'admirer. Son style est anguleux, aérien. Sans esbroufe. Il pourrait raconter n'importe quoi, on s'en ébaubirait de même. Le lire donne la foi en même temps que provoque la plus intime des frustrations : tout y est un ravissement de chaque instant, mais si discret qu'on en a l'impression qu'écrire est la chose plus naturelle et facile du monde. Chaque fois que j'ouvre un Bolaño - et savoir qu'il m'en reste encore quelques uns à lire est un bonheur difficilement descriptible - je suis saisi par cette évidence : au-delà du propos, on a rarement vu auteur à l'écriture plus vive, plus incisive, à la fois simple et élégante. Je lisais l'autre jour une analyse très pointue, complexe, inspirée des Détectives sauvages, et aussi brillant soit cet essai, impossible de ne pas me dire que finalement, la forme était occultée. Que pis encore : la richesse de l'analyse ne rendait pas nécessairement hommage à un auteur qui, s'il fait à juste titre le régal de tous les esthètes, est également d'une simplicité et d'une accessibilité rares. Un génie qui n'en a pas l'air, oui. Dont les récits ont la subtile apparence de la simplicité, bercent, bercent... jusqu'au moment où sans prévenir surgit la fulgurance.

Je confiais il y a quelques mois que j'éprouvais toujours une certaine difficulté à écrire sur Bolaño. En relisant Amuleto, qui n'est pas son meilleur mais est l'un des rares que je possède réellement (il a fallu longtemps pour trouver Bolaño en format non onéreux, j'ai dû beaucoup emprunter à la bibliothèque à l'époque de cette incroyable découverte), j'ai fini par comprendre pourquoi. Je mettais ça sur le compte d'une forme d'humilité que je ne nourris pas pour - au hasard - Philip Roth. En réalité, je crois que c'est surtout parce que je n'ai pas envie de l'analyser. Oh bien sûr... je pourrais vous parler pendant trois pages d'Auxilio Lacouture, de son destin exceptionnel, muse et maman des poètes, de comment elle s'enferma dans les toilettes de l'Université de Mexico tandis que la police chargeait. Je pourrais vous dire comment Bolaño reconstitue avec une aisance déconcertante toute une époque, et en peu de pages encore. Je pourrais vous parler du parti pris de faire de tout cela un long monologue, parfois désolé et parfois rageur, souvent hésitant, comme si le récit hoquetait bizarrement. De cette manière de brouiller les pistes et de perdre le lecteur dans les méandres du souvenir, de nier quasiment l'idée même de présent et donc, par extension, les idées de futur et de passé, de flashback et de flashforward - métamorphosant ainsi le texte en un genre de torrent de mots chaotiques et hantés.

Seulement je n'en ai pas envie. Cela vaut pour la plupart des auteurs dont je parle ici, certes. J'ai trop fait d'analyse poussée par le passé pour y prendre encore du plaisir aujourd'hui, ou disons pour avoir envie d'en faire ici - sur mon temps de loisir. Mais c'est encore plus vrai concernant Bolaño et ses torrents de mots dont je n'ai qu'une envie, chaque fois que j'y trempe le regard : qu'ils m'emportent, peu importe ou et comment. Et je ne peux que vous adjoindre, a modo de conclusión, à essayer vous aussi. Il faut vraiment que je me remette à l'espagnol...


Amuleto, de Roberto Bolaño (1999)

4 commentaires:

  1. Je ne suis encore qu'une novice concernant cet auteur, que j'ai découvert sur tes conseils, avec Etoile distante et Nocturne du Chili (pas en VO non plus, ce que je regrette, moi aussi...).
    Je note celui-là, donc.

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  2. Oui, oui et oui. Bolaño - mon auteur favori - a cette capacité à amener les notions les plus complexes, les idées les plus sinueuses, avec facilité, sans jamais perdre de vue le plaisir du lecteur. C'est ce qui fait de lui un auteur tellement supérieur aux autres. Bien vu. H.

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  3. Jamais entendu parler (ça n'a pas changé depuis mon dernier commentaire, je suis une quiche en littérature générale), mais ton billet fait très envie. Je vais donc de ce pas combler mes lacunes!

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  4. H.V. >>> merci, je me sens "légitimé" :-)

    Kalys >>> je te conseille de faire comme Ing, et d'attaquer par Etoile distante ou Nocturne du Chili.

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