samedi 20 novembre 2010

Will Self - L'Évangile selon Dave

[A l'occasion de la publication française de ce formidable roman, réédition de cette critique datant de décembre 2007] Attendu que toute œuvre de Will Self est par définition un livre de malade, que c’est acquis depuis son premier recueil (Slump) et que c’est même pour ça qu’on l’adore depuis son premier roman Cock & Bull… attendu tout cela, donc, il sera bien difficile de faire comprendre au lecteur de passage en quoi ce dernier roman en date [en 2007, il a publié deux autres depuis] est encore plus un livre de malade que les autres. On va essayer quand même, mais franchement je ne vous promets rien, parce que depuis des années que je chronique des bouquins celui-ci est sans aucun doute le plus frappé, secoué, déjanté et inrésumable qui me soit jamais tombé entre les pattes.

Tout commence il y a très longtemps, lorsque la femme de David, chauffeur de son état, le plaque pour un autre homme. Autant vous dire qu’il le vit très mal – d’autant qu’elle a embarqué leur fils de cinq ans avec elle. Ce sont des choses qui arrivent, me direz-vous, mais David, allez comprendre pourquoi, il n’arrive pas à se faire à l’idée que son fils ne connaîtra jamais son père (la suite va nous démontrer en quoi c’eut été une immense perte pour le môme). Alors il décide de lui écrire un livre, ce que je suppose vous aviez deviné grâce au titre. L’idée n’est pas forcément très originale, mais elle est fort noble et Dave y met tout son cœur, toute son âme… et toute sa sagesse, car le livre en question tient tout autant de l’autobiographie d’un névrosé ordinaire (ou presque) que du précis de philosophie néo-existentialiste à destination d’un élève de la Star Ac’ sous Prozac après s’être fait limoger de l’émission. Bref : ça dépote, c’est profond comme n’importe quel long discours d’un père à son fils et jusqu’ici ç’annonce au mieux une parodie mordante de roman initiatique.

Seulement voilà : Dave n’a pas pu penser à tout (et pourtant quand on voit son bouquin on sent bien qu’il a essayé), et il était sans doute loin d’imaginer que non seulement le chef-d'œuvre ne serait jamais lu par le gosse mais qu’en plus il disparaîtrait pendant plus de cinq-cents ans. On vous parle souvent des œuvres connaissant une destinée particulière, celle-ci en est une. D’autant que c’est pas fini : cinq-cents ans plus tard (donc) Londres est engloutie sous les eaux, les survivants n’ont pas trop la pêche (pour ne pas dire qu’ils sont complètement déphasés) et en découvrant par hasard ce livre… ils comprennent tout de suite qu’ils ont affaire à un truc énorme, un Livre Saint – rien moins. Et voilà que la philosophie de comptoir du brave Dave Rudman est élevée au rang de religion d’état régissant la vie quotidienne de milliers d’Anglais (qui d’ailleurs ne s’appellent plus comme ça) dont on soupçonne assez rapidement qu’ils aimeraient tous, un jour, devenir chauffeurs.

Vous l’aurez compris après le très noir (et fabuleux) Dorian, Will Self renoue ici avec la veine carnavalesque et hilarante de How the Dead Live... en encore plus fort, plus fou, plus selfien. Construit comme un Picasso, maelström d’influences allant de la SF à Balzac telle une version goguenarde des Wastelands d'Eliot, The Book of Dave est le livre qu’il vous faut si vous songez subitement au suicide. Un poignant manifeste d’humour absurdo-grotesque, brossant la société occidentale à contre-sens du poil, parodiant les religions institutionnalisées avec jubilation et livrant au final une réflexion des plus malines sur l’histoire et ses aléas. Le meilleur roman de Will Self, aucun doute là-dessus.

Et sans aucun doute aussi un des meilleurs romans de ces dernières années.
 
 
The Book of Dave - A Revelation of the Recent Past and the Distant Future [Le Livre de Dave], de Will Self (2006)

7 commentaires:

  1. Ce que j'ai pu l'attendre, cette traduction !!
    Je suis d'ailleurs en train de le lire. J'avoue qu'il m'a bien fallu les 100 premières pages environ pour m'adapter au style et m'intéresser à l'histoire (alors que curieusement, je le trouve plus abordable que Mon idée du plaisir, pour lequel je ne me souviens pas avoir éprouvé cette petite difficulté au démarrage) et puis après... que du bonheur!

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  2. Formidable roman, déjanté, et désopilant.

    BBB.

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  3. j'ai failli l'acheter tout à l'heure suite à ton article, avant de m'apercevoir qu'il n'était pas en poche. reste plus qu'à patienter...

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  4. Ing >>> tu le trouves plus abordable ? Je ne sais pas trop. Je ne me souviens plus trop de Mon idée du plaisir, ma lecture date un peu...

    BBB. >>> pas mieux.

    Xavier >>> ah non, il n'est pas encore sorti en poche... et en plus je n'ai pas eu la VF en main, mais j'imagine que le bouquin est assez épais...

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  5. il est surtout assez cher...
    enfin, je serai passé l'espace de quelques minutes pour un connaisseur auprès d'une charmante vendeuse...

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  6. Xavier, si cela t'intéresse, voici un tuyau pour obtenir gratuitement le livre de Will Self:
    tu t'inscris au club de lecture de la librairie Dialogues (pour le fonctionnement et les modalités, voir ici : http://blog.librairiedialogues.fr/les-titres/le-fonctionnement-de-dialogues-croises/). Il n'y a aucune sorte d'engagement, hormis celui d'écrire un billet sur le bouquin que tu choisis de recevoir, et encore...
    Toujours est-il que Le livre de Dave y est actuellement disponible, et que la raison pour laquelle je ne l'ai pas pris moi-même, c'est qu'il était aussi dispo auprès de la bibliothèque.

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