mercredi 10 novembre 2010

Se tamponner le chichigneux. Et s'en sentir étrangement aise.

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Nous vivons dans un pays de fous. Je ne vous apprends rien, certes, mais tout de même : il fallait que je vous le dise. Nous vivons dans un pays de fous et ce matin, donc hier, puisque je vous écris en direct de mon mardi, l'actualité capitale du jour est donc la mort du Général De Gaulle. Enfin : la célébration de la mort du. Pour ceux qui n'auraient pas trop suivi, ce brave Général est mort depuis quarante ans. Déjà. On n'a pas vu le temps passer. Ceux qui y étaient, du moins. Il faut croire qu'il n'est vraiment rien arrivé de palpitant depuis pour qu'on soit, à ce point, dans la commémoration et le recueillement. Je dis "on", il faut bien sûr y reconnaître le "on" des journalistes - ces gens qui décident régulièrement pour nous de ce qui nous intéresse ou non. Et qui dans le pire des cas, comme le relevait avec humour Schneidermann dans sa chronique de lundi dernier dans Libé, sauront toujours nous expliquer pourquoi on s'en tamponne le chichigneux (cf. le désormais fameux débat sur la constitution européenne). Car je ne suis tout de même pas assez fou moi-même pour penser que l'ensemble de nos concitoyens se passionne pour les quarante ans de la mort de De Gaulle, aussi important cet homme sage fût-il dans l'histoire de notre pays de fous.

J'ai toujours eu, vous le savez, le plus vif mépris pour tout ce qui ressemble de près ou de loin à du passéisme. Autant dire que je n'aime pas trop mon pays de fous. Je lui reconnais cependant une belle constance, puisqu'à travers la mort de De Gaulle, c'est avant tout lui-même qu'il célèbre. Il aime se rappeler d'un temps où les Français savaient pourquoi ils étaient fiers d'être Français. Non qu'ils aient eu spécialement raison de l'être, mais au moins ils savaient pourquoi ils l'étaient. Pas comme aujourd'hui, où ils sont fiers un peu à la manière du dernier des bogoss, qui révèle bien souvent un petit être chétif et complexé derrière les biscotos et la bogossitude (je sais, je suis en retard d'une mode, cette remarque fait très 2008). Dans la fascination pour le passé, on ne trouve jamais que la peur de l'avenir. C'est d'une bêtise hors-norme. C'est ainsi. Mais qu'il faut être bête, tout de même, pour croire que c'était mieux avant. Pour croire que vraiment, à l'époque de De Gaulle, la France était un meilleur pays. Il faut être bête, ou alors ne pas avoir la moindre idée de ce qu'étaient les années cinquante/soixante. Sous De Gaulle, on fusillait encore, ami français. Sous De Gaulle, on ne délivrait la pillule que sur autorisation parentale (la majorité était alors, rappelons-le, à vingt-et-un ans). Que crois-tu, ami français ? Tu crois sincèrement que c'était si bien que ça, la vie, à l'époque ? C'est marrant, tout de même. Tu dois avoir vraiment très très peur de l'avenir. Encore plus que moi.

L'autre actualité de ce mardi dont je vous écris en direct, c'est que Michel Houellebecq a reçu le Prix Goncourt. On le sentait poindre à l'horizon (dans ma chronique du roman en question, je moquais déjà gentiment la normalisation des rapports entre la critique et l'auteur, ce que lui-même a d'ailleurs relevé : "Les médias ont décidé de m'aimer", disait-il ce matin, donc hier). On a envie de dire qu'il était temps, et en même temps le Goncourt, je suis bien d'accord avec vous, on s'en tamponne le chichigneux. Personne ne viendrait nous en parler trois plombes, c'est à peine si l'on saurait qu'il existe. On a envie de dire qu'il était temps, et d'un autre côté la chose aurait dû être faite depuis tellement longtemps que le commentaire paraît presque superflu. Non seulement Houellebecq a été tout de même été largement snobé par l'académie, mais en plus chaque fois qu'il a publié un roman jusqu'ici, le Goncourt est allé à un nullos de la pire espèce. En 1994, le prix allait au nullissime Didier Van Cauwelaert. En 1998, c'était la supra-géniale Paule Constant qui l'emportait (je dis "supra-géniale", j'idéalise peut-être, on est sans nouvelles depuis). En 2001, on attribuait carrément le Goncourt à Jean-Christophe Ruffin, type très sympathique au demeurant, mais dont les exigences esthétiques sont à peu près équivalentes à celles de mon tonton André. A la longue, ça devenait un sketch : non seulement le pauvre Michel n'avait jamais le Goncourt, mais en plus il ne pouvait même pas se remonter le moral en se disant qu'au moins, il se l'était fait piquer par un écrivain qui avait de la gueule, un Littell ou une NDiaye. Même en m'en tamponnant le chichigneux, moi, à sa place, j'aurais fini par trouver ça vexant.

Ce qui est amusant, c'est comme l'actualité se croise parfois. Car de quoi nous cause (entre autres) Houellebecq dans La Carte et le Territoire ? De la France du repli sur soi, du retour aux vraies valeurs, coincée dans son passéisme et inconsciente de ce qu'elle se change en musée. Bref, de ce pays de fous qui passe des heures d'antennes à célébrer un mec mort depuis quarante ans, se vautre complaisamment dans la nostalgie, s'y noie même, parfois. Houellebecq a bien des défauts, mais il faut lui reconnaître de toujours parfaitement capter l'ère du temps, non comme un opportuniste - comme une énorme éponge. A l'exception peut-être de La Possibilité d'une île, chacun de ses romans constitue à peu de choses près l'ouvrage définitif sur l'époque qui l'a généré. L'habileté du gaillard étant de toujours savoir maintenir l'ironie sur le fil ; on ne peut jamais complètement garantir qu'il s'agit d'une satire. C'en est presque désagréable, et paradoxalement c'est ce qui fait toute sa force. Il peint des tableaux naturalistes plutôt que de se perdre dans d'interminables procès à charge. Que l'on se démerde avec. Pernault a beau jeu de crier sur les toîts qu'il est très content d'avoir été adoubé par un intellectuel. Personne n'ira le contredire. Quel farceur, ce Michel !


Il fallait le voir se régaler, depuis le prix, avec ses réponses monosyllabiques, ses réflexions fascinantes de (oui, de, pas sur) vide, ses silences et ses soupirs. L'antithèse du bon client. Quel bonheur de les voir tous, péniblement, laborieusement tenter de lui arracher trois mots. On est d'accord, ça ne fait pas une oeuvre. Mais quelle joie de voir l'épuisante machine médiatique se griper, se heurter à un mur de silences mêmes pas entendus. Rien que pour cela, on aurait envie qu'il gagne le Goncourt chaque année. Et tous les autres prix. Vite Michel, un autre film ! Une Palme d'Or ! Et puis un petit rôle - tu as si bien construit le tiens, fais-nous le coup de l'Oscar. Moi, je te veux partout, Michel. Tu me consoles de ce monde de fous. Même s'il m'arrive de repérer dans ton attitude un petit côté désuet qui ne me plaît pas trop. Parfois, quand je vois ton look, je suis pris d'un frisson. D'ici à ce que ton prochain roman se déroule dans les années quarante, je me dis qu'il n'y a pas forcément des kilomètres. S'il te plaît, ne me fais pas. Je ne m'en remettrai pas. Je serai obligé de m'en foutre, et cela me ferait beaucoup de peine.

Et de mal, car se tamponner le chichigneux n'est pas toujours agréable.

12 commentaires:

  1. great works!please follow erch other.
    i wanna be your friends!mercy!

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  2. Il est de retour ! Et il a recommencé à se "tamponner le chichigneux" !

    Tout est dit !

    BBB.

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  3. C'est vrai que la simultanéité des actualités est parfois troublante...

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  4. Quel enthousiasme. Je vais peut-être repartir en vacances, moi...

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  5. c'est l"effet wouelbeque ;)....

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  6. C'est ça d'abandonner un public ;-)

    Sur l'aspect passéiste de notre pays de fous, il y a un élément qui commence à monter dans les média (il a fait l'objet de l'interview d'Inter ce matin) et qui me semble assez symptomatique : l'idée de cette maison de l'histoire de France, défendue par Gaino et sarkozy (Oui, les mêmes qui ont dit que l'Afrique n'était pas assez rentré dans la sienne, d'histoire).

    Pour Gaino, l'histoire est l'histoire, et n'a rien à voir avec les historiens. Elle existe en tant que telle, l'idée d'une construction de l'histoire lui paraît saugrenue. Pourtant, je pense qu'on retourne peu à peu vers une conception vieille et ancienne de l'histoire, celle de la France éternelle et de nos ancêtres les Gaulois. Et la commémoration ultra-médiatique des 40 ans de la mort du Général est dans cet esprit.

    Je suis comme toi, je n'aime pas trop ce pays de fous...

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  7. Je n'ai toujours pas acheté le dernier Houellebecq... alors que je le faisais avant dès leur sortie... mais bon, cette année, il est sorti en même temps que le nouveau Bret Easton Ellis. Et entre mon écrivain français favori et mon écrivain favori tout court, j'ai opté bien sûr pour le second. Ce qui n'est pas vraiment une excuse pour tarder à me procurer le Houellebecq, puisque s'il y a une chose que je reproche au BEE, c'est qu'il est trop court (j'ai dû le lire en deux jours). Et puis avec ma "retraite forcée" du net, j'ai pris une tonne de bouquins à la bibliothèque, donc j'ai encore pas mal de livres à lire... et que Houellebecq ait eu le Goncourt, ça risque encore de me freiner, je fuis généralement comme la peste les livres qui ont des prix littéraires, leurs bandeaux rouges me font le même effet que les stickers "avec la musique de la pub machin" sur les albums... mais bon, là, c'est tout de même Houellebecq, donc j'y viendrais...

    Sinon, excellent édito, comme toujours... dans les quelques minutes par semaine sur le net que j'avais ce mois et demi, je ne manquais pas de passer au moins sur le Golb pour ne pas louper un édito (et celui sur Barack, notamment, est très très bon...)

    Quant à De Gaulle, s'il est regretté, c'est parce qu'il a su au moins une fois dire aux français la vérité, avec son fameux "les français sont des veaux" :-)

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  8. Doucement, doucement! Laisse-nous le temps de voir que t'es revenu buddy-boy!! ;)

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  9. Il dit que les médias ont décidé de l'aimer mais il ajoute qu'ils font désormais chroniquer Houellebecq par d'autres journalistes ^^.

    Pas lu non plus (Marie Do s'en occupe). je m'en branle que la presse l'aime ou pas : lors d'Extension puis des Particules, selon la tendance du dîner en ville où je me trouvais, je prennais parti pour ou contre Houellebecq. Puis j'ai lu (Extension). Et j'ai trouvé qu'il était bon, très bon. Mais après Particules, ça va, au bout de 2 livres, j'avais compris le système et je passai mon tour pour ne pas subventionner un nerd de plus (j'ai déjà suffisamment avec moi même).

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  10. Alf >>> ;-)

    Yohan >>> j'avais déjà entendu Gaino raconter cela il y a quelques années. Il est vrai qu'il a conception de l'histoire très particulière. On peut parler aussi de son goût pour le zapping d'influences dans les discours, et mieux encore, l'arrachement des influences à leur contexte. On en a encore eu un bel exemple avec le discours de Sarkozy cette semaine à Colombey (je ne sais pas si c'était du Gaino, ceci dit, mais le style a fait école dans tous les discours présidentiels), qui témoignait d'une vision très particulière et sélective de ce qu'était le gaullisme (autant dire un sarkozysme, mais si mais si ^^).

    GT >>> je ne sais si je peux t'excuser, car de l'avis général, avec lequel je suis pour une fois d'accord (!!!), le dernier Houellebecq est bien meilleur que le dernier BEE (je n'ai d'ailleurs pas croisé grand-monde qui ait aimé le dernier BEE... et je ne vais pas inverser la tendance quand ma critique va arriver, pourquoi le ferais-je puisque tu vas bondir sur ton clavier me prouver qu'il y a au moins une personne qui a aimé ce véritable chef-d'œuvre ;-)). Heureusement, tu me confirmes que plus encore que BEE et quelles que soient les conditions climato-informatiques, tu lis surtout Le Golb. Et ça, je ne peux que t'en féliciter.

    Christophe >>> Marie-Do s'en occupe ? Bah oui, Marie-Do a déjà montré qu'elle aimait beaucoup les nerds ;-)

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  11. En fait, je suis loin d'être vraiment emballé par le dernier BEE, qui m'a tout de même un peu déçu (surtout pour sa brièveté, mais c'est sûr, aussi, qu'il est loin d'être aussi saisissant et abouti que Glamorama ou Lunar Park...) mais bon, on ne va pas en parler maintenant si tu comptes publier une chronique dessus, on y reviendra en temps voulu...

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