lundi 1 novembre 2010

Buddy Guy - Chronique d'un succès annoncé

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Vous êtes bien en 2010 et la presse française, toutes tendances confondues, considère toujours qu’Eric Clapton est un bluesman. Aucun problème, ne zappez pas. Ne réglez pas non plus votre mire virtuelle en lisant ce qui suit : le très beau nouvel album de George « Buddy » Guy sort aujourd’hui dans l’indifférence générale. Vous y êtes ?

Il est connu bien sûr qu’en France, on n’aime les bluesmen que lorsqu’ils sont blancs et propres sur eux. Tout de même, c’est un peu fort de café de se dire que cet album, paru depuis quelques semaines aux États-Unis, ne déclenchera pas le moindre début de frémissement dans notre contrée (alors qu’il est, disons-le tout de suite clairement, excellent). A moins que.

Car à bien y réfléchir, le Xème (on n’a pas compté mais il y en a vraiment beaucoup beaucoup beaucoup) album solo de l’ex-Junior Wells présente à peu près toutes les qualités requises pour devenir l’Album Du Come-Back Rédemptoire Que La Mort Elle-Même Elle A Qu’à Bien Se Tenir. Déjà, Buddy Guy est vieux. Mais vraiment vieux : soixante-quatorze ans en juin, ce qui fait de lui quasiment le Dernier des Mohicans. Certes derrière son copain B.B. King, qui a tout de même dix ans de plus, mais à cette nuance près que ce dernier commence sévèrement à sucrer les fraises (discographiquement, s’entend) quand George lui demeure particulièrement inspiré et créatif. Mieux : son âge, il s’en amuse follement. Peut-être parce que beaucoup de gens ne s’intéressant que lointainement au blues le croient mort depuis longtemps, son nouvel opus est frappé de cet intitulé goguenard : Living Proof. Au-dessous duquel trône un songwriter hilare portant la ride à merveille. Les premiers mots qu’il prononcera une fois le disque enclenché ? « I am 74 years young / There ain’t nothing I haven’t done« . Coupet conclu par un entendu : « I still know how to have my fun ».


Surtout, on l’a dit plus haut mais on le répète, cet album est absolument excellent. Sans conteste le meilleur disque de vétéran blues qu’on ait entendu ces dernières années – et haut la main encore. Le son, reversant, est ample et chaud, rappelant par instants les travaux de Rick Rubin avec Johnny Cash. Les compos sont brillantes et incisives. Et Buddy est toujours un prodigieux guitariste dont le style semble toujours, même à soixante-quartoze ans, en perpétuelle mutation. Parti de loin (il aurait pu rester un sideman toute sa vie), jamais vraiment arrivé (toute démesurée que soit son influence il n’a pas connu la carrière de certains de ses contemporains), le pionnier du Chicago Sound et du heavy blues parvient encore à surprendre en puisant ici dans la soul, là dans la pop, sans jamais se compromettre et surtout sans jamais commettre le moindre mauvais morceau. Une gageure parfaitement symbolisée par des invités royaux : quand d’autres font appel à la jeune garde pour se relancer et tricoter de mignons albums revival, Buddy se contente d’appeler en renfort ses copains, qui B.B. King, qui Carlos Santana. Ce n’est plus un album : c’est un musée arraché au temps et à l’espace, parcouru par une ironie mordante et une joie de vivre communicative. Pas de longue médiation sur la mort chez Buddy Guy : le blues est indolent, protéiforme et tourné, incroyablement… vers l’avenir. Même lorsqu’il s’agit de chanter d’émouvants souvenirs d’enfance et de vocation balbutiante ("Thank Me Someday"), la légende ne donne jamais l’impression… d’en être une, justement. Et de se complaire dans un bien inutile passéisme.

Alors oui : il est fort possible que Living Proof connaisse un retentissement supérieur aux dernières sorties ce formidable artiste. Bon d’accord : le rendu est si peu racoleur que l’on pourrait assister à l’exact inverse. N’empêche, ce ne serait que justice.


Living Proof, de Buddy Guy (2010)

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