lundi 4 octobre 2010

Les Histoires passent, les héros restent...

[Mes livres à moi (et rien qu'à moi) - N°42]
The Elric Saga - Michael Moorcok (1961-91)

Si vous avez jamais :

a) été fan de prog-rock (ça arrive à des gens biens)

b) été fan de Hawkwind (ça n'arrive qu'à des gens biens)

c) joué à des jeux de rôles (il paraît que ça arrive)

d) lu quelques ouvrages de fantasy

... vous avez fatalement déjà croisé sur votre route Elric, Prince de Melniboné, son épée maudite Stormbringer et le Multivers de Michael Moorcock.

Atmosphère apocalyptique, univers baroque, méchants gentils et gentils franchement pas clairs... toute l'œuvre de l'auteur britannique est contenue en germe dans cette saga en six plus deux tomes, débutée en 1961 (la nouvelle The Dreaming City) et plus ou moins achevée en 1991 (The Revenge of the Rose, dernier roman "canon" mettant en scène le sulfureux héros).

Il n'est pas forcément aisé de mesurer aujourd'hui l'impact qu'a pu avoir ce personnage - bien plus connu que ses aventures - sur l'imaginaire collectif en général, et sur celui des amateurs de fantasy en particulier. On pourrait faire court : au fur et à mesure que la plume du jeune Moorcok (il n'a que vingt-deux ans en 1961) s'affirme, c'est le manichéisme qui est aboli. Mais ce serait considérablement résumer un art beaucoup plus complexe et difficilement saisissable qu'il y paraît, patchwork d'influences jetant l'ancre quelque part aux confins du romantisme, de la décadence et de l'ésotérisme.

Je disais plus haut que le personnage était bien plus connu que ses aventures. La remarque découle d'une certaine logique : le personnage lui-même est bien plus intéressant que ses aventures, elles-mêmes. Reprendre le cycle depuis le commencement (c'est-à-dire le roman Elric of Melniboné) permet de mesurer le chemin qu'il parcourt, régressif et suicidaire. En quête de lui-même, Elric parcourt sans relâche un monde finissant qui pourrait bien n'être autre que celui de la fantasy. Avec ce premier volet (publié en 1972 mais compilant en fait des récits très antérieurs), c'est l'ère des héros courageux défendant la veuve et l'orphelin qui touche à son terme. Elric ne manque pas de courage, mais il manque de force. Albinos faible ne survivant que grâce aux drogues qu'on lui administre, dirigeant un royaume en pleine décadence qui ne se reconnaît pas en lui, il finira par brandir une épée puissante et allégorique, symbole (phallique) de toute la noirceur de son âme. Une relation intime et troublante naît entre cet homme en permanence à l'agonie et cet objet quasi doué d'une volonté propre. Elle le nourrit et le sauve ; elle ravage tout sur son passage, dévorant les âmes de ses victimes et ne posant guère la question de savoir si untel ou untel méritait de mourir. On pourrait croire de prime abord que Stormbringer entraîne Elric (voire le monde) vers sa chute. Elle est pourtant bien plus le révélateur de son âme profondément malade, quoique d'une autre manière que son corps. Si au fil des tomes l'épée noire se fera une spécialité d'assassiner les amis du héros, c'est lui-même qui décide où il mène sa barque - le plus souvent vers la mort et la dévastation. Elric n'aura ainsi besoin de personne pour devenir "l'assassin de sa race", l'auteur d'un génocide sans précédent et dont les motivations demeureront longtemps obscures.

Il y a, il faut le reconnaître, beaucoup de défauts dans le cycle d'Elric. Ne serait-ce que le goût de Moorcock pour les réflexions meta et les crossover avec ses autres séries (l'auteur semble ne jamais s'être dit que, peut-être, on pouvait lire un de ses livres sans connaître tous les autres). Des gimmicks somme toute secondaires en regard de l'inégalité de l'ensemble, du manque de dynamique narrative (peu de romans de la série peuvent réellement prétendre au titre de... roman, justement). Sans doute en première lecture faudrait-il bannir les tomes intermédiaires pour ne garder que ceux qui sont essentiels à la lecture (en gras ci-dessous). Mais tout cela est facilement balayé, avec le recul. Des années après, on garde surtout le souvenir d'incroyables morceaux de bravoure, d'un héros unique en son genre et d'un style largement au-dessus de tout-venant de la fantasy. Il n'en faut certainement pas plus.



The Elric Saga (par ordre chronologique de l'histoire) :

Elric of Melniboné (1972)
Fortress of the Pearl (1989)
The Sailor on the Seas of Fate (1976)
The Weird of the White Wolf (1977)
The Sleeping Sorceress (1971)
The Revenge of the Rose (1991)
The Bane of the Black Sword (1977)
Stormbringer (1984)

12 commentaires:

  1. Ah, Elric...
    Voilà la série de Fantasy surement la plus trippante jamais écrite. Et le personnage le plus fascinant que j'aie rencontré dans ce domaine.

    Faut que je les relise.

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  2. J'ai le droit de préférer les films de fantasy cheap? ;-D

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  3. Guic' >>> "trippante", oui, ça colle assez bien.

    Doc >>> oui.

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  4. Damn it, même en supprimant les tomes intermédiaires, ça fait toujours 5 tomes... que je vais me mettre à lire très très vite tant ta description m'en a donné envie!
    Moi qui venait juste de prendre la bonne résolution de ne lire que de la non fiction pendant six mois, c'est raté.

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  5. Et que fait-on si jamais on déteste le prog-rock, qu'on a jamais joué à un seul jeu de rôles ni lu le moindre ouvrage de fantasy et que forcément on ne connaît pas ce Hawkwind ? On "passe" cet article en se disant qu'on est sûrement un type "pas bien" ?! Ok, je sors... :)

    Mr "X" (et qui tient à le rester)

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  6. Puisque vous en parlez, à quand un billet sur Hawkwind ? En cinq ans, bientôt, vous avez clamé cent fois votre amour pour ce groupe, mais vous n'avez jamais écrit dessus. Cela laisse à désirer, d'autant que, comme le rappelle Mr X, personne ne connaît Hawkwind (à part, le vieux machin que je suis, et le faux jeune, que vous êtes).

    BBB.

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  7. Mr X s'excuse auprès de Thomas & M. BBB. : il a cru que Hawkwind était un écrivain qu'il ne connaissait pas alors qu'il s'agit du groupe de "space rock" où Lemmy de Motörhead joua entre 72 et 75 !

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  8. Melou >>> si ça peut te rassurer tous les tomes font 200 pages maximum.

    Mr X >>> relisez bien : je n'ai pas écrit que les gens bien faisaient forcément ce genre de choses ;-)

    BBB. >>> il y a un MDAMERQAM sur Hawkwind qui traîne depuis des années, je vous le confirme. Il arrivera bien un jour...

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  9. Moi j'avais bien aimé quand je l'ai lu.. il y a 20 ans de ça...
    Ptet il y a des tomes que j'ai pas lu!

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  10. Grand Tolkien, qu'est-ce que j'ai aimé cette série il y a oups quelques années - je l'ai lu et relu et puis je ne sais pas, ça doit faire 20 ans que je n'y ai plus touché.
    J'ai même rencontré elric en vrai, enfin en vrai dans le jeu :-) Stormbringer était un excellent jeu de rôle, un de mes préférés je pense.
    Tiens au fait, j'ai découvert une épée buveuse d'âme il n'y a pas longtemps, ça m'a fait un choc mais je ne sais plus si c'était dans Beowulf ou dans l'edda (je devrais prendre plus de notes)!

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  11. Oui oui, je me souviens que tu m'avais parlé de cette rencontre avec Riri le nécromanchou.

    Je connais au moins une autre épée buveuse d'âme, dans le jeu vidéo Soul Reaver. Mais j'imagine qu'il y en a beaucoup d'autres...

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